Aucune nouvelle station de transfert d’énergie par pompage (Step) n’a vu le jour en France depuis trente ans. Un constat étonnant alors qu’il s’agit d’une des rares technologies permettant de stocker massivement l’électricité. Les Step peuvent ainsi contribuer au pilotage du réseau électrique, en injectant ou en retenant l'électricité en fonction des besoins. L'enjeu est de taille avec l’augmentation de la part des énergies renouvelables non-pilotables dans notre mix énergétique. Dans ses scénarios « Futurs énergétiques 2050 », RTE estime que 3 GW de Step supplémentaires seront nécessaires d’ici 2050 en vue d’assurer la flexibilité du réseau. L’actuelle programmation pluriannuelle de l’énergie a, elle, fixé l’objectif d’1,5 GW en plus d’ici 2035, soit 30 % de la puissance actuelle des cinq Step françaises.
EDF Hydro attend d’y voir clair
Les perspectives de développement existent et plusieurs projets sont à l’étude. Dans un référé du 2 décembre 2022, la Cour des comptes regrettait toutefois leur enlisement lié aux « difficultés rencontrées pour prolonger la durée des concessions concernées par ces investissements considérables ». Interrogée par le Sénat le 19 mars dernier, dans le cadre d’une commission d’enquête consacrée à l’électricité, Emmanuelle Verger-Chabot, directrice d’EDF Hydro, confirmait : « Le régime juridique des concessions ne nous permet pas de lancer la mise en développement de ces capacités additionnelles. Sur le projet de Montézic (Aveyron) prévoyant l’extension de plus de 450 MW d’une Step existante, nous sommes prêts à lancer les appels d’offres dès lors que nous aurons trouvé une solution sécurisant notre capacité à rester exploitant ».
Un statu quo qui pose problème
C'est l’absence de visibilité des exploitants, essentiellement EDF Hydro qui gère 70 % de la puissance hydroélectrique concédée, qui freinerait le lancement de nouveaux investissements adossés aux ouvrages existants. Pour mémoire, les concessions doivent en principe faire l’objet d’une procédure de mise en concurrence pour les réattribuer à leur terme. La Cour des comptes en dénombre une trentaine parvenue à échéance. Elles continuent pourtant d’être exploitées dans les mêmes conditions au titre du mécanisme des « délais glissants » qui permet de les prolonger tant que l’Etat n’a pas désigné de nouveau gestionnaire. Ce statu quo fait l’objet d’un contentieux avec la Commission européenne, qui a notamment adressé une mise en demeure à la France pour lui enjoindre de procéder aux remises en concurrence. Ce n’est toutefois pas cette voie qui semble privilégiée et le sort des concessions pose toujours question.
Vers un changement de régime ?
EDF a une solution pour mettre fin au contentieux avec la Commission européenne et régler le sort des concessions. « Elle réside dans le transfert vers un régime d’autorisation d’exploiter », a présenté Emmanuelle Verger-Chabot lors de son audition au Sénat. Une piste qui semblait avoir les faveurs du gouvernement. L’avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique présenté en janvier contenait des dispositions autorisant le gouvernement à prendre une ordonnance pour réformer le régime des installations hydroélectriques en ce sens. Mais le texte est désormais abandonné a indiqué le cabinet de Roland Lescure le 11 avril, annonçant dans le même temps l’ouverture d’une mission parlementaire sur les barrages dans la perspective de débloquer les investissements. Une tâche qui s’annonce fastidieuse. « Il n’est pas réaliste de croire que nous arriverons à instaurer un régime unique de l’hydroélectricité. Il faut distinguer EDF, la CNR qui fait l’objet d’une concession tout à fait particulière, et les autres opérateurs », estime Alix Perrin.
« Les investissements auraient pu évoluer dans le cadre des concessions existantes », nuance néanmoins Alix Perrin, professeure de droit public à l’université Paris-Dauphine. Par exemple la loi EnR du 10 mars 2023 a introduit des dispositions pour favoriser la réalisation d’investissements par les concessionnaires pendant la période de « délais glissants ». « Je crois qu’un rapport de force s’est instauré, les opérateurs ne faisant plus rien tant qu’ils n’ont pas obtenu des engagements sur l’acquis », a déclaré l’universitaire devant la commission d’enquête sénatoriale.
Pas de Step pour la CNR
Un exploitant a, lui, davantage de visibilité. La Compagnie nationale du Rhône (CNR) a vu sa concession unique, qui porte sur tous les ouvrages du fleuve, soit 25 % de la puissance hydroélectrique française, prolongée jusqu’en 2041 par une loi de 2022. Cet allongement s’accompagne d’un vaste plan d’investissements. Mais il ne comprend pas de projet de Step. « Nous n’exploitons pas de Step aujourd’hui », a expliqué le directeur général de la CNR, Julien Français, lors de son audition au Sénat. Etendre des Step existantes est une chose, en construire en est une autre. Cela implique notamment des phases de concertation préalable, des autorisations à obtenir, etc. ».
Un modèle financier à définir
Autre frein à lever : le financement. Le développement des Step nécessite des investissements importants et leur modèle financier n’est pas encore bien défini. Dans son rapport annuel publié le 12 mars 2024, la Cour des comptes invite d’ailleurs « à ne plus considérer les Step comme des ouvrages ordinaires destinés à commercialiser de l’électricité sur le marché de détail mais comme des équipements destinés à contribuer à la flexibilité du réseau. Leur statut concurrentiel et leur mode de rémunération devraient être revus en ce sens ».
Des premières pistes sont sur la table. La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a rendu public le 10 avril 2024 la synthèse de la consultation menée un an plus tôt sur la forme que prendrait un éventuel soutien public au développement de nouvelles Step. Plusieurs développeurs de projets y ont pris part, comme Alpiq, Engie, General Electric ou encore Sun’R. Tous s’accordent sur la nécessité de prévoir un soutien financier de l’Etat, prenant la forme d’un complément de rémunération ou d’une aide à l’investissement (solution privilégiée par la Commission de régulation de l’énergie). Dans tous les cas, la mise en place d’un tel mécanisme s’accompagnerait d’une mise en concurrence.
Bientôt une sixième Step ?
Un projet de nouvelle Step, non rattachée à une concession déjà en cours d'exécution, est bien avancé. Située sur le site des Lacs blanc et noir (Haut-Rhin), il s’agit d’une installation existante, en sommeil depuis plusieurs années. D’importants travaux de rénovation sont nécessaires. Elle donnera lieu à une nouvelle concession, dont la procédure d’attribution devrait être lancée prochainement, pour une mise en service espérée en 2030. Les entreprises ayant répondu à la consultation de la DGEC ont toutes fait part de leur intérêt pour ce projet.