Une société candidate à l’attribution d’une concession pour la gestion et l’exploitation d’un casino a obtenu l’annulation de la procédure devant le juge des référés. Le tribunal administratif (TA) considérait en effet que l’autorité concédante avait méconnu le principe d’égalité entre les candidats, au motif qu’il était demandé aux soumissionnaires de disposer au moment de la remise de leurs offres d’un titre de propriété du bâtiment abritant le casino ou d’un contrat d’occupation conclu avec un tiers propriétaire.
Le juge des référés relevait que cette exigence était « pratiquement impossible à satisfaire » pour les candidats autres que le concessionnaire sortant. Celui-ci dispose en effet d’un bail commercial conclu avec une autre société, qui s’avère détenir l’intégralité de son capital. La commune avait cédé le bâtiment à cette société, avant d’attribuer la concession à sa filiale spécialement créée pour l’exploitation du casino.
Un bien appartenant à un tiers peut-il être qualifié de bien de retour ?
Surtout, le TA relevait qu’il était inutile d’attendre des candidats qu’ils justifient de droits réels sur le bâtiment, dans la mesure où ce dernier doit en principe revenir dans le patrimoine de la commune « en application des principes régissant les biens nécessaires à l’exécution des services publics concédés ».
A la demande de la commune, le Conseil d’Etat a donc dû se prononcer le 17 juillet dernier (CE, 17 juillet 2025, n°503317, publié au recueil Lebon) pour la première fois sur le sort des biens appartenant à des tiers dans le cadre d’une concession. La théorie des biens de retour s’applique-t-elle les concernant ?
Les biens nécessaires au service public appartiennent à la personne publique ab initio
Cette théorie, consacrée en 2012 par le Conseil d’Etat (CE, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n°342788, publié au recueil Lebon), prévoit que l’ensemble des biens nécessaires au fonctionnement du service public est considéré comme appartenant à l’autorité concédante, y compris si les biens ont été acquis ou réalisés par le concessionnaire en vertu du contrat. Dès lors, ils doivent faire nécessairement et gratuitement retour à la personne publique à l’issue du contrat de concession.
Ce n’est que si ces biens n’ont pas pu être totalement amortis, « soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement des biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement », que le concessionnaire est fondé à obtenir une indemnisation en raison du retour gratuit des biens dans le patrimoine de l’autorité concédante.
Les biens apportés par le concessionnaire sont aussi des biens de retour
Dans son arrêt de 2012, le Conseil d’Etat indiquait également qu’une concession peut accorder au concessionnaire la propriété ou des droits réels sur des biens qui ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique. Dans ce cas, les biens concernés obéissent aussi au régime des biens de retour, la concession ne pouvant pas faire obstacle à leur retour gratuit à la personne publique.
Puis, en 2018 (CE, 29 juin 2018, n°402251, publié au recueil Lebon), la Haute juridiction avait précisé que ces règles « trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci ».
Les biens apportés par les tiers au contrat ne sont pas des biens de retour…
Si par contre les biens affectés au fonctionnement du service et nécessaires à celui-ci appartiennent à un tiers à la concession, la théorie des biens de retour ne trouve pas à s’appliquer. C’est le principe dégagé par le Conseil d’Etat dans sa décision du 17 juillet dernier.
Il souffre toutefois d’une exception, un bien appartenant à un tiers pouvant être qualifié de biens de retour à deux conditions, a précisé la Haute juridiction.
… sauf si le tiers n’en est pas vraiment un
La première est qu’il doit exister « des liens étroits entre les actionnaires ou les dirigeants du propriétaire du bien et du concessionnaire », de sorte qu’il apparaît que l’un exerce une influence décisive ou un contrôle sur l’autre. La deuxième condition est que le bien doit être exclusivement destiné à l’exécution du contrat de concession et avoir été mis à disposition du concessionnaire dans cet unique but.
Si ces conditions sont remplies, « le propriétaire du bien doit être regardé comme ayant consenti à ce que l’affectation du bien au fonctionnement du service public emporte son transfert dans le patrimoine de la personne publique », énonce le Conseil d’Etat. Ce dernier relève que c’est bien le cas en l’occurrence et que le casino doit donc revenir dans le patrimoine de l’autorité concédante à l’issue de la concession. La Haute juridiction valide ainsi le raisonnement du juge de première instance ayant conduit à l’annulation de la procédure de passation de la nouvelle concession.
Conseil d'Etat, 17 juillet 2025, n°503317, publié au recueil Lebon