C’est la grande nouveauté de la réforme en cours des CCAG marchés publics : la création d’un CCAG maîtrise d’œuvre (MOE). Jusqu’à présent, les professionnels utilisaient pour les marchés de maîtrise d’œuvre le CCAG prestations intellectuelles (PI), en l’adaptant via des clauses particulières. Désormais, ce « bricolage » leur sera épargné. Ce CCAG dédié répond à une demande unanime des acteurs consultés par la Direction des affaires juridiques de Bercy dans le cadre des travaux de refonte des CCAG lancés à l’été 2019. Il entrera en vigueur, comme les autres CCAG, le 1er avril prochain, après son adoption définitive par arrêté.
Le CCAG MOE « reprend globalement l’architecture du CCAG PI », soulignait la DAJ en octobre dernier. Le document soumis à la consultation publique par Bercy du 15 janvier au 5 février se présente d’ailleurs sous la forme d’un tableau « avant » (CCAP PI) / « après » (CCAG MOE).
Afin d’assurer la cohérence des règles encadrant une opération, le préambule du CCAG MOE prend soin d’indiquer que : « Les documents particuliers du marché garantissent que les modalités d’exécution des prestations de maîtrise d’œuvre sont compatibles avec les clauses du CCAG travaux portant sur le rôle du maître d’œuvre dans le cadre de l’exécution des marchés de travaux, si ces derniers font référence au CCAG travaux. »
Il pourra aussi, dans le cas d’un marché global, être articulé avec d’autres CCAG, par dérogation à l’interdiction de rendre plusieurs CCAG applicables à un marché. Bercy prévoit un guide sur les marchés globaux pour aider les acheteurs à réaliser une telle combinaison.
Evolutions communes aux CCAG
Le CCAG MOE intègre d’emblée un certain nombre d’évolutions apportées à ses cousins et principalement au CCAG travaux. Par exemple, il comporte des articles relatifs au développement durable. Il détaille ainsi (article 16.1) les caractéristiques minimales qu’une clause d’insertion sociale doit respecter dans le cas où les documents particuliers du marché en prévoient une. Et impose le principe d’une clause environnementale (art. 16.2) dont il définit aussi les conditions.
Leur exécution devra être contrôlée, et les manquements sanctionnés par des pénalités à prévoir. Le CCAG MOE confie en outre au maître d’œuvre la responsabilité de la valorisation ou l'élimination des déchets créés lors de l’exécution des prestations pendant la durée du marché (article 16.2.3).
Des dispositions (article 33.2) sont introduites pour organiser la suspension des travaux par le maître d'ouvrage lorsque la poursuite de leur exécution est impossible "du fait de l’édiction par une autorité publique de mesures venant restreindre, interdire, ou modifier de manière importante l’exercice de certaines activités économiques en raison d’évènements extérieurs" (toute ressemblance avec une situation existante... n'étant pas fortuite). En pareil cas, les parties auront au maximum quinze jours pour arrêter les modalités de constatation des prestations exécutées, de répartition des surcoûts directement induits, de reprise de l’exécution, et les modifications à apporter au marché.
A souligner encore, au titre des ajouts similaires dans les divers CCAG, un plafonnement du montant des pénalités à 10% du montant hors taxes du marché (article 14.1) ainsi qu’une procédure contradictoire avant que des pénalités de retard puissent être infligées au titulaire (article 14.2.2) ; un encadrement des primes ou clauses incitatives (article 15.1) ; un système d’options A (plus avantageuse pour les PME) et B (toutes les entreprises au même régime) pour la fixation du taux des avances (article 11.1) ; ou encore, la valorisation des ordres de service prescrivant des prestations supplémentaires ou modificatives (article 19.1).
Dispositions financières
Concernant, toujours, l’exécution financière du marché, les rédacteurs du CCAG MOE ont fait le choix d’instaurer des prix révisables, dès lors que la durée du marché excède trois mois (art. 10.1.1). Le texte donne même une formule de révision applicable par défaut, reposant sur l’index ING. Lorsque les prix sont fermes, ils sont actualisables, selon des modalités plus détaillées que ne le faisait jusqu’alors le CCAG PI.
