Décryptage

Arbres d’alignement : le décret d’application de la loi 3DS enfin publié

La procédure déclarative et d’autorisation permettant de déroger au principe général de protection des allées d’arbres et d’alignement d’arbres bordant les voies ouvertes à la circulation publique est enfin précisée. Le décret du 19 mai 2023 crée également une contravention en cas de non-respect de ses dispositions.

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Le décret encadrant les dérogations au principe général d'interdiction de porter atteinte aux allées d'arbres et aux arbres d'alignement est publié.

Mieux vaut tard que jamais. Un an après l’entrée en vigueur du dispositif prévue par la loi 3DS du 21 février 2022 visant à protéger les allées d’arbres et arbres d’alignement, le décret du 19 mai 2023 apporte enfin des précisions sur les procédures dérogatoires applicables.

De la loi pour la reconquête de la biodiversité…

Pour mémoire, la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages avait institué, à l’article L. 350-3 du Code de l’environnement, un principe général de protection pour « les allées d’arbres et alignements d’arbres qui bordent les voies de communication ». L’article – issu d’un amendement rapidement adopté – prévoyait qu’il pouvait être dérogé dans certains cas à ce principe par « l’autorité administrative » - sans identifier laquelle - lorsque l’atteinte était justifiée par l’état des arbres ou pour les besoins « d’opérations de construction » - sans viser les travaux sur les voies elles-mêmes – et sous réserve d’une compensation.

Du fait des imperfections manifestes de la rédaction adoptée, les collectivités ont été rapidement exposées à des actions contentieuses et parfois contraintes de suspendre la réalisation de certains de leurs projets pour des raisons procédurales. Le Conseil d’Etat, dans un avis contentieux du 21 juin 2021, avait fait lui-même un effort important d’interprétation, en considérant que la délivrance par le maire d’une autorisation d’urbanisme portant atteinte à un ou des arbres soumis à ce dispositif valait octroi de la dérogation.

… à la loi 3DS

Ce régime de protection a été fort heureusement réécrit par l’article 194 de la loi 3DS. De manière plus restrictive, le dispositif concerne les allées et alignements d’arbres qui bordent les « voies ouvertes à la circulation publique », cette catégorie de voies étant bien connue des juridictions administratives et des autorités locales.

Il s’agit, schématiquement, des voies publiques et des voies privées ouvertes à tous, sans contrôle ni restriction, sans dispositif de fermeture ou panneau en limitant l’accès à ses propriétaires. Il faut rappeler que ces derniers ont, en droit, la possibilité à tout moment de fermer leur voie au public…. On peut s’interroger sur le point de savoir si les canaux et voies d’eau ouvertes à la navigation doivent être regardées comme des voies ouvertes à la circulation publique.

L’interdiction générale de porter atteinte à un arbre d’alignement est réaffirmée, avec l’obligation de les conserver, c’est-à-dire de les maintenir et les renouveler. Plusieurs cas de dérogations sont prévus, qui peuvent désormais concerner les « projets de travaux, d’aménagements ou d’ouvrages », expression plus large que la notion de « constructions ». L’autorité administrative compétente est le préfet du département concerné, ce qui limite les risques de conflits d’intérêts quand les voies relèvent de la compétence de collectivités.

La loi 3DS a ainsi apporté une clarification bienvenue de la procédure et des conditions de dérogation, que l’on peut considérer comme élargies. Il n’en demeure pas moins que les auteurs de PLU peuvent parfaitement opter pour un régime de protection plus fort, par exemple, à travers le classement en espaces boisés, et prévoir que les arbres d’alignement peuvent être protégés à d’autres titres (par exemple lorsqu’ils sont situés aux abords d’un monument historique).

Entrée en vigueur sujette à interrogations

La date d’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions a été fixée par la loi au 1er avril 2022, l’article 194 visant les demandes déposées après cette date. Mais un décret d’application était  nécessaire pour définir les sanctions applicables et le régime d’instruction des dérogations. Certaines juridictions ont estimé qu’en l’absence de publication de ce décret, l’application de l’article L. 350-3 dans sa version issue de la loi 3DS était impossible (TA Lyon, 14 mars 2023, n° 2107432) alors que le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires affirmait l’inverse (Rép. min. 24 janvier 2023, n° 3458, JOAN, p. 634).

