« Plus jamais ça ! » pourrait être le slogan tant des partisans du projet de l'autoroute A69 entre Castres et Toulouse que des défenseurs de l’environnement. Car si l’annulation des autorisations environnementales par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février dernier est vécue comme une victoire par ses opposants, la bataille juridique est loin d’être terminée. L’Etat vient en effet de faire appel du jugement et a déposé en parallèle une demande de sursis à exécution permettant, s’il est accordé, de reprendre le chantier dans l’attente de la décision sur le fond de la cour administrative d’appel (CAA) de Toulouse. Et une loi de validation des arrêtés préfectoraux a été déposée et sera examinée en première lecture par le Sénat le 15 mai dans l’optique de permettre au chantier d’aller à son terme.
La justice administrative attaquée…
Que l’issue de cette saga juridictionnelle soit favorable aux uns ou aux autres, tout le monde a d’ores et déjà beaucoup perdu dans cette affaire : l’Etat, le concessionnaire, les élus locaux, mais aussi l’environnement dont la destruction d’espèces protégées par les travaux déjà entrepris est irréversible. Quant à la justice administrative, elle s’est presque retrouvée mise au ban de la société du jour au lendemain. Qualifiant le jugement - pourtant particulièrement bien argumenté et dont l'instruction n'a pas été excessive (un an et demi) - d’ « ubuesque », certains parlementaires ont déclaré ne plus vouloir « se soumettre à l’aléa d’une décision de justice ».
… mais indépendante
L’Etat lui-même, par la voix de son ministre des Transports, Philippe Tabarot, a estimé qu’il n’était pas acceptable que la justice puisse remettre en question une décision administrative. Faut-il rappeler que le juge « tire sa légitimité de son indépendance et qu’il s’en tient à l’application de règles de droit adoptées démocratiquement » ?, soulignait dans une tribune publiée le 7 mars dans Le Monde Julien Bétaille, maître de conférences à l’Ecole de droit de Toulouse et membre de l’Institut universitaire de France.
Plutôt que de désigner les juges comme les responsables de cet « immense gâchis » ou les associations qui ont exercé leur droit légitime d’agir en justice, ne faut-il pas regarder du côté de l’Etat et des gouvernements successifs qui en dépit des nombreux recours, « ont voulu, par bravade et par mépris à l’égard des requérants et du droit de l’environnement, s’affranchir de cette obligation évidente de prudence ? », s’interroge sur les réseaux sociaux Sébastien Mabile, avocat au Barreau de Paris.
Plus fondamentalement, cette situation pose la question de la temporalité de la justice administrative et appelle à réfléchir à une réforme des procédures que certains appellent d’ailleurs de leurs vœux, à l’instar de la FNTP ou de Départements de France qui plaident notamment pour une « réforme d'ampleur pour éviter le blocage des grands projets d'infrastructures ».
Encadrer les délais de jugement
Des experts ont déjà une idée des mesures à mettre sur pied. L’une des pistes possibles serait de faire en sorte que le juge administratif statue plus rapidement, soit en supprimant un degré de juridiction, soit en encadrant les délais pour statuer.
Arnaud Vermersch, avocat en droit de l’environnement, pré-associé chez DS Avocats, le rappelle : « Ce type de mesures existe déjà pour certains contentieux : ainsi, en matière de contentieux éolien, ce sont les cours administratives d’appel qui sont compétentes en premier et dernier ressort pour les litiges relatives aux éoliennes terrestres (art. R. 311-5 du Code de justice administrative [CJA]) et le Conseil d’Etat pour ceux relatifs aux éoliennes offshore (art. L. 311-13, issu de la loi Asap du 7 décembre 2020 et R. 311-1-1 du CJA, NDLR). Quant aux contentieux en matière d’énergies renouvelables, hors éolien, un décret du 29 octobre 2022 impose auxtribunaux administratifs et aux cours administratives d'appel de statuer dans un délai de dix mois » à peine de dessaisissement(art. R. 311-6 du CJA).
Supprimer un degré de juridiction
Sur le fait de confier le contentieux en premier et dernier ressort au Conseil d’Etat, Jean-Luc Champy, avocat associé chez White & Case, trouve l’idée intéressante mais « elle comporte certaines limites », en particulier « du point de vue de la garantie des droits des justiciables. Nous vivons dans un système de double degré de juridiction qui a un intérêt. Si pour gagner du temps, on multiplie les entorses au droit commun, on risque de perturber toute l'organisation de la procédure administrative contentieuse ».
