Concessions hydroélectriques : les deux pistes de l’Assemblée nationale pour éviter la mise en concurrence

Deux solutions pour sortir du contentieux avec Bruxelles sont plébiscitées par la mission d’information parlementaire dédiée aux installations hydroélectriques : leur exclusion du champ d’application de la directive Concessions ou le passage du régime concessif vers celui de l’autorisation. Les députés font un pas vers la Commission européenne en proposant la création d’un mécanisme compensatoire à destination des opérateurs concurrents des exploitants actuels.

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barrage hydroélectrqiue
Les concessions hydroélectriques sont au cœur d'un litige entre la Commission européenne et le gouvernement français.

Les installations hydroélectriques françaises sont au cœur d’un conflit depuis une vingtaine d’années. Celui-ci oppose la Commission européenne, réclamant que les concessions soient réattribuées, à l’issue d’une mise en concurrence, à l’Etat français, qui rechigne à lancer les procédures de renouvellement. Résultat : les 61 concessions actuellement échues (sur un total d’environ 340) continuent d’être exécutées par leur titulaire initial, en vertu du régime des « délais glissants » prévu à l’article L. 521-16 du Code de l’énergie.

Un statu quo qui « empêche la réalisation de tout investissement substantiel » dans la mesure où la poursuite de la concession échue doit se faire selon les conditions de départ, déplore la mission d’information parlementaire dédiée à l’hydroélectricité lancée en septembre 2024 à l’Assemblée nationale. Ses deux co-rapporteurs, les députés Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés) et Philippe Bolo (Les Démocrates), ont rendu publiques leurs conclusions mardi 13 mai 2025 pour tenter de sortir de cette impasse. Leur rapport met en avant deux solutions qui doivent permettre à la fois d’éviter la mise en concurrence et de mettre fin au conflit avec Bruxelles.

Les rapporteurs prennent le soin de préciser qu’ils ne sont pas défavorables à la mise en concurrence pour sélectionner les futurs exploitants des nouveaux barrages non rattachés à une concession en cours. Ils citent notamment le projet de station de transfert d’énergie par pompage (Step) sur le site des Lacs blanc et noir dans le massif des Vosges (Haut-Rhin), qui suscite l’intérêt de la plupart des producteurs alternatifs d’électricité.

Risque de sanctions

Car la France fait l’objet de deux procédures précontentieuses avec la Commission européenne. La première, initiée en 2015, conteste la position dominante d’EDF, qui détient environ 70 % de la puissance hydroélectrique installée, sur le marché français. La seconde, datant de 2019, porte sur le non-respect par l’Etat de la directive de 2014 sur les concessions. Comme le souligne le rapport de la mission d’information, la Commission « peut décider, à tout moment, de poursuivre la procédure en cours jusqu’à saisir la Cour de justice de l’Union européenne ». Laquelle pourrait prononcer des sanctions à l’encontre de la France.

Révision de la directive Concessions

Mais les députés se montrent optimistes et veulent croire qu’un déblocage est possible après deux décennies d’inertie. Ils entendent notamment profiter de la révision de la directive Concessions de 2014, dont les travaux ont débuté fin 2024, pour obtenir que les barrages soient exclus de son champ d’application.

C’est la solution privilégiée par la mission d’information car elle conduirait à ce que les installations hydroélectriques puissent toujours être exploitées sous le régime concessif, permettant notamment un haut niveau de prescriptions pour l’exploitant, mais sans que doivent être mises en œuvre les procédures prévues par la directive. Les concessions échues pourraient donc être réattribuées sans mise en concurrence préalable. 

Exception sectorielle

Très concrètement, la mise en œuvre de cette solution implique que les concessions hydroélectriques soient inscrites dans la future directive au rang des exceptions sectorielles. Les parlementaires s’appuient notamment sur l'exemple du secteur de l’eau potable, dont l’exclusion du champ de la directive de 2014 avait été obtenue par l’Allemagne en raison de sa complexité et des spécificités.

Les membres de la mission d’information entendent donc « faire reconnaître les spécificités du secteur hydroélectrique ».

A cet égard, ils ont envoyé une contribution à la Commission européenne dans le cadre de la consultation publique lancée en décembre 2024 en vue de la révision des directives Marchés publics et Concessions de 2014. Ils y listent les « différents enjeux liés aux ouvrages hydroélectriques » : flexibilité du système électrique, gestion des crues, des milieux aquatiques et de préservation de la biodiversité, d’irrigation, de navigation, d’activités de loisirs, ainsi que de refroidissement des réacteurs nucléaires et de prévention des inondations des centrales.

« Avec la mise en concurrence, nous perdons le savoir et la connaissance de gestion de ces enjeux et nous multiplions les acteurs. Lesquels pourraient d’ailleurs avoir une vision davantage économique axée sur la rentabilité et n’auraient pas nécessairement comme priorité ces différents enjeux d’intérêt général », a défendu Philippe Bolo lors de la présentation du rapport devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.

A noter que la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le 30 mars dernier la résolution européenne des députés Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo invitant le gouvernement « à défendre l’exclusion des concessions hydroélectriques du champ de la directive Concessions lors des travaux de révision de celle-ci ».

