Commande publique : comment gérer les retards de paiement ?

Malgré un encadrement juridique strict des délais de règlement, les entreprises subissent régulièrement des dépassements. Des outils existent pour éviter ces situations… ou y faire face.

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Retards
Retards

Les retards de paiement dans les contrats de la commande publique peuvent avoir des conséquences significatives sur la trésorerie et la compétitivité des entreprises. Si les acheteurs sont tenus de respecter les délais de paiement prévus par les articles R. 2192-10 et suivants du Code de la commande publique (CCP), il est de la responsabilité de la France, comme de l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne (UE), de veiller à ce qu'ils soient observés.

Respect effectif. C'est ainsi que deux procédures en manquement, initiées par Bruxelles, ont conduit à la condamnation du Portugal (CJUE, 11 juillet 2024, aff. C-487/23) et de la Slovaquie (CJUE, 19 septembre 2024, aff. C-412/23), au motif que ces Etats n'avaient pas veillé à ce que leurs entités publiques respectent, « de manière effective », les délais de paiement prévus par la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.

En France, le pouvoir politique s'est partiellement saisi de cette question, notamment en publiant les délais de paiement des collectivités territoriales au titre de l'année 2023 (disponibles sur www.data.gouv.fr). Cette initiative, mise en place en application de la loi Pacte du 22 mai 2019, vise à offrir aux entreprises une transparence accrue sur les délais de paiement des entités publiques, afin de mieux évaluer les risques avant de contracter avec elles. Cependant, des dépassements de délais de paiement subsistent, obligeant les cocontractants de l'administration à engager des recours amiables et/ou contentieux.

Un cadre juridique inflexible

Le délai standard de paiement dans les marchés publics est de 30 jours. Il s'élève à 50 jours pour les établissements de santé et à 60 jours pour certaines entreprises publiques (art. R. 2192-10 et -11 du CCP).

Ces délais sont d'ordre public et ne peuvent donc être contractuellement modifiés. En cas de dépassement, le cocontractant a droit au paiement des intérêts moratoires et à une indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros par facture impayée (art. L. 2192-12 et -13 et D. 2192-35 du CCP). Dans le même sens, il est interdit au cocontractant de l'administration de renoncer au bénéfice des intérêts moratoires (art. L. 2192-14 du CCP).

Mieux vaut prévenir (les retards) que guérir

Plusieurs mécanismes de paiement anticipé, s'ils sont bien utilisés, permettent de limiter les conséquences d'éventuels retards de paiement sur les finances des entreprises.

L'avance. Dans la plupart des marchés, le titulaire peut bénéficier d'une avance (art. R. 2191-3 et suivants du CCP). Celle-ci est obligatoire pour les contrats dont le montant est supérieur à 50 000 euros HT et dont le délai d'exécution est supérieur à deux mois. Sinon, elle est facultative. Selon que l'entreprise est ou non une PME, la durée du marché et l'acheteur concerné, le taux de l'avance varie entre 5 % et 30 % du montant initial TTC du marché ou d'une somme égale à douze fois le montant initial TTC du marché divisé par sa durée exprimée en mois. L'acheteur peut même aller au-delà du taux de 30 % mais pourra alors être amené à conditionner le versement de l'avance à la constitution d'une garantie à première demande.

Le titulaire a toujours la possibilité de renoncer à l'avance mais il est conseillé d'en conserver le bénéfice pour se prémunir contre d'éventuels retards de paiement. Et s'il a initialement renoncé à l'avance, il peut revenir sur sa décision. Par ailleurs, dans les cas où l'avance n'est pas obligatoire, les candidats à l'attribution d'un marché public ont tout intérêt à en demander une. A noter qu'en l'absence d'exception dans le CCP, les dispositions relatives aux avances s'appliquent également aux marchés publics de défense ou de sécurité.

L'acompte. Paiement partiel pour des prestations déjà effectuées, l'acompte (art. R. 2191-20 et suivants du CCP) est de droit et ne doit pas excéder la valeur des prestations. Demander systématiquement le paiement des acomptes permet de contenir au maximum les risques financiers liés aux retards de paiement.

