En annulant le 27 février dernier l’arrêté préfectoral accordant une autorisation environnementale pour le projet d’autoroute A69, le tribunal administratif (TA) de Toulouse a ébranlé l’exécution du contrat de concession conclu le 20 avril 2022 entre l’Etat et la société Atosca. « La concession en elle-même n’est pas annulée, le contrat reste exécutoire. Mais il ne peut pas se poursuivre en l’absence d’autorisation environnementale, indispensable pour réaliser les travaux », précise Mathieu Gaudemet, avocat associé chez Joffe et Associés.
Accord amiable ou contentieux indemnitaire
Philippe Tabarot, ministre chargé des Transports, a confirmé vendredi 7 mars sur Sud Radio que l’Etat ferait appel de la décision du TA et demanderait un sursis à son exécution, seule façon que les travaux puissent reprendre avant que la cour administrative d’appel (CAA) ne se prononce. « La question qui se pose est celle des relations entre l’Etat et le concessionnaire pendant la période d’interruption des travaux, qui pourrait durer plusieurs années en fonction du déroulé de ce feuilleton juridictionnel », relève Mathieu Gaudemet.
Et d’avancer : « Il y aura sans doute des discussions indemnitaires entre les cocontractants ». Lesquelles viseraient à statuer sur les conséquences financières de la suspension des travaux. « Si les travaux peuvent finalement reprendre, les parties concluront probablement un protocole d’accord », pressent l’avocat, rappelant au passage que la concession est conclue pour 55 ans et que dès lors le concessionnaire disposera d’une durée importante pour pouvoir rétablir l’équilibre économique du contrat. Un contentieux entre Atosca et l’Etat n’est toutefois pas à exclure, y compris si le chantier repart. Sa survenance serait encore plus vraisemblable si l’autorisation environnementale venait à être annulée définitivement, entérinant la fin du projet et du contrat.
Manque à gagner
En cas d'arrêt de la concession, Atosca cherchera alors vraisemblablement à obtenir l’indemnisation de son manque à gagner. Ce qui n’est pas sans poser des difficultés, alerte Jean-Luc Champy. « Les tribunaux administratifs ne se montrent pas toujours favorables au concessionnaire lorsqu'un projet connaît des difficultés ou est abandonné en phase de construction, compte tenu du transfert de risque opéré par les clauses de la concession », rappelle-t-il.
Dans un avis rendu en 2018 au sujet des conséquences financières du renoncement de l’Etat au projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le Conseil d’Etat rappelait ainsi que l’indemnisation du manque à gagner du concessionnaire ne doit pas avoir pour effet de contrevenir au principe interdisant aux personnes publiques de consentir des libéralités. Une indemnisation du manque à gagner couvrant la totalité des gains espérés sur la durée du contrat pourrait être considérée comme disproportionnée, notamment au regard du niveau d’avancement du projet à la date de son abandon.
Plusieurs précédents
Que les parties s’accordent entre elles ou qu’elles fassent appel au juge, la facture pourrait être élevée pour l’Etat. Les premières estimations situent le coût de l’abandon du projet d’autoroute dans une fourchette allant de 500 M€ à 1 Mds€.
Des évaluations qui concordent avec le montant versé en indemnisation du renoncement à l’écotaxe qui faisait l’objet d’un contrat de partenariat : son titulaire, la société Ecomouv’, avait reçu près de 800 M€. Quant à la société Vinci, qui avait remporté la concession de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, elle réclame à l’Etat 1,6 Mds€ en réparation de son préjudice.
Situation inédite
Convoquer ces précédents permet de situer l’impact financier possible si le projet d’autoroute devait cesser. Mais le parallèle avec ces projets et celui de l’A69 n’est pas totalement approprié, l’écotaxe et l’aéroport ayant été abandonnés sur décision de l’Etat et non à la suite d’une décision de justice.
En outre, le moment où intervient la décision du TA de Toulouse fait que cette situation est inédite, souligne Mathieu Gaudemet. « L’annulation de l’autorisation environnementale intervient très tardivement, alors qu’en général les annulations sont prononcées bien antérieurement, plutôt au stade de la déclaration d’utilité publique (DUP), explique-t-il. Une grande partie des travaux a déjà été réalisée et le concessionnaire a déjà engagé plusieurs dizaines de millions d’euros ».
Atosca, responsable de l'obtention de l'autorisation environnementale
Le cas de l’A69 pourrait conduire à des ajustements dans les futurs contrats de concessions d’autoroutes. « Jusqu’à présent l’Etat est responsable jusqu’à l’obtention de la DUP, puis le concessionnaire assume les risques liés aux autorisations nécessaires aux travaux postérieurement à la DUP », détaille Jean-Luc Champy.
Un principe que l’on retrouve dans le contrat de l’A69 et dont la teneur sera éprouvée en cas de demande d'indemnisation par Atosca ayant comme motif l'abandon du projet pour cause d'annulation définitive de l'autorisation environnementale.
Les hypothèses de résiliation et leurs conséquences financières
Si l’autorisation environnementale est définitivement annulée et que le chantier ne peut pas reprendre, les parties peuvent s’entendre pour mettre fin à la concession et déterminer ensemble les conditions d'indemnisation du concessionnaire.
Le contrat de concession vise par ailleurs plusieurs cas de résiliation anticipée (dans la lignée de ceux figurant dans le CCP) :
- La résiliation pour force majeure, qui ne paraît pas correspondre à la situation d’une annulation d’une autorisation administrative. Elle nécessite en effet un événement extérieur aux parties, imprévisible et irrésistible.
- La résiliation pour motif d’intérêt général, sur décision unilatérale de l’Etat.
Dans ces deux cas, le contrat prévoit que les conditions d’indemnisation seront déterminées au regard de la jurisprudence la plus récente du Conseil d’Etat. L’indemnité couvre en principe l’encours des financements apportés par le concessionnaire (par fonds propres, quasi fonds propres et emprunt bancaire). En cas de force majeure, il n’est pas prévu d’indemnisation du manque à gagner, contrairement à la résiliation pour motif d’intérêt général.
A signaler que l’Etat pourrait considérer que l’annulation de l’autorisation environnementale est une faute d’Atosca, qui a la charge d’obtenir les autorisations nécessaires au bon déroulement du projet. Le contrat stipule que peut être prononcée la déchéance du concessionnaire, qui n’a alors droit qu’à une indemnisation très minime. Celle-ci ne permet pas de rembourser les frais de financement.
Vers une nouvelle répartition des risques ?
« Personne n’avait vraiment anticipé que l’opération puisse être remise en question dans son principe au stade de l’autorisation environnementale, resitue Jean-Luc Champy. Alors qu'en réalité s’interroger sur l'existence et le caractère suffisant des raisons impératives d’intérêt public majeur (RIIPM) comme l’a fait le TA de Toulouse revient à statuer sur le principe même du projet et implicitement à requestionner son utilité publique à un stade très tardif », estime l’avocat.
Et d'affirmer : « Les concessionnaires vont chercher à exclure du champ de leur responsabilité les situations dans lesquelles le projet est remis en cause dans son principe même. Autant la définition et le contenu des mesures "éviter, réduire, compenser" décrites dans le dossier de demande d’autorisation environnementale relèvent des choix du concessionnaire qui sont "validés" par les services de l'Etat au travers de l'autorisation, autant devoir justifier de l’opportunité du projet décidé par l'Etat avant de le concéder et des RIIPM ne peut relever de sa responsabilité », considère-t-il.
Sécuriser les financements
Le positionnement des banques devrait aussi pousser en faveur d'une révision de la répartition des risques. Car, pour mémoire, dans les concessions d’autoroute, une partie du financement de l’investissement repose sur des emprunts bancaires. Les prêteurs pourraient désormais être moins enclins à s’engager sur des projets dans lesquels le concessionnaire porte en totalité le risque d’obtention de l’autorisation environnementale.
« Faire évoluer le droit »
La décision rendue par le TA de Toulouse « ne manquera pas d’avoir des répercussions sur la perception du risque des grands projets d’infrastructure par les acteurs privés », considère également l'Institut de la gestion déléguée dans un communiqué du 7 mars. La fondation plaide pour qu’au-delà des ajustements contractuels que pourraient effectuer les parties, le droit évolue « de façon à faire en sorte qu’un projet ayant obtenu toutes les autorisations nécessaires pour sa réalisation ne puisse plus être remis en cause dans son principe ».
La décision rendue par le TA de Toulouse ne vise pas directement le contrat de concession. Mais celui-ci est lui aussi contesté devant la juridiction administrative. Les associations Agir pour l’environnement, Attac et Les Vallons ont déposé le 26 juin 2024 un recours en annulation à l’encontre de la concession conclue entre l’Etat et Atosca. Elles estiment que la durée du contrat, fixée à 55 ans, est excessive.
Si le contrat venait à être annulé ou résilié à la suite de ce recours, le Code de la commande publique (art. L. 3136-7 et suivants) prévoit que son titulaire a droit à l’indemnisation des dépenses qu’il a utilement engagées, notamment les frais liés au financement. Il n’est pas prévu d’indemnité au titre du manque à gagner. A noter que le contrat de concession de l’A69 reprend in extenso les termes du CCP sur ce point.