Le Sénat ouvre le bal. Annoncée la semaine dernière, la proposition de loi visant à valider rétroactivement les autorisations environnementales du chantier de l’autoroute devant relier Castres et Toulouse a été déposée par les sénateurs centristes du Tarn, Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau ce 18 mars. L’objectif est clair : faire en sorte que les travaux, interrompus par la décision du tribunal administratif de Toulouse le 27 février dernier, reprennent et aillent à leur terme. Le sursis à exécution du jugement demandé par l’Etat dans l’attente d’une décision sur le fond par les juges d’appel ne suffisant pas, pour les parlementaires.
Pour rappel, le tribunal a annulé les arrêtés préfectoraux d’autorisation au motif que le chantier ne présentait pas de « raison impérative d’intérêt public majeur », l’une des trois conditions requises pour pouvoir déroger au principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées.
Une reconnaissance législative de la RIIPM
L’article unique de la proposition de loi a précisément pour objet de valider d’une part, « l’arrêté interdépartemental des préfets de la Haute-Garonne et du Tarn du 1er mars 2023 portant autorisation [de] la liaison autoroutière de Verfeil à Castres – A69 » et, d’autre part, « l’arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 2 mars 2023 portant autorisation environnementale […] de mise à 2x2 voies de l’A680 entre Castelmaurou et Verfeil en tant qu’ils reconnaissent une raison impérative d’intérêt public majeur [RIIPM], au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, au projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse. »
Un cadre strict
Les lois de validation sont strictement encadrées par la jurisprudence qui pose cinq critères :
- la validation doit poursuivre un but d'intérêt général suffisant ou d'impérieux motifs d'intérêt général. Selon l’exposé des motifs, le projet d’autoroute « remplit bien un objectif d'intérêt public majeur puisqu'il s'inscrit sur le long terme dans une logique globale d'aménagement du territoire et a pour objet de conforter le bassin de Castres-Mazamet, qui pourra ainsi prendre pleinement sa place dans le réseau des villes moyennes autour de Toulouse en tant que pôle d'équilibre de cette métropole. » Le gain de temps et la sécurité des riverains font aussi partie des arguments des sénateurs.
Pour Arnaud Vermersch, avocat en droit de l’environnement, pré-associé chez DS Avocats, la question est loin d’être aussi simple. « Peut-on avoir une loi de validation sur un sujet aussi précis ? La loi de validation ne doit pas être prise pour satisfaire des intérêts particuliers, mais doit avoir une portée générale ». Une autre rédaction, plus générale, aurait pu être envisagée. Le texte aurait pu par exemple indiquer que « les projets autoroutiers répondent par principe à une RIIPM », poursuit Me Vermersch.
Ensuite, l'acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle. Ici encore, les parlementaires considèrent ce critère rempli « puisqu'il se borne à faire reconnaître par la loi que le projet répond bien à une [RIIPM] au sens de l'article L. 411-2 du Code de l'environnement ». Arnaud Vermersch n’en est pas convaincu. « La jurisprudence du Conseil constitutionnel tend à reconnaître une valeur constitutionnelle à des principes et objectifs environnementaux », citant la décision QPC du 31 janvier 2020 selon laquelle « la protection de l'environnement, patrimoine commun des humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle en vertu du préambule de la Charte de l'environnement ». Autrement dit, si la loi de validation était votée, elle pourrait être censurée par les Sages de la rue de Montpensier, qui seront très probablement saisis.
Quant aux autres critères à remplir (respect des décisions de justice ayant force de chose jugée, respect du principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et une portée strictement définie de la loi de validation), ils n’appellent pas d’observation particulière.
Séparation des pouvoirs
Au-delà de ces critères, la loi pose la question de la séparation des pouvoirs. « A travers ce texte, il s’agit de faire obstacle de manière frontale à la décision du tribunal administratif, et de faire en sorte que la cour administrative d’appel infirme le jugement du 27 février », analyse l’avocat. De manière plus générale, « cela laisse entendre que le juge serait en permanence sous le contrôle du législateur, aujourd’hui en matière environnementale, demain sur d’autres sujets plus sensibles ».
La proposition de loi pourrait être examinée dans les prochaines semaines en commission puis en séance publique « sous réserve de la décision de la conférence des présidents », indique le Sénat. Le gouvernement, par la voix de son ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, soutient cette initiative parlementaire. Il avait même annoncé vouloir le cas échéant inscrire le texte « sur du temps gouvernemental ».