Mardi 16 mars au matin, sur le Prado à Marseille, des ouvriers s’activaient encore sur le chantier de transformation d’un immeuble de bureaux en résidence. A midi, il était à l’arrêt. Intervenant comme entreprise générale pour le compte d’Icade, Eiffage Construction Provence a décidé de retirer ses ouvriers de ce chantier tout comme de ceux réalisés dans son périmètre d’intervention : d’Aix-en-Provence à Marseille en passant par Avignon.
Loïc Briard, directeur régional de GCC Méditerranée, a pris la même décision. « Le message, lundi soir, du président de la République, était tout sauf clair. Nous avons longtemps tourné autour du pot. Puis avons décidé de nous organiser pour arrêter nos chantiers. De toute manière, il était devenu difficile de travailler dans de bonnes conditions. Ce matin, les approvisionnements n’étaient plus garantis. Lafarge venait de nous annoncer la fermeture de ses centrales à béton. Et, de nombreux sous-traitants n’étaient pas présents. De plus, la co-activité sur les chantiers nous empêche d’appliquer correctement les consignes de sécurité », témoigne-t-il.
Situation risquée
Compte-tenu d’une situation « risquée », GCC, comme d’autres, a pris le parti de protéger ses salariés, mettant en place le télétravail quand « c’est utile », les incitant à solder leurs congés avant de prendre des mesures de chômage partiel. Une démarche suivie. Parmi les 32 membres du bureau élargi de la fédération du bâtiment et des travaux publics des Bouches-du-Rhône, près de 80 % ont fermé les chantiers en cours.
Dans de nombreux cas, la suspension des interventions des entreprises a été décidée en concertation avec les maîtres d’ouvrage. Tous ne se sont pas engagés, laissant l’entreprise prendre seule la responsabilité de la décision.
Ce que regrette Christian Pons, le président de la fédération du bâtiment et des travaux publics de Vaucluse (FBTP 84). Entendant l’inquiétude d’entreprises « déboussolées », il a pris l’initiative d’écrire aux principaux maîtres d’ouvrage publics du Vaucluse.
Faisant appel « à leur sens des responsabilités pour ne pas dégrader la santé » des entreprises, il leur a demandé de "ne pas appliquer des pénalités de retard". De son côté, Isabelle Lonchampt, présidente de la FBTP 13, a échangé mardi 17 mars dans l’après-midi par téléphone avec le préfet Pierre Dartout. Elle a obtenu « la garantie qu’il veillera à ce que les collectivités et autres maîtres d’ouvrage publics paient leurs factures sur la base des situations de travaux ».
Assurer la sécurité
Quant à la décision d’arrêter ou pas les chantiers, les fédérations du BTP se gardent de prendre position. Toutefois, compte-tenu des problèmes d’approvisionnement, ainsi que de la difficulté à maintenir un état sanitaire correct des installations de chantier par manque de personnel ou de sous-traitant, les Fédérations du BTP du Vaucluse et celle du Var ont recommandé de cesser toute activité sur les chantiers où la sécurité du personnel n’est pas assurée.
A titre personnel, Christian Pons, président de la FBTP 84 et dirigeant de l’entreprise spécialisée dans la restauration de monuments historiques Girard, a décidé de fermer ses chantiers. Il suit ainsi les directives de sa maison-mère Vinci. Une autre adhérente de la FBTP 84, Emile Feral, présidente du groupe Isotec, a arrêté les opérations de désamiantage. « Les laboratoires qui font les prélèvements n’envoient plus de personnel sur ses chantiers. Et en l’absence de ces données, elle ne peut pas travailler », rapporte le président de la FBTP 84. Toujours dans le Vaucluse, une entreprise de serrurerie a cessé son activité suite à la demande de retrait des salariés.
Risque d’agitation sociale
Par ailleurs, dans l’est du Var, des entreprises ont dû fermer leur chantier suite à la demande des forces de l’ordre. Dans ce même département, Jean-Jacques Castillon, président de la FBTP 83, a décidé, lui, de fermer son entreprise à partir du 17 mars et pendant la durée des 15 jours de confinement. « Outre les aspects économiques et logistiques, le risque d’agitation sociale au sein de l’entreprise a pesé sur cette décision. Je ne veux prendre aucun risque pour mes salariés et pour mon statut de dirigeant », a-t-il expliqué dans le courrier qu’il a adressé ce mardi 17 mars aux adhérents de la FBTP 83.
Ces exemples montrent la complexité d’une situation où les entreprises naviguent à vue. A cela s’ajoutent les inquiétudes liées aux conditions de la reprise après une longue période d’inactivité et la problématique de la garde des chantiers. « Les entreprises ont en effet la garde de leurs ouvrages jusqu’à la livraison. Mais dans le contexte actuel, qui va s’en charger et en assumer la responsabilité ? », s’interroge Christian Pons.