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En Alsace, la rénovation tout en délicatesse du camp de l’enfer

Une séquence de travaux s’engage sur le camp de concentration du Struthof. Elle applique les principes contemporains de restauration fidèle qui n’ont pas toujours présidé à la gestion du site à l’histoire sinistre.

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C’est un site bien particulier qui s’offre à l’intervention du monde de la construction. Un lieu lourd d’Histoire : le camp de concentration du Struthof en Alsace, l’unique situé en France, engage une phase de travaux de rénovation parmi les plus importantes depuis l’après-guerre, de plusieurs millions d’euros. Ses acteurs – l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACGV), maître d’ouvrage, l’architecte en chef des Monuments historiques Pierre Dufour, le Centre européen du résistant déporté (Cerd), lieu d’interprétation et de présentation du site à son entrée - s’y livrent à l’exercice délicat d’appliquer les lignes directrices de la préservation de l’authenticité et de la restauration fidèles à un mode constructif d’origine, qui guident au XXIe siècle l’intervention sur des sites et bâtiments historiques. Fussent-ils particulièrement singuliers, comme celui-ci où la folie nazie transforma une charