Le Grand Est ouvre le bal des concessions ferroviaires locales. Ce 5 juin, son conseil régional sera le premier de France à signer un tel document avec le groupement formé par Transdev et NGE, lauréat de l’appel d’offres lancé en 2020 pour la ligne de Nancy (Meurthe-et-Moselle) à Contrexéville (Vosges). Le contrat de 721,5 millions d’euros conclu sur 22 ans porte à la fois sur la gestion de l’infrastructure de cette liaison, dont la région va reprendre la propriété auprès de l’Etat, et sur l’exploitation du service ferroviaire.
Dicté par l’objectif de piloter tous les paramètres, le choix de cette double compétence en mode « intégration verticale » a précisément orienté la collectivité vers le montage juridique qu’elle a retenu. « La concession avec délégation de service public est le contrat le plus adapté pour répondre aux besoins d’ouverture à la concurrence ferroviaire selon le principe d’intégration verticale, expliquait la région dans son rapport de lancement de la consultation. Ce montage permettra à la région de recourir aux compétences techniques d’un professionnel du secteur, compétences qu’elle ne détient pas en interne, et la part de risque liée à la régénération de l’infrastructure et à l’exploitation du service est transférée dès la signature au concessionnaire, qui est impliqué dans la gestion du service ».
Des engagements meilleurs qu’en gré à gré
A l’aube d’apposer son paraphe, le vice-président aux transports Thibaud Philipps estime que les négociations des termes de la concession atteignent pleinement leur objectif de fixer des engagements supérieurs, en comparaison d’un contrat classique de gré à gré tel que celui conclu fin 2023 pour dix ans avec la SNCF sur les autres portions du réseau du TER. Ceci par le fait d’appliquer de façon plus poussée le principe de missions confiées « aux risques et périls » du contractant. « Le taux de régularité (moins de 3 minutes de retard) atteint 98 % là nous avons pu aller jusqu’à 93 % avec la SNCF, et le taux de disponibilité de l’infrastructure a été arrêté au niveau exceptionnel de 99,5 %, assorti d’une obligation de prise en charge des voyageurs en 45 minutes en cas d’incident », décrit l’élu. Quant à l’objectif de coût d’exploitation plafond, « il est ramené à 17 euros du kilomètre, six de moins qu’avec la SNCF sur la ligne concernée », ajoute-t-il.
Le coût d’exploitation plafond est ramené à 17 euros du kilomètre, six de moins qu’avec la SNCF sur la ligne concernée.
— Thibaud Philipps, vice-président aux Transports de la région Grand Est
Les investissements sont pris en charge à 13 % par la future société concessionnaire(1) sur ses fonds propres, le reste étant apporté par la région sous forme d’emprunts bancaires classiques pour une moitié et de la Banque européenne d’investissement pour l’autre. Ils s'élèvent à 198 millions d’euros tous frais compris, dont 111 millions pour rénover partiellement ou complètement 64 km (sur le total de 75 km repris en propriété entre Jarville aux portes de Nancy et Vittel juste avant sa voisine ville d’eau Contrexéville) d’ici à fin 2027, et 23 millions pour la réfection des passages à niveau et la construction d’un centre de maintenance du matériel roulant.
Trouver le bon équilibre montant-durée
« Avec la concession, nous sommes davantage en position de force », appuie Thibaud Philipps. Pour autant, la généralisation de ce mode opératoire n’apparaît ni pertinente, ni garantie, selon l’expérience que le Grand Est commence à engranger. D’une part, « cela suppose de trouver un équilibre : avoir des candidats aux capacités suffisamment solides mais à ne pas mobiliser sur une durée trop longue », relate le vice-président. Les 22 ans de la concession Nancy-Contrexéville, calqués sur l’estimation du taux de retour sur investissement, conviennent à la région. A l’inverse, sur une autre ligne à la libéralisation visée avec prise en propriété, entre la sortie nord de Strasbourg et Lauterbourg (Bas-Rhin), les travaux tels qu’évalués atteignent un tel montant – 240 millions d’euros sur une cinquantaine de kilomètres – qu’ils entraîneraient une durée de contrat jugée excessive par la collectivité.
Un veto partiel de Bruxelles sur une autre ligne
En outre, et plus encore, la collectivité n’est pas maîtresse de son destin. Atypique, son « intégration verticale » contrevient au principe européen (directive 2012/34/UE) de séparation des fonctions de gestion et exploitation ayant abouti à l’éclatement des différentes compagnies nationales historiques. Dès lors, le Grand Est a dû solliciter une dérogation auprès du ministère français des Transports puis de la Commission européenne, avec l’argument, prévu par la directive, d’une « ligne locale sans importance stratégique pour le marché européen ». Pour Nancy-Contrexéville, la région l’a décrochée. En revanche, elle n’a pas obtenu pleine satisfaction pour la liaison d’Epinal (Vosges) à Sélestat (Bas-Rhin), pour laquelle elle avait lancé un appel d’offres concessif concomitant il y a quatre ans. Le blocage est venu de Bruxelles : la direction des mobilités et transports de la Commission a retenu le caractère d’importance stratégique sur la portion alsacienne jusqu’au pied du massif vosgien. La région a été contrainte, dès lors, de relancer une nouvelle consultation, qui vise une concession « verticale » sur la partie vosgienne et se concentrera sur la recherche d’un exploitant sur l’autre, demeurant sous gestion de SNCF Réseau.
Quels critères distinctifs déduire de ces épisodes ? Les deux cas d’espèces suggèrent que des lignes peu fréquentées, a fortiori fermées (comme une bonne partie de Nancy-Contrexéville depuis fin 2016) et ne jouant pas un rôle de délestage de liaisons structurantes pourraient passer la rampe. Mais ils sont encore trop parcellaires pour établir une « jurisprudence » solide. « C’est le lot des pionniers », commente avec philosophie Thibaud Philipps. Sans doute que les prochaines ouvertures à la concurrence du Grand Est l' aideront à y voir plus clair. A ses risques et périls.
(1) Elle sera détenue à 50 % par NGE Concessions, le solde se répartissant entre la Caisse des dépôts et sa filiale Transdev, tandis que Transdev contrôlera à 75 % la société d’exploitation au capital complété par NGE.