La situation est désormais éclaircie : le décret n° 2023-384 du 19 mai 2023, entré en vigueur le 22 mai dernier, apporte certaines précisions très attendues sur les procédures à suivre (nouveaux art. R. 350-20 et suivants du Code de l’environnement). On peut regretter en revanche l’absence de définition des notions d’allées et d’arbres d’alignement, ce qui génèrera des discussions sur le nombre d'arbres minimal pour qu’existe un alignement ou une allée, même si un guide ministériel devrait aborder cette question.

Déclaration préalable…

Une déclaration préalable – distincte de la déclaration préalable du Code de l'urbanisme – auprès du préfet suffit pour abattre ou porter atteinte à un arbre lorsque l'état sanitaire ou mécanique du ou des arbres, présente un danger pour la sécurité des personnes ou des biens ou un risque sanitaire pour les autres arbres, ou lorsque que « l'esthétique de la composition ne peut plus être assurée » et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d'autres mesures. Dans ces cas, le dossier doit alors comprendre tous les justificatifs nécessaires listés à l’article R. 350-20 du Code de l’environnement (identité et coordonnées du pétitionnaire, localisation et description de l’allée ou de l’alignement d’arbres concernés, opérations projetées, plans, etc.), ainsi qu’une étude phytosanitaire le cas échéant (art. R. 350-23 C. env.).

Le délai imparti au préfet pour se prononcer est court : un mois à compter de la réception de la déclaration préalable. Le déclarant peut mettre en œuvre son projet en l’absence d’opposition à l’expiration de ce délai (art. R. 350-26 C. env.).

… ou pas

Par exception, une déclaration n'est pas requise en cas de danger imminent pour la sécurité des personnes. Le préfet doit néanmoins être informé « sans délai des motifs justifiant le danger imminent » et les mesures de compensation des atteintes « doivent lui être soumises pour approbation ». Le délai laissé au préfet pour approuver ces mesures de compensation est également d’un mois à compter de la réception de ces informations. En l'absence de décision expresse dans ce délai, les mesures de compensations proposées sont réputées approuvées. (art. R. 350-27 C. env.).

Autorisation préalable

Lorsque l'abattage ou l'atteinte des arbres est rendu nécessaire « pour les besoins de projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements », une autorisation préalable est alors requise (art. L. 350-3 al. 4 C. env.). Le dossier doit comprendre les mêmes pièces que pour la déclaration. Doit en plus y figurer la description des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements en cause et les raisons pour lesquelles les opérations projetées sur les arbres sont nécessaires (art. R. 350-28 C. env.).

Le mode d’instruction de cette autorisation est emprunté en partie à la législation de l’urbanisme. Le nouvel article R. 350-29 du Code de l’environnement prévoit en effet que dans les quinze jours du dépôt, est adressé au pétitionnaire un récépissé lorsque le dossier est complet ou, s’il est incomplet, un courrier notifié par envoi recommandé avec demande d'avis de réception postal ou par voie électronique, qui indiquera de façon exhaustive, les informations, pièces et documents manquants à produire dans un délai d’un mois suivant la réception de ce courrier et rappelant qu’à défaut de cette production dans ce délai, la demande fera l'objet d'une décision tacite de rejet. Lorsque le dossier aura été complété dans le délai imparti au pétitionnaire, le préfet lui adressera le récépissé.

Silence vaut accord

Lorsque la demande est complète, le récépissé indique la date à laquelle, en l'absence de décision expresse, une autorisation tacite sera acquise. Le nouvel article R. 350-30 du Code de l’environnement prévoit en effet que la décision est notifiée au pétitionnaire par envoi recommandé avec demande d’avis de réception postal au plus tard deux mois après la réception d’une demande complète ou des informations, pièces et documents qui complètent le dossier, par le préfet et qu’à défaut de notification dans ce délai, l’autorisation est réputée accordée.

En outre, le décret précise utilement que si le projet nécessitant l’abattage d’arbres rend nécessaire la participation du public, les délais d’instruction d’un mois (déclaration) ou de deux mois (autorisation) sont interrompus pendant la durée de la consultation et reportés à la date de sa clôture.

Compensation

Dans tous les cas, les dossiers doivent comprendre de nombreux éléments et pièces, parmi lesquels « l'exposé des mesures d'évitement envisagées, le cas échéant, et des mesures de compensation des atteintes portées aux allées et aux alignements d'arbres que le pétitionnaire ou le déclarant s'engage à mettre en œuvre » (art. L. 350-3 C. env.). Etant précisé que cette compensation doit se faire « prioritairement » à proximité des alignements concernés et dans un délai raisonnable.

Ainsi, pour une déclaration ou une autorisation, le dossier devra contenir « l’exposé et le calendrier des mesures de compensation des atteintes portées à l’allée ou à l’alignement d’arbres que le pétitionnaire s’engage à mettre en œuvre sans préjudice de l’application des dispositions des articles L. 163-1 et suivants, l’indication de leur distance par rapport à l’allée ou l’alignement actuel ainsi que, le cas échéant, les raisons pour lesquelles la compensation ne peut pas être faite à proximité de cette allée ou de cet alignement ».

La référence aux articles L. 163-1 et suivants du Code de l’environnement permet de transposer à ce dispositif les principes généraux et moyens applicables en matière de compensations. Ces mesures de compensation devront ainsi viser un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité, et se traduire par une obligation de résultat, en étant effectives pendant toute la durée des atteintes. L’administration devra s’assurer du respect de ces exigences, sous le contrôle du juge le cas échéant.

Au regard de ces dispositions, une marge de manœuvre importante est laissée aux préfets pour apprécier, notamment, le caractère justifié des atteintes aux arbres et la suffisance des mesures de compensation. En pratique, seront discutés le nombre d’arbres à planter, leur degré de maturité, leur localisation, les garanties de compensation effective… Les incidences des abattages envisagés sur l’environnement, notamment la biodiversité susceptible d’y exister, ne manqueront certainement pas d’être débattues en cas de recours, ce qui pourrait susciter des interrogations notamment sur la nécessité d’organiser une procédure de participation du public avant la délivrance de l’autorisation ou la décision de non opposition.

Articulation avec les autres procédures

Ces déclarations et demandes d’autorisations sont distinctes de celles qui peuvent être nécessaires par ailleurs, notamment au titre du Code de l’urbanisme (par exemple lorsqu’il s’agit de travaux aux abords de monuments historiques [R. 421-20 et s.] ou des déclarations au titre des éléments végétalisés à préserver identifiés par le PLU [R. 421-17]), du Code du patrimoine (par exemple dans les sites classés) ou du Code de l’environnement (par exemple pour les dérogations espèces protégées [art L. 411-2]).

Pour ce qui concerne l’autorisation « arbres » de l’article L. 350-3, la loi 3DS avait complété l’article L. 181-2 du Code de l’environnement pour prévoir que l’autorisation environnementale, si elle est par ailleurs nécessaire, tient lieu de cette nouvelle autorisation : l’autorisation d’abattage se trouve alors embarquée dans l’autorisation environnementale.  Le dossier d’autorisation environnementale devra alors inclure un volet spécifique au titre de cette disposition (nouvel art. D 181-15-11 du Code de l’environnement).

Des sanctions d’application systématique

Enfin, le décret crée une contravention de 5e classe, punie d’une amende maximale de 1 500 euros pour les personnes physiques et de 7 500 euros pour les personnes morales. Elle pourra être prononcée en cas d’absence de déclaration ou d’autorisation préalable, d’absence de mise en œuvre des mesures de compensation, de non-respect de l’opposition ou des prescriptions posées par le préfet (nouvel art. R. 350-31 du Code de l’environnement).

En comparaison des autres sanctions de nature délictuelle prévues en matière d’urbanisme et d’environnement, le dispositif s’avère très clément. Il semble cependant susceptible de recevoir une application plus aisée et systématique pour l’administration, qu’en matière d’autorisations d’urbanisme ou de réparation de certains dommages causés à l’environnement au titre des articles L. 160-1 et suivants du Code de l'environnement.

Décret n° 2023-384 du 19 mai 2023 relatif au régime de protection des allées d'arbres et alignements d'arbres bordant les voies ouvertes à la circulation publique

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