Le paiement partiel définitif. Comme l'acompte, le paiement partiel définitif (art. R. 2191-26 du CCP) rémunère des prestations effectuées, mais il n'est pas possible de le remettre en cause. L'acheteur peut prévoir des paiements partiels définitifs, sauf dans les marchés de travaux.

La cession ou le nantissement de créances. Le titulaire du marché peut céder ou nantir les créances qu'il détient à un établissement de crédit ou à un autre créancier dans les conditions prévues aux articles R. 2191-45 et suivants du CCP.

L'affacturage et l'affacturage inversé. En complément de l'affacturage traditionnel autorisé dans les marchés publics, la loi Pacte de 2019 a introduit l'affacturage inversé. Ce mécanisme permet aux acheteurs, avec l'accord du fournisseur, de solliciter un établissement de crédit, une société de financement ou un fonds d'investissement alternatif pour garantir le paiement anticipé de certaines factures. L'acquisition des créances se fait par voie de cession de créances ou par subrogation conventionnelle. Ainsi, tout comme la cession ou le nantissement de créances, l'affacturage permet aux titulaires de marchés d'obtenir, moyennant un coût, un règlement rapide de leurs prestations.

L'escompte commercial. L'escompte commercial ou de règlement en cas de paiement anticipé est également possible dans les marchés publics. Il doit avoir été contractuellement prévu.

En cas de différend, ne pas négliger la phase amiable préalable

Un accord entre l'acheteur public et son cocontractant est susceptible d'éviter un contentieux en cas de retard de paiement. Cependant, si le recours juridictionnel devient la seule option pour obtenir le règlement des sommes dues, il est généralement nécessaire de passer par une phase amiable pour que le recours soit recevable.

La naissance du différend. Lorsqu'un litige survient en cours d'exécution du marché, il est essentiel de respecter les clauses de règlement des différends qui sont notamment présentes au sein des différents CCAG. Un différend peut naître d'une prise de position explicite de l'acheteur, du silence après une mise en demeure ou de l'absence de notification du décompte de résiliation. Dès lors, une mise en demeure devra être adressée à l'acheteur qui n'a pas respecté les délais de paiement et, faute pour lui d'y donner suite et de s'acquitter des paiements, un différend naîtra entre l'acheteur et le titulaire du marché.

Le mémoire en réclamation. Le titulaire du marché dispose alors de deux mois pour adresser à l'acheteur un mémoire en réclamation indiquant les motifs du différend et, le cas échéant, le montant des sommes réclamées ainsi que leur justification. En application de la jurisprudence, les bases de calcul doivent également être renseignées (CE, 27 septembre 2021, n° 442455, mentionné dans les Tables). Il convient dans la pratique de le faire de la manière la plus détaillée possible. C'est pourquoi il est crucial de joindre une copie des factures impayées ou payées en retard, et, le cas échéant, de pouvoir justifier des bons de commande et des bons de livraison. Le silence gardé par l'acheteur pendant deux mois fait naître une décision implicite de rejet.

Le recours juridictionnel. Si cette phase amiable échoue, le titulaire du marché peut envisager un recours juridictionnel. Deux options principales s'offrent à lui : le référé provision, qui permet d'obtenir en principe assez rapidement le versement d'une provision, ou le recours au fond. Avant de saisir le juge administratif, il est important de vérifier l'existence de clauses attributives de juridiction dans les documents contractuels et de s'assurer que cette saisine ne doit pas être précédée d'une formalité supplémentaire, comme la saisine d'un comité consultatif de règlement amiable (CCRA).

Ce qu'il faut retenir

  • La jurisprudence européenne récente insiste sur la responsabilité des Etats membres, qui doivent veiller à ce que les entités publiques respectent « de manière effective » les délais de paiement maximums prévus pour les marchés publics.
  • Le cadre juridique national en matière de délais de règlement est strict et ne peut être aménagé contractuellement.
  • Pour éviter les conséquences des retards qui surviennent malgré tout, de nombreux dispositifs réglementaires et outils de paiement anticipé peuvent ou doivent être utilisés. Lorsque le contentieux est inévitable, un grand soin devra être apporté par les titulaires à la phase de réclamation amiable.
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