Interview

Défaillances d'entreprises (3/5) : «Il faut faire évoluer les sanctions pour retards de paiement», Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises

Un rapport corédigé avec Frédéric Visnovsky, Médiateur national du crédit, s’attelle à « Mieux connaître les dispositifs existants de détection précoce et de soutien aux entreprises en difficulté ». Pour éviter la casse, les deux médiateurs proposent en priorité de renforcer le dispositif de sanctions applicables en cas de retard de paiement pour soulager la trésorerie des TPE-PME. Et d’assurer une meilleure articulation des différents accompagnements disponibles afin d’optimiser l’orientation des entreprises.

 

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Le Médiateur des entreprises Pierre Pelouzet

Dans quel contexte cette mission vous a-t-elle été confiée ?

En mars 2024, Olivia Grégoire, alors ministre en charge des PME, nous a missionnés avec l’intuition qu’une certaine incertitude commençait à peser sur les entreprises. Et que celles-ci, lorsqu’elles se retrouvaient en difficulté, ne se saisissaient pas forcément toutes, et de manière correcte, des nombreux outils qui existent déjà pour obtenir un soutien et sortir de l’ornière. Nous avons donc entrepris un grand tour de France qui nous a permis de valider ces constats. Les acteurs du BTP notamment ont activement participé à nos travaux.

Que ressort-il finalement de votre rapport remis à la ministre actuelle, Véronique Louwagie ?

Les réseaux d’accompagnement des entreprises sont très dynamiques. Il y a une grande diversité d’acteurs, publics – comme les directions régionales des finances publiques, la Direction générale des entreprises, les tribunaux de commerce, les CCI, la Banque de France…-, mais aussi privés, comme les experts-comptables, ou encore associatifs. Chacun a une vocation spécifique mais ils ne dialoguent pas forcément bien entre eux. Les structures publiques ont une forte capacité à agir, mais suscitent parfois des réticences ou des idées préconçues. Un chef d’entreprise n’ose pas aller frapper à la porte de la DGFiP, associée au risque de contrôle fiscal, à celle du tribunal de commerce par crainte de la liquidation, ou encore à celle de la Banque de France par hantise de la décote… Les associations ont une meilleure image mais sont moins connues et moins puissantes. En somme, les dispositifs sont sous-utilisés. S’y ajoute un fréquent syndrome de déni : les entrepreneurs méconnaissent les outils de gestion et ont des difficultés à analyser clairement leur situation, et misent sur le « ça ira mieux demain »…

Que proposez-vous donc pour améliorer cette situation ?

Le rapport formule seize recommandations. Trois axes sont pour nous prioritaires. Un, faire en sorte que les acteurs de proximité – experts-comptables, banquiers… - soient des porteurs d’alerte auprès de leurs clients. Au-delà de leur rôle d’analyse, ils doivent pouvoir sonner l’alarme et les informer sur les outils disponibles. Deux, travailler dans chaque territoire à ce que les différents acteurs dialoguent mieux. Il n’est surtout pas question ici de proposer un guichet unique : mais plutôt de constituer un maillage, un système complet d’aide des entrepreneurs. Nous travaillerons sur quelques départements témoins pour ensuite exporter partout les bonnes pratiques. Trois, faire évoluer les sanctions pour retards de paiement.

Qu’envisagez-vous plus précisément concernant la lutte contre les mauvais comportements de paiement ?

Ce sujet est majeur, il ressort systématiquement dans nos rencontres sur le terrain. Il faut absolument éviter d’aggraver la situation financière des TPE-PME qui sont pénalisées par le dépassement des délais de paiement de leurs clients. Notre préconisation consiste à faire évoluer le régime de sanction des retards, éventuellement en remplaçant le plafond d'amende de 2 millions d’euros par un pourcentage du chiffre d’affaires, comme cela existe par exemple en droit de la concurrence. A titre personnel, je n’aime pas cela, j’ai toujours prôné l’encouragement du dialogue et des bonnes pratiques, mais là on sent bien que la panoplie des sanctions doit être complétée pour devenir réellement dissuasive dans certains secteurs.

Par quel biais ce renforcement des sanctions pour retard pourrait-il se faire ?

C’est à présent à la DGCCRF et au gouvernement d’étudier l’opportunité et la faisabilité de cette évolution. Il faudra ensuite trouver un véhicule législatif. Ce n’était pas possible de l’introduire dans le projet de loi de simplification de la vie économique, cette mesure ne relevant pas de la simplification…

Votre rapport met aussi à disposition une boîte à outils du dirigeant, en quoi consiste-t-elle ?

Nous avons voulu rédiger un document assez exhaustif, mais simple. Ne pas faire peur aux chefs d’entreprises, mais leur donner les moyens de faire face. La boîte à outils se décline en trois parties : anticipation, accompagnement, prévention. Elle rencontre un grand succès dans nos déplacements, des cartons entiers ont été écoulés ! Elle est aussi disponible sur notre site.

Outre l’information, vous insistez aussi sur la formation des chefs d’entreprise, de quelle façon ?

Le rapport formule une proposition simple : si quelqu’un souhaite bénéficier de l’aide à la création et à la reprise d’entreprise (Acre), il devrait être soumis à une obligation de formation.

« Comme cela a déjà été bien souligné par le rapport de la mission d'information relative aux entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire (rapport de R Grau), la formation à la gestion d’une entreprise apparaît comme un préalable indispensable à la bonne marche de celle-ci, trop de créateurs (ou de repreneurs) s’engageant dans l’aventure entrepreneuriale sans en maîtriser les fondamentaux.»

Rapport des Médiateurs, page 12.

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