Concurrence ferroviaire : les nouveaux entrants ne veulent pas rester à quai

Asymétrie d’information, poids prépondérant de l’opérateur historique, financements… les acteurs alternatifs ont encore de nombreux freins à lever pour accéder pleinement au marché du transport ferroviaire de voyageurs.

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Ferroviaire prétexte
L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs a débuté en 2018.

A l’œuvre depuis 2018, l’ouverture à la concurrence du transport national de voyageurs présente un « bilan mitigé », selon Jean-Luc Champy, avocat associé au cabinet White & Case qui organisait le mardi 5 novembre une conférence sur le sujet à l’occasion de la Paris Infraweek. Ce constat est appuyé par un récent rapport de la Cour des comptes, notant que la mise en concurrence « reste encore parcellaire ».

Ainsi s’agissant des TER, quatre régions ont pour l'instant franchi le pas - les Hauts-de-France, le Grand Est, les Pays de la Loire et la Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) -, et cinq autres ont lancé un programme – l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Bourgogne-Franche-Comté, le Centre-Val-de-Loire, la Normandie et la Nouvelle-Aquitaine. Quant à l’Occitanie et la Bretagne, elles entendent aller au terme de leurs contrats conclus avec SNCF Voyageurs, qui prennent fin respectivement en 2032 et 2033.

L’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire a débuté par le fret international dès 2003. Ont suivi le fret national en 2006 et le transport international de voyageurs en 2009.

Le transport national de voyageurs constitue le dernier volet, issu du quatrième paquet ferroviaire, un ensemble de directives européennes adoptées en 2016. La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire prévoit un calendrier échelonné pour sa mise en œuvre en France :

- Pour les TGV, l’ouverture à la concurrence est effective depuis 2020.

- Pour les TER, elle est possible depuis 2019 et obligatoire depuis 2023. Jusqu’à cette date, les régions pouvaient attribuer de gré à gré de nouvelles DSP à SNCF Voyageurs, pour une durée de dix ans maximum. De sorte que la mise en concurrence soit généralisée à compter de 2034.

- Pour les Transilien, l’ouverture à la concurrence se déroule progressivement entre 2023 et 2034. S’agissant des RER, elle débute en 2025 avec la ligne E. Viendront ensuite les lignes C et D entre 2033 et 2039, puis les lignes A et B en 2039.

Délégations de service public

Les TER, au même titre que les Transilien ou les trains d’équilibre du territoire, sont des services conventionnés et sont exploités via des délégations de service public (DSP) qui font, de manière progressive selon le choix des régions, l’objet d’appel d’offres. Si Transdev Rail est parvenu à en remporter deux (l’un pour la ligne Marseille – Nice en Paca, le second pour la ligne Nancy – Contrexéville dans le Grand Est), son président Claude Steinmetz relève tout de même plusieurs obstacles pour pénétrer ce nouveau marché.

Données manquantes

D’abord les moyens humains et financiers à y consacrer. « Nous avons une quarantaine de personnes dédiées, qui peuvent répondre à deux ou trois appels d’offres par an. Chaque procédure coûte environ deux millions d’euros, voire trois pour les lots complexes. »

Surtout, les opérateurs alternatifs se heurtent au manque d’information sur le service à exploiter. « Les données arrivent tardivement, voire jamais, indique Claude Steinmetz. Dès lors les nouveaux entrants, qui souffrent d’une asymétrie d’information par rapport à l’opérateur en place, SNCF Voyageurs, sont contraints de prévoir des provisions pour risque relativement importantes. »

La SNCF en position de force

Claude Steinmetz pointe une autre difficulté : « Aujourd’hui les offres peuvent être analysées par SNCF Réseau, qui reste relativement proche de SNCF Voyageurs ». Bien que juridiquement distinctes, ces deux sociétés appartiennent au Groupe SNCF, fruit de la loi de 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire ayant transformé l’ancien établissement public en société commerciale à capitaux publics.

Difficile en effet de se défaire du monopole historique, qui a duré plus de 80 ans. Le président de Transdev Rail souligne à cet égard que la SNCF dispose toujours de certains avantages, par exemple sur la vente de billets. « Pour sortir de cette situation, certaines régions ont lancé des mises en concurrence spécifiques à la distribution des titres de transports », indique Stéphane Manoukian, associé chez EY. C’est le cas de la région Paca, qui a conclu en 2024 une DSP avec le groupement Sud Mobilités technologies (composé de SNCF Voyageurs, SNCF Connect & Tech Services, Capgemini Technology Services et Matawan).