De la concession à l’autorisation

L’issue de la révision de la directive Concessions est toutefois « incertaine », est-il souligné dans le rapport. Et quand bien même elle aboutirait, ce ne serait pas avant cinq ans, estiment les députés. Ils entendent alors défendre une proposition alternative : que les barrages passent du régime concessif à celui de l’autorisation.

Ce passage « écarterait automatiquement l’obligation de mise en concurrence liée à la directive Concessions, puisque le régime concessif ne s’appliquerait plus », expliquent-ils. « A ce stade la majorité des membres de la mission ont considéré que c’est la solution alternative la plus robuste », a indiqué Marie-Noëlle Battistel devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.

Questionnements juridiques

Le régime d’autorisation pose toutefois plusieurs difficultés juridiques. La première, non tranchée dans le rapport, est de savoir si les nouvelles autorisations doivent être délivrées à l’issue d’une mise en concurrence, dont les modalités sont plus souples que dans le cadre de la directive Concessions.

La seconde est pouvoir justifier l’existence d’un droit de priorité permettant aux actuels concessionnaires de se voir accorder une autorisation. La piste soulevée par le rapport est d’invoquer une raison impérieuse d’intérêt général au sens du droit de l’Union. « La Commission européenne s’est montrée plutôt fermée lorsque de telles raisons ont été invoquées par les autorités françaises », est-il toutefois rappelé.

« Le régime d’autorisation pose la question centrale du transfert de la propriété des ouvrages aux exploitants actuels », relève par ailleurs le rapport. Les parlementaires signalent que la vente des ouvrages n’est pas nécessairement requise. Mais en cas d’absence de cession « il pourrait y avoir un risque de requalification de l’autorisation en contrat relevant de la commande publique » dès lors que l’autorisation met à la charge de son bénéficiaire des obligations trop importantes. Et ce d’autant que les députés souhaitent prévoir qu’en cas de bascule vers le régime d’autorisation, ce dernier devrait prévoir des prescriptions « très proches des actuels cahiers des charges » des concessions.

Mise en place de contreparties

Les deux solutions plébiscitées par la mission d’information pourraient régler le précontentieux lié au respect de la directive Concessions mais ne résoudrait pas celui portant sur la potentielle position dominante d’EDF. C’est pourquoi le rapport préconise de mettre en place des mécanismes complémentaires visant notamment à mettre à disposition des concurrents des volumes de l’électricité produites par les barrages. Car les tiers intéressés par les concessions hydroélectriques françaises seraient davantage intéressés par la possibilité d’accéder à la production plutôt qu’à l’exploitation des ouvrages, relèvent les députés.

Pas « d’Arenh Hydro »

Les rapporteurs soulignent toutefois qu’ils ne veulent pas reproduire « les travers de l’Arenh, au premier rang desquels son fonctionnement asymétrique, sans aucune prise de risque des bénéficiaires ». Ils souhaitent ainsi que le mécanisme de contrepartie prévoie « un partage des risques liés à l’exploitation des ouvrages » entre l’exploitant et son bénéficiaire.

Bientôt une proposition de loi

« Nous devons désormais mener de front les démarches pour mettre en œuvre ces deux solutions », a déclaré Philippe Bolo. Les rapporteurs de la mission d’information vont ainsi déposer « au plus vite » une proposition de loi pour donner suite à leurs conclusions. Ils appellent toutefois à ne pas attendre son adoption pour mener les négociations avec la Commission qui « semble avoir véritablement pris conscience que la France n’ouvrira pas mécaniquement à la concurrences ses concessions hydroélectriques échues ou arrivant à échéance ».

La mission d’information a étudié, avant de les écarter, plusieurs solutions susceptibles d’éviter la remise en concurrence des concessions hydroélectriques.

La première est la prolongation des contrats en contrepartie de la réalisation de travaux par le concessionnaire. Mais cette solution « s’est déjà heurtée au refus de la Commission européenne », relève le rapport. Bruxelles considère que si elle porte sur des travaux d’ampleur, la prolongation est alors une modification substantielle prohibée, sauf exceptions, par la directive Concessions. Elle a d’ailleurs refusé pour ce motif la prolongation de la concession du barrage de Montézic (Aveyron) envisagée pour permettre à EDF de réaliser les travaux de création d’une nouvelle Step.

Deuxième piste non retenue : la transformation d’EDF en établissement public industriel et commercial (Epic). Une solution qui ne garantit pas que les concessions hydroélectriques puissent être exonérées de mise en concurrence, le droit de l’Union européenne considérant généralement les Epic comme des opérateurs économiques au sens de la directive Concessions. De plus le statut d’Epic est souvent assimilé à une aide d’Etat par Bruxelles.

Quant à la qualification de service d’intérêt économique général (Sieg), qui permettrait de limiter les règles de concurrence applicables aux barrages, elle semble « difficile à obtenir », estiment les rapporteurs.

Enfin, longtemps plébiscitée, la création d’une quasi-régie n’est plus souhaitable, affirment les députés. Ce régime autoriserait certes l’Etat à concéder les barrages directement sans mise en concurrence à l’entité placée en position de quasi-régie à son égard. Mais il génère trop d’incertitudes, notamment quant au degré d’indépendance que l’entité devrait avoir vis-à-vis de l’Etat.

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