Par ailleurs, des règles relatives à l’intervention du maître d’œuvre dans le processus de facturation sont prévues : le CCAG MOE est Chorus-compatible. Il est bien entendu mentionné que le maître d’œuvre doit transmettre ses propres factures de façon électronique et selon les modalités prévues par le Code de la commande publique. Cela implique le dépôt sur le portail Chorus pro.
Mais en outre, l’article 11.3.3 dispose que « lorsque le maître d’œuvre est habilité à recevoir des demandes de paiement, il est tenu, pour l’exercice de ces missions, de s’intégrer et de se conformer au portail de facturation utilisé par le maître d’ouvrage lorsque ce portail le permet. Les modalités pratiques d’habilitation des maîtres d’œuvre pour accéder aux outils ministériels sécurisés sont prévues dans les documents particuliers du marché. ». Est ainsi évacué tout risque d’interruption de la chaîne de dématérialisation dans le processus de paiement des marchés de travaux.
Enfin, s’agissant du paiement du solde du marché de maîtrise d’œuvre, le CCAG dédié (article 11.8) organise un système de décompte général, à l’instar de ce qui existe dans le CCAG travaux. Est prévue notamment une règle d’acceptation tacite du décompte faute pour l’une ou l’autre partie d’accomplir les formalités qui lui incombent dans les délais contractuels.
Et pour tenir compte de la jurisprudence sur l’effet cristallisateur du décompte général définitif, le CCAG (article 11.9.3) énonce que « si le maître d’ouvrage a connaissance d’un litige ou d’une réclamation susceptible de concerner le titulaire au moment de la signature du décompte général, celui-ci est assorti d’une mention indiquant expressément l’objet du litige ou de la réclamation. A défaut, lorsque le décompte général sera devenu définitif, le maître d’ouvrage ne pourra appeler ce dernier à le garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre dans le cadre d’une procédure contentieuse au titre [desdits litiges ou réclamations] ».
Assurances
Le passage du CCAG PI à un CCAG dédié à la maîtrise d’œuvre permet de détailler la clause relative aux assurances (article 9). Est ainsi rappelée l’obligation pour le maître d’œuvre de souscrire une assurance responsabilité civile (RC) professionnelle et, selon le type de travaux sur lesquels il va intervenir et les dispositions particulières du marché, une assurance RC décennale. Les modalités de remise des attestations d’assurance au maître d’ouvrage sont détaillées.
En outre, l’article 9 impose au maître d’ouvrage de préciser dans les documents particuliers du marché les assurances facultatives qu’il a ou va contracter (Tous risques chantiers, dommages ouvrages, contrat collectif de responsabilité décennale [CCRD], etc.). A cet égard, le CCAG se fend d’un commentaire pour cadrer le recours à un CCRD. Il invite le maître d’ouvrage qui souhaite en prévoir un à préciser dans les clauses particulières du marché « qui doit être le souscripteur de la police collective, les modalités de souscription du contrat, le montant de la franchise absolue qui sera applicable au maître d’œuvre et qui constituera le plafond de garantie de son contrat individuel. » Il ajoute que « les sous-traitants du maître d’œuvre, quel que soit leur rang ont la qualité d’assuré au titre du CCRD ou bénéficient, ainsi que leur assureur, d’une clause de renonciation à recours au-delà du montant de la franchise absolue applicable au maître d’œuvre. »
Propriété intellectuelle
Enfin, alors que le CCAG PI proposait deux options pour le régime des droits de propriété intellectuelle (option A, concession des droits d’utilisation des résultats, option B, cession exclusive), le CCAG de maîtrise d’œuvre (article 22.1) retient uniquement l’option A, en la remodelant. C’est « celle qui correspond le mieux aux pratiques », expliquait la DAJ en octobre dernier.
L’article indique en commentaire que « les documents particuliers du marché dissocient le prix de cette concession [des droits d’utilisation des résultats] de celui des prestations ». Il insiste sur le droit moral du maître d’œuvre, mais stipule que le droit au respect de son œuvre autorise « l’auteur à faire sanctionner toute altération ou dénaturation de son œuvre, à l’exception de celles qui sont rendues strictement indispensables par des impératifs esthétiques, techniques ou de sécurité publique, légitimés par les nécessités du service public et notamment la destination de l'ouvrage ou son adaptation à des besoins nouveaux ».