Commande publique : cette proposition de loi qui entend lever le secret des affaires

La députée Christine Arrighi a déposé le 3 décembre une proposition de loi pour rendre inopposable le secret des affaires aux marchés publics et aux concessions. « Il empêche le contrôle et la transparence citoyenne », estime la parlementaire à la lumière de son expérience de rapporteure de la commission d'enquête consacrée à l'autoroute A69. 

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Les contrats de concession et les marchés publics sont communicables, sous réserve des informations relevant du secret des affaires.

Rendre inopposable le secret des affaires aux contrats de la commande publique, tel est l’objet de la proposition de loi déposée le 3 décembre par la députée Christine Arrighi (Haute-Garonne, Ecologistes-Nupes). L’unique article du texte « modifie le Code du commerce, le Code la commande publique et le Code des relations entre le public et l’administration afin de garantir un juste équilibre entre la nécessité de protéger le secret des affaires et l’indispensable besoin de transparence de tous les contrats de commande publique », est-il expliqué dans son exposé des motifs.

Favoriser le contrôle

Cette proposition fait suite à la commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 conduite entre janvier et juin 2024, dont Christine Arrighi était la rapporteure. « Je me suis rendu compte que, lorsqu’il s’agit des contrats de la commande publique, le secret des affaires empêche le contrôle et la transparence citoyenne, ainsi que la démocratie environnementale et financière », développe la parlementaire qui fait part des difficultés rencontrées pour obtenir les informations relatives à la concession passée entre l’Etat et Atosca (filiale de NGE). Elle se souvient notamment que la première version qui lui a été communiquée était largement grisée, en raison de la technique dite du « caviardage » consistant à masquer les éléments relevant du secret des affaires.

Ce n’est qu’en usant de ses pouvoirs spéciaux, conférés par sa qualité de rapporteure de la commission d’enquête, qu’elle a finalement pu obtenir les pièces contractuelles dans son intégralité. Ce qui lui a permis de constater quelques incohérences, par exemple s’agissant du sort des délaissés d’autoroutes. « L’autorisation environnementale prévoit, à titre de mesure compensatoire, qu’ils reviendront à la nature. Or dans le contrat de concession, il est indiqué que seront installés des panneaux photovoltaïques sur ces délaissés », relate Christine Arrighi.

Caviardage abusif

« La loi de 2018 ayant instauré le secret des affaires en France (loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018) fait une lecture très extensive de la directive européenne qu’elle transpose (directive 2016-943 du 8 juin 2016) », estime-t-elle. Le cadre juridique national offrirait ainsi une large marge de manœuvre aux cocontractants de marchés publics ou de concessions. « Ils ont presque toute liberté pour apprécier ce qui relève du secret des affaires », observe la parlementaire. Une faculté dont ils auraient de temps en temps tendance à abuser. « En pratique, il y a parfois des éléments masqués dont on se demande s’ils revêtent vraiment un caractère protégé par le secret des affaires », poursuit la députée.

Garantir la protection pendant la mise en concurrence

La protection offerte aux contrats de la commande publique serait en outre trop étendue dans le temps. Christine Arrighi relève ainsi que le secret des affaires restera opposable au contrat de concession de l’A69 pendant toute sa durée, soit durant 55 ans. Pour la députée, il conviendrait plutôt de distinguer la phase d’attribution et la phase d’exécution. « Je ne conteste pas le secret des affaires, qui doit s’appliquer pendant les appels d’offres, sous peine de fausser la concurrence, souligne-t-elle. En revanche, il ne doit plus être opposable une fois le contrat signé et en cours d’exécution ».

Réactions mitigées

La proposition de loi suscite déjà des réactions. Sur Linkedin, l’avocat Thomas Vaseux pointe le risque « de priver d’objet la commande publique, puisqu’aucun opérateur n’aurait évidemment d’intérêt à répondre à de tels contrats s’il sait que son offre et ses éléments financiers pourront être librement divulgués à des tiers ». Sur le même réseau, Arnaud Latrèche, vice-président de l’Association des acheteurs publics, fait valoir que « le droit positif permet déjà d’obtenir bon nombre d’informations et de documents concernant les contrats de la commande publique ». Il ajoute que « la transparence est déjà garantie, en droit », tout en reconnaissant « qu’en pratique, il est effectivement permis d’en débattre… ».

L’article L. 151-1 du Code de commerce, créé par la loi du 30 juillet 2018, indique qu’est protégée au titre du secret des affaires toute information qui n’est pas généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité, revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret, et fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables pour préserver son caractère secret.

L’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l’administration dispose que ne sont pas communicables les documents administratifs dont la communication porterait atteinte au secret des affaires, qui comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières, et des stratégies commerciales ou industrielles.

La Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) relève que les contrats de la commande publique constituent des documents administratifs communicables, sous réserve des informations relevant du secret des affaires. Elle a précisé, au fil de ses avis, les informations contractuelles pouvant, selon elle, être communiquées ou non à ce titre.

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