Référé-suspension
Autre piste possible pour aller plus vite : le référé-suspension. Pour mémoire, lorsqu’une décision est contestée, le juge des référés, s’il est saisi, peut suspendre l’exécution de la décision si l’urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision (art. L. 521-1 du CJA). Or, Arnaud Vermersch constate que « parfois, le juge des référés ne se prononce pas sur le doute sérieux car il considère qu’il n’y a pas d’urgence et parfois, il n’y a même pas de référé déposé par les requérants ». Aussi, pour éviter le premier écueil, l’avocat estime qu’il serait « intéressant d’instaurer une présomption d’urgence, ce qui permettrait au juge de se prononcer « uniquement » sur le doute sérieux quant à la légalité, à l’instar de ce que le législateur a récemment mis en place pour certaines décisions en matière agricole » dans le cadre de la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire (cf. art. L. 77-15-3 du CJA).
Et pour éviter le second écueil, il propose d’ « assortir le dépôt d’une requête au fond d’une demande en référé-suspension dans le contentieux des autorisations environnementales, afin qu’un juge se prononce rapidement sur la légalité de l’autorisation dans ses grandes lignes ». Une solution qui ne pourrait toutefois réellement fonctionner qu’à condition que le juge des référés devienne « un véritable filtre de l’annulation », tempère l’avocat. « Saisi au fond, le tribunal pourrait alors mobiliser essentiellement ses pouvoirs de réformation des autorisations environnementales et prescrire par exemple des mesures compensatoires plus importantes ».
Suspension automatique des recours
Julien Bétaille, de son côté, veut aller plus loin et estime qu’il serait pertinent de prévoir que « le dépôt d’un recours contre ce type de projet entraîne automatiquement sa suspension et que concomitamment », le juge se prononce dans un délai d’un an. Une option qui laisse dubitatif Arnaud Vermersch : « Cela n’aurait que peu d’impact, puisqu’en règle générale, les porteurs de projet ne prennent pas le risque de débuter les travaux tant que le recours n’est pas purgé ».
Contrôle de la RIIPM au stade de la DUP
Selon Jean-Luc Champy, l’une des véritables difficultés finalement, c’est l’articulation des procédures qui implique que l’on questionne le principe même du projet à plusieurs étapes, « y compris de manière sans doute trop tardive, au moment de l’autorisation des travaux. Qu'on l’interroge au moment du débat public, c'est normal, c'est fait pour cela. Même chose au stade de la déclaration d’utilité publique (DUP). Mais une fois que la DUP est prise, on ne devrait plus pouvoir remettre en cause le projet dans son principe, sauf en attaquant l'acte qui a permis de l'autoriser. » Autrement dit, il faut que cette question soit purgée beaucoup plus en amont. Comment ?
Pour l’avocat, la solution serait de « prévoir que la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) d’un projet soit contrôlée au stade de la DUP. Concrètement, l’acte qui déclarera l'utilité publique devra en même temps déclarer - et donc démontrer - l’existence d’une RIIPM, une fois pour toutes. On n’y reviendrait plus au stade de l’autorisation environnementale ». Une mesure beaucoup plus pertinente que la présomption de RIIPM, qui peut toujours être renversée.
Mesures ERC
Seules seraient alors contrôlées les modalités de mise en œuvre de l’autorisation. « Le juge, dans son rôle de gardien de protection de l’environnement, vérifiera d’une part, si les deux autres conditions de la dérogation espèces protégées [absence de solution alternative satisfaisante et absence de nuisance au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, NDLR] sont satisfaites et si les mesures ERC [évitement-réduction-compensation] des atteintes aux espèces protégées proposées par le maître d’ouvrage sont pertinentes. Et le cas échéant, imposer au maître d’ouvrage des prescriptions complémentaires.
Les infrastructures, des projets d’intérêt national majeur ?
Ce n’est pas tout à fait cette option qu’ont pour l’heure privilégiée les parlementaires. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de simplification de la vie économique (SVE), les députés réunis en commission spéciale ont d’une part élargi la définition des projets qualifiés d'intérêt national majeur (PINM) pour y inclure les projets d'infrastructure (art. 15, cf art. L. 300-6-2 du Code de l’urbanisme). Pour mémoire, cette qualification de PINM, qui existe déjà pour les projets industriels, est censée permettre au porteur de projet d’obtenir plus facilement une dérogation espèces protégées puisque le décret qui qualifie le projet de PINM « peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur ». D’autre part, ils ont instauré une présomption de RIIPM pour les « projets d’infrastructures déclarés d’utilité publique en application de l’article L. 122-1-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. » (art. 15 bis A, cf, art. L. 411-2-1 du Code de l’environnement). Le texte sera débattu en séance publique à partir du 8 avril.