Le développement des réseaux de chaleur et de froid passe aussi par la modernisation des contrats de concession. « Jusqu’à cette année, nous vivions sous l’ancien régime, avec le modèle de contrat datant d'une circulaire du 23 novembre 1982 » souligne Yann Rolland, président du syndicat professionnel Fédération des services énergie et environnement (Fedene) Réseaux de chaleur et de froid – ex Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU). Initiée par le groupe de travail ministériel constitué en 2019 par la ministre de la Transition écologique et solidaire d’alors, Emmanuelle Wargon, la rédaction d’un nouveau modèle de contrat de concession pour les réseaux de chaleur et de froid a abouti début 2023. Il est consultable en ligne sur le site internet de l’Amorce, association de collectivités territoriales, depuis le 11 mai 2023.
Co-construction
Ce modèle est le fruit d’un travail mené conjointement par l’Amorce, qui travaille notamment sur les questions liées à l’énergie, et par le syndicat Fedene Réseaux de chaleur et de froid, regroupant gestionnaires publics et privés. « Il n’est pas si courant de parvenir à co-construire un modèle de contrat avec les deux parties prenantes », se félicite Yann Rolland. « Nous avons d’abord travaillé en interne pendant environ un an avec nos adhérents et les bureaux d’études qui accompagnent les collectivités territoriales sur ce sujet, explique Joël Ruffy, responsable au service institutionnel de l’Amorce. Avant d’entamer un cycle de discussion et de négociation avec la Fedene, qui a duré près de deux ans ».
Une base à adapter
Il en ressort « un modèle complet, équilibré entre les parties et modulable », selon les termes employés en introduction du document. « C’est une base de rédaction avec des points à adapter et d’autres à négocier. Nous conseillons d’ailleurs qu’il y ait des négociations » explique l’Amorce. Même regard du côté des professionnels : « Ce nouveau contrat sert de base, il n’impose rien ». D’où la présence d’options, de variantes et de commentaires à visée pédagogique. C’est le cas par exemple s’agissant du risque lié à l’état du sol en cas de travaux neufs. Le modèle prévoit plusieurs possibilités : soit le concessionnaire assume ce risque de manière limitée, sa prise en charge des conséquences de l’état du sol étant plafonnée ; soit c’est la personne publique qui assume entièrement ce risque.
Liberté rédactionnelle également s’agissant de l’indexation des tarifs, qui servent de rémunération au concessionnaire. Le modèle précise que les modalités d’indexation « sont à déterminer localement ». « Nous avons pris le parti de ne pas mettre d’indices dans le modèle, mais d’expliquer comment doit être bâtie la formule » précise la Fedene. Joël Ruffy abonde : « Nous avons rédigé des commentaires de prudence, des recommandations : il faut lier le plus possible les indices à la réalité du réseau et des énergies utilisées ». Le contrat préconise ainsi de prévoir des indices « indépendants des parties au contrat ».
Un nouvel indice pour le secteur
La crise énergétique a poussé la Fedene Réseaux de chaleur et de froid à travailler sur un indice spécifique à ce secteur d’activité. « Dans nos contrats, nous avons le plus souvent des indices Insee » explique Yann Rolland. Or ces derniers ne seraient pas représentatifs de l’évolution des coûts de l’énergie. L’indice « electron » mis au point par le syndicat professionnel a vocation à mieux traduire cette évolution, « dans un sens comme dans l’autre et donc dans l’intérêt des deux parties », selon le président du syndicat.
Mises à jour
La rédaction d’un nouveau modèle de contrat a permis également de traiter des enjeux récents pour le secteur des réseaux de chaleur et de froid. Deux thèmes en particulier, absents de la circulaire de 1982, sont désormais abordés : la transition énergétique et la gestion des données. Sur le premier sujet, « il s’agit de déterminer la participation du concessionnaire à la transition énergétique » indique l’Amorce. « Ce chapitre permet de faire évoluer le service, en donnant de la souplesse dans la relation contractuelle » détaille Yann Rolland.
Quant à la gestion des données, « ce point faisait vraiment défaut » dans le précédent modèle. « Il s'agit notamment de préciser les modalités de leur transmission » indique le président du syndicat professionnel. Sujet d’autant plus prégnant avec le développement des « smart grids » (réseaux intelligents), qui nécessite de collecter et traiter davantage des données.
Classement des réseaux
Autre ajout : la prise en compte de la nouvelle réglementation sur le classement des réseaux. Issu notamment d’un décret du 26 avril 2022, le changement de règles en la matière permet de rendre obligatoire, à certaines conditions, le raccordement au réseau, existant ou en projet, dans des « zones de développement prioritaire », de « toute installation d’un bâtiment neuf ou faisant l’objet de travaux de rénovation importants ».
L’enjeu dans le contrat de concession est de prendre en compte les effets de cette réglementation « tant lorsque le réseau est classé, que lorsqu’il est envisagé de procéder à son classement ou même lorsque cela n’est pas le cas à l’heure actuelle », au regard des règles de la commande publique sur la modification des contrats en cours d’exécution. L’objectif est d’introduire dans le contrat une clause de réexamen obéissant aux conditions de l’article R. 3135-1 du Code de la commande publique, c’est-à-dire « claire, précise et sans équivoque ».
Redéfinir le partage des risques
Amorce et Fedene reconnaissent que le principal sujet de discussion a concerné la rédaction des clauses relatives à la responsabilité des parties et au partage des risques. « Il fallait être extrêmement clair sur la répartition des responsabilités, estime Yann Rolland. La circulaire de 1982 contenait cette formule selon laquelle le concessionnaire exploite le service à ses risques et périls. Or cela ne veut rien dire, un concessionnaire ne peut pas subir tous les risques et toutes les conséquences ». Collectivités et exploitants se sont entendus pour indiquer que « le délégataire subit le risque d’exploitation ». Cette rédaction « responsabilise les deux parties » estime le président de la Fedene Réseaux de chaleur et de froid.
« Nous espérons que ce modèle fasse référence. Il y a déjà plusieurs collectivités intéressées », conclut Joël Ruffy.