Des ateliers distincts

Autre point de blocage pour les opérateurs alternatifs : la question des ateliers de maintenance. « Nous considérons qu’il faut qu’il y en ait un dédié à chaque DSP, signale Claude Steinmetz. Nous refusons les ateliers partagés avec SNCF Voyageurs, c'est pourquoi nous en construisons sur les deux lignes régionales que nous exploitons [travaux réalisés par NGE dans les deux cas, NDLR]. » 

Vinci Railways, gestionnaire des infrastructures de la ligne à grande vitesse (LGV) Sud Europe Atlantique, a elle aussi lancé la construction d'un centre de maintenance, à Marcheprime (Gironde). « Les travaux doivent débuter en 2025 pour une ouverture fin 2027, indique Valérie Vesque-Jeancard, sa présidente. Le futur atelier pourra accueillir simultanément deux opérateurs de transports ». Un investissement pour attirer les nouveaux entrants : le contrat de concession de Vinci fait peser sur elle le risque de trafic, de quoi l'inciter à tout mettre en oeuvre pour qu'un maximum de trains circulent sur la ligne. Le projet de nouvel atelier aurait d'ailleurs contribué à faciliter la levée de fonds réalisée en juin dernier par l'entreprise française Proxima, qui ambitionne de faire rouler plusieurs rames sur la LGV gérée par Vinci d'ici 2028.

Services librement organisés

Les LGV sont soumises au régime des services librement organisés. Toute entreprise ferroviaire a la possibilité, sous certaines conditions vérifiées par l’Autorité de régulation des transports, d’y assurer un service de transports de voyageurs. Ce qui suppose d’acquérir le matériel roulant, au prix d’investissements considérables. « C’est un frein structurel, en raison des interrogations sur la liquidité des trains et le risque de valeur résiduelle », alerte Christoph Bruguier du fonds Vauban Infrastructure Partners. L’investisseur plaide pour un soutien public, afin de donner « l’impulsion de départ » et pouvoir garantir l’amortissement des équipements.

Laurent Fourtune, fondateur et directeur général de la société Kevin Speed, insiste, lui, sur l’importance pour les nouveaux opérateurs d’avoir de la visibilité sur le long terme. A cet effet, l’entreprise a conclu en février dernier un accord-cadre avec SNCF Réseau lui garantissant pour dix ans de bénéficier des autorisations de circulation nécessaires au lancement de son offre ferroviaire sur trois LGV. Une condition sine qua non pour rassurer les investisseurs. « On ne peut pas développer les services librement organisés sans accords-cadres de longue durée », estime Laurent Fourtune qui met aussi l’accent sur un avis rendu en 2023 par l’ART. Celui-ci rappelle que la redevance d’utilisation de l’infrastructure doit rester soutenable pour l’opérateur de transport. Ainsi les péages en vigueur pour la période 2024-2026 permettent de maintenir un niveau de marge supérieur à 12 %, de quoi « garantir la couverture de la dette » et ainsi rassurer les investisseurs, selon le dirigeant de Kevin Speed.

Profil de risque maîtrisé

La problématique de l’achat de trains ne se pose en principe pas pour les services conventionnés. « A la fin des conventions en cours avec SNCF Voyageurs, les régions deviennent propriétaires du matériel roulant et doivent le mettre à disposition du nouveau concessionnaire », explique Stéphane Manoukian. Plusieurs d’entre elles ont constitué des sociétés publiques locales pour piloter et financer via l’emprunt les investissements nécessaires à l'entretien des trains. Ce qui permet notamment de sortir cette dette du bilan de la collectivité.

La région Paca a quant à elle choisit d’intégrer l’acquisition de nouvelles rames dans le contrat de concession conclu en 2021 avec Transdev Rail. Un investissement avoisinant les 250 millions d’euros mais qui reste supportable pour les investisseurs. « Dans les services conventionnés, qui sont assez fortement subventionnés, le profil de risque est davantage maîtrisé », explique Jean-Luc Champy. Alors que les services librement organisés ne bénéficient d’aucun soutien public financier, mais peuvent tout de même s’appuyer sur les pouvoirs publics pour créer un cadre propice à leur développement.

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