La question de l’équilibre – ou plutôt du déséquilibre – des contrats de concessions autoroutières conclus entre l'Etat et les sociétés concessionnaires est un serpent de mer. Les premiers mois de 2023 ont remis le sujet dans l’actualité. En janvier, l’Autorité de régulation des transports (ART), autorité publique indépendante chargée de la régulation économique des activités de transports, publiait son deuxième rapport sur l’économie générale des concessions autoroutières, soulignant la nécessité de rééquilibrer les contrats en faveur de l’Etat. Il était suivi en février d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) faisant le même constat. En réponse, le gouvernement a sollicité le Conseil d’Etat avec deux solutions à l’étude : taxer davantage les concessionnaires ou raccourcir la durée des concessions. Le Conseil d’Etat s’est prononcé fin juin dans un avis non rendu public. Selon les informations des Echos, c’est la piste de la taxation qui serait privilégiée, à condition qu’elle touche toutes les concessions d’Etat – et non uniquement les autoroutes. C’est dans ce contexte que l’ART a publié le 6 juillet deux documents complémentaires à son rapport de janvier. Sans remettre en cause le principe des concessions, l’institution invite à renforcer leur encadrement.
A la recherche de la juste rémunération
Le premier focus est consacré à l’épineuse question de la rentabilité des concessions : le bénéfice des sociétés concessionnaires est-il raisonnable ou disproportionné ? Dans un premier temps, l’ART justifie son choix de retenir le taux de rentabilité interne « projet » (TRI projet) comme indicateur de mesure de la rentabilité. Pour le régulateur, « le TRI projet de la concession est l’indicateur le plus pertinent pour évaluer la rentabilité des concessions ». Celui-ci « mesure l’équilibre entre les charges et les recettes engendrées par le contrat » sans prendre en compte « les modalités de financement ni la politique de rémunération des actionnaires », au contraire du TRI actionnaires (privilégié par l'IGF dans son rapport de février) qui permet d’évaluer la rentabilité des capitaux investis par les actionnaires et non la rentabilité du projet stricto sensu. L’ART explicite ensuite sa méthode de calcul du TRI projet des concessions autoroutières, qui aboutit à un taux de rentabilité moyen de 8 % en 2022 pour les sept concessions historiques privées (APRR, Area, ASF, Cofiroute, Escota, Sanef et SAPN).
« A l’échéance des concessions, les recettes perçues durant le contrat dépasseront probablement les coûts, y compris la rémunération des capitaux investis », relève l’ART. Pour autant, cela ne signifie pas que la rentabilité des concessions serait excessive. L’administration souligne que l’analyse de la rentabilité doit tenir compte des aléas inhérents aux contrats de concession : le bénéfice devient excessif uniquement s’il s’écarte significativement des prévisions initiales. Or, l’ART estime que l’écart positif entre le TRI projet des concessions et le coût du capital sur la durée des concessions « apparaît compatible avec les aléas normaux d’une concession ».
Néanmoins, le régulateur note que cette analyse ne doit pas clore le débat sur la juste rémunération des concessionnaires d’autoroutes. Il relève que les contrats actuels contiennent « plusieurs imperfections […] qui tendent à s’accompagner d’effets haussiers sur la rémunération des capitaux investis par le concessionnaire ». Pour l’ART, la solution n’est pas d’encadrer la rentabilité dans le contrat en fonction d’un indicateur financier de référence permettant d’ajuster le contrat en cas d’écart. Une telle clause, si elle prévient les effets d’aubaine, limite également d’emblée le rendement du contrat ; le concessionnaire n’est alors pas incité à faire mieux. L’ART invite plutôt à repenser le partage des risques entre concessionnaire et concédant, pour un meilleur équilibre des contrats.
Vers un encadrement consensuel de la rentabilité ?
La notion de risque est au cœur de la définition de la concession (article L.1121-1 du Code de la commande publique). Pour rappel, c’est un contrat par lequel le risque lié à l’exploitation d’un ouvrage ou d’un service est transféré au concessionnaire. Le focus de l’ART consacré au partage des risques dans les contrats de construction, d’entretien et d’exploitation des autoroutes est à cet égard particulièrement éclairant sur la logique économique qui sous-tend les contrats de concession. Ainsi l’ART rappelle tout d’abord que « transférer un risque à un concessionnaire, c’est lui en faire supporter les conséquences financières » que celles-ci lui soient favorables ou défavorables. Elle note également que le portage d’un risque a nécessairement un coût : « La véritable question est donc de savoir si le transfert du risque est valorisé à son juste prix ».
Le régulateur observe que le transfert du risque peut avoir deux effets. Soit un effet incitatif : le concessionnaire est invité à être efficace pour optimiser les coûts. C’est le cas notamment pour les risques qu’il peut maîtriser, par exemple ceux liés à la construction. Soit un effet d’aubaine si la réalisation du risque génère un gain pour le concessionnaire sans intervention de sa part, notamment dès lors que le risque transféré est en réalité maîtrisable par le concédant (l’Etat). Le risque lié à la fiscalité en est une bonne illustration : « La baisse progressive de l’impôt sur les sociétés entre 2018 et 2022 s’est traduite par un gain cumulé de 15 milliards d’euros jusqu’à la fin des concessions », relève l’ART.
L’enjeu, selon l’étude, est alors d’arbitrer « entre les incitations que l’on souhaite créer chez le concessionnaire et la rente que l’on est prêt à lui céder ». Pour l’ART, cet arbitrage est facilité lors de la conclusion du contrat. Elle estime que « lors d’un appel d’offres, le jeu concurrentiel fait que les candidats n’ont pas à intérêt à demander un prix excessif pour couvrir leur risque, s’ils souhaitent que le contrat leur soit attribué » ; davantage de risques peuvent donc leur être transférés sans surcoût pour l'Etat. En revanche, la négociation des avenants est un moment plus sensible. L’absence de concurrence et l’asymétrie d’information en défaveur de l’Etat avantagent le concessionnaire. Il est alors en mesure d’obtenir une « compensation excessive pour supporter le risque ». Pour pallier cet écueil, l’ART propose de prévoir des clauses de partage des risques. Il s’agit s’inscrire une prévision dans le contrat (ou l'avenant) : « Si la prévision est dépassée, le délégataire partage les bénéfices avec l’Etat ; […] au contraire, si la prévision n’est pas atteinte, il partage les pertes avec l’Etat ». Le partage des risques ainsi établi entre les deux parties permet de « maintenir un certain degré d’incitation à l’efficacité pour le concessionnaire, sans lui octroyer une rente excessive » conclut l'ART.