« Jeudi 27 février à 12h, j’avais 18 salariés et des camions, engagés sur le chantier de l’A69. A 14h, nous avons reçu l’ordre de rentrer immédiatement au dépôt. En deux heures, nous sommes passés en mode OFF, sans plus aucune option pour travailler », raconte, encore sonné, Gautier Castan, le patron de Travaux Affrètement français - TAF, une entreprise familiale de 38 salariés, spécialisée dans le transport de granulats et d’enrobés, basée à Soual dans le Tarn.
« Nous n’étions pas préparés à cela, confie, dépité, le jeune patron, c’est même tout le contraire. J’avais misé sur ce chantier et programmé mes budgets 2024 et 2025 en conséquence. J’avais emprunté 1,5 million d’euros pour acheter du matériel, embaucher et anticiper des départs à la retraite prévus dans mon entreprise en 2026. Aujourd’hui, j’ai perdu 35 % de mon activité en deux heures. »
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1 000 personnes se retrouvent sans emploi
Depuis, c’est le flou. Le patron tarnais essaye d’obtenir des informations juridiques auprès des syndicats de transporteurs, pour savoir ce qu’il peut ou doit faire ? « Je n’ai aucune expérience d’un arrêt aussi brutal d’activité, et j’essaye dans l’urgence de trouver des solutions pour transférer mes camions et mes salariés sur d’autres chantiers dans l’Hérault. Mais, derrière chaque véhicule, il y a un homme et une famille et il n’est pas question de bouger les gens comme des pions. » De son côté, le concessionnaire Atosca, ne souhaite pas commenter, mais confirme. « Aujourd’hui, 1 000 personnes se retrouvent sans emploi car nous avons stoppé toutes les commandes avec effet immédiat et avons demandé aux entreprises engagées, d’arrêter le chantier », indique un représentant du groupe.
Ce dernier s’est aussi chargé de la mise en sécurité du site, avec l’aide de sociétés de gardiennage, mais souhaite, là encore, rester discret « compte tenu des dégradations qui se sont produites par le passé [notamment, l’incendie de la cimenterie Carayon, NDLR]. ».
70 % du chiffre d’affaires 2025 envolé
Michel Huc, patron de la PME Sler, la Société lyonnaise d’équipements routiers, qui fabrique des barrières de sécurité et des corniches pour les ouvrages d’art, a, lui aussi, été sommé de quitter le chantier, jeudi 27 février à 14h et de ne plus y revenir. Depuis, il est passé en « en mode survie ». En route pour Lyon et l’un des sites de fabrication de ses tôles en acier, il s’apprête à faire constater par huissier l’état d’avancement de sa production. « L’arrêt de l’A69, c’est une catastrophe nationale pour Sler. Nous sommes une entreprise locale, basée à Léguevin en Haute-Garonne et nous misions totalement sur ces chantiers de proximité, indique-t-il. J’étais engagé à la fois sur l’A69 et sur les deux chantiers annexes, l’échangeur de Verfeil avec Vinci et l’élargissement de l’A68 en 2x2 voies, en continuité avec l’A69, qui impliquait la réhabilitation de petits ouvrages, avec Bouygues ». Le patron de Sler qui emploie 12 salariés et réalise entre 2,5 et 2,8 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, estime un manque à gagner proche du million d’euros et 70 % du chiffre d’affaires 2025 envolé. « Sur le chantier, j’interviens en bout de chaîne, et mon activité m’oblige à engager de la trésorerie pour acheter de l’acier, et fabriquer mes pièces ajoute-t-il. Il s’agit d’ouvrages sur mesure que je ne pourrai absolument pas réutiliser ailleurs. Alors, il scrute sa comptabilité avec inquiétude. Plusieurs situations de travaux de janvier ont été acceptées, et représentent des centaines de milliers d’euros d’encours. Elles doivent en principe m’être réglées à 45 jours. Si ce n’est pas le cas, ce sera le dépôt de bilan car je n’aurai plus de quoi payer mes frais généraux. »