Le débat sur les concessions d’autoroute a repris de la vigueur en 2023. Dernier épisode en date : le 12 septembre, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a annoncé sa volonté de « récupérer les surprofits réalisés par les sociétés d’autoroute » par le biais d’une contribution fiscale à voter dans le budget pour 2024.
Le gouvernement avait sollicité l'avis du Conseil d'Etat dès le mois d'avril sur cette question, ainsi que sur la possibilité de résilier les contrats de concessions conclus entre l'Etat et les sociétés d'autoroute de manière anticipée. Il a finalement décidé, à quelques jours des premiers débats parlementaires sur le projet de loi de finances pour 2024, de rendre publics les deux avis rendus le 8 juin.
Taxer les sociétés concessionnaires : c’est possible…
Le Conseil d’Etat ne s’oppose pas à la création d’une taxe concernant les seules sociétés titulaires de contrats de concessions d’autoroutes, qui constituent « une catégorie homogène qu’il est loisible au législateur d’imposer de manière spécifique ». Mais l’Etat se heurte à un obstacle : les cahiers des charges des concessions d’autoroutes comportent toute une clause prévoyant justement qu’en cas de création d’une nouvelle fiscalité « spécifique aux sociétés concessionnaires d’autoroute », les titulaires ont droit à une compensation.
… mais il faudra compenser
Pour la Haute juridiction, les conditions permettant à l’exécutif de neutraliser par une loi cette stipulation contractuelle ne semblent pas remplies, le gouvernement devant justifier d’un motif d’intérêt général suffisant pour pouvoir remettre en cause une clause d’un contrat légalement conclu. Or le Conseil d’Etat estime tout d’abord que la protection des usagers face à une répercussion tarifaire ne constitue pas un tel motif dans la mesure où la compensation en cas de création d’une taxe ne doit pas nécessairement prendre la forme d’une hausse des péages.
En outre, la nouvelle taxe ne pourrait pas non plus être justifiée au motif qu'elle viserait à corriger un effet d’aubaine lié au fait que les sociétés d’autoroutes ont bénéficié de la baisse de l’impôt sur les sociétés – leur rentabilité prévisionnelle étant estimée sur l’ancien taux en vigueur au moment de la conclusion des contrats : « Dans le cadre juridique propre aux contrats de concession, les évolutions de la fiscalité générale doivent être regardées non comme des effets d’aubaine mais comme des aléas normaux de l’exploitation [qu’ils] soient favorables ou défavorables au concessionnaire », est-il noté dans l’avis.
Equilibre instable
Car le contrat de concession repose d’abord et avant tout sur le transfert de risque, rappellent les sages du Palais-Royal. Ce risque doit jouer dans les deux sens, prennent-ils soin de préciser également. Le concessionnaire est ainsi fondé à bénéficier d’évolutions favorables de la situation économique, telle que la baisse des taux d’intérêts, des coûts… ou de la fiscalité.
Et le risque ne doit porter que sur des facteurs extérieurs. Ainsi, en cas de décision unilatérale de l’Etat de modifier les conditions d’exécution du contrat, le titulaire a le droit d’être indemnisé. « Le Conseil d’Etat valide l’analyse qui nous a conduit à introduire, par sécurité juridique, la clause de compensation si notre cocontractant décide de créer une taxe spécifique », s’est satisfait Jean-Vianney d’Halluin, directeur Concessions Cofiroute et Vinci Autoroutes lors d’un colloque organisé à Paris jeudi 14 septembre par l’Institut de la gestion délégué (IGD), fondation qui regroupe entreprises et personnes publiques. Intervenant également à ce colloque, Guillaume Delaloy, adjoint au sous-directeur du droit de la commande publique de la Direction des affaires juridiques de Bercy, n’a pas souhaité commenté les avis rendus par le Conseil d’Etat.
Quid d’une taxe sur les toutes les concessions ?
Pour contourner cet obstacle, le gouvernement pourrait-il créer non pas une taxe sur les seules sociétés d’autoroutes mais sur toutes les sociétés titulaires d’un contrat de concession ? Oui, répond le Conseil d’Etat, alertant tout de même sur un point : « Toute nouvelle contribution, qui, sans viser explicitement les sociétés concessionnaires d’autoroutes, aurait pour effet pratique, compte tenu de ses modalités, de peser exclusivement ou quasi exclusivement sur elles pourrait entrer […] dans le champ de l’article [ouvrant droit à compensation] ».
Par ailleurs, restreindre cette taxe aux concessions conclues avec l’Etat (autoroutes ou aéroports par exemple) contreviendrait au principe d’égalité estime le Conseil d’Etat. Le cas échéant, la nouvelle contribution devra viser tous contrats de concession, y compris ceux conclus avec les collectivités territoriales.
La rentabilité en question
Si l’Etat envisage de taxer les concessionnaires d’autoroute, c’est parce qu’ils bénéficieraient d’une rentabilité excessive. Autre solution étudiée face à ce déséquilibre supposé : résilier le contrat. Reprenant les termes d’un précédent avis rendu en 2015, le Conseil d’Etat relève qu’une telle résiliation pourrait être envisagée si les bénéfices deviennent importants au point que la « durée [de contrat] initialement convenue n’aurait plus de sens ». Il ajoute aujourd’hui que l’évolution des bénéfices du concessionnaire doit être « particulièrement importante et durable » et doit conduire à « une altération profonde et irréversible de l’équilibre économique de la concession ».
Que l’Etat ne puisse pas reprendre ce qu’il a accordé dans le contrat paraît logique
— Jean-Vianney d’Halluin
A cet égard, l’avis insiste à nouveau sur la nécessité de prendre en compte le transfert de risque dans l’analyse de la rentabilité d'une concession. Elle ne pourrait pas être qualifiée d'excessive du seul fait que les bénéfices importants dégagés par le concessionnaire découlent uniquement des optimisations qu’il a pu opérer compte tenu de la conjoncture économique. Le titulaire peut légitimement espérer dégager des bénéfices, « au regard du risque de pertes [qu’il] a accepté de courir en contrepartie des possibilités de gains que peut lui procurer une situation économique favorable ». « Que l’Etat ne puisse pas reprendre ce qu’il a accordé dans le contrat paraît logique » estime Jean-Vianney d’Halluin.
Résilier le contrat : pas si simple
En tout état de cause, le Conseil d’Etat ne semble pas considérer la résiliation pour motif d’intérêt général comme étant la meilleure solution au regard notamment de la durée restante relativement courte des contrats de concession les plus anciens. Il relève également que ce choix requiert « une préparation sérieuse » et implique que l’exécutif « ait déjà envisagé l’organisation future du service public et qu’il en ait défini le modèle ».
Il alerte en outre sur la clause dite de rachat introduite dans les concessions d’autoroute qui prévoit l’indemnisation du concessionnaire en cas de résiliation anticipée. Et Jean-Vianney d’Halluin de conclure : « L’Etat peut tout mais l’Etat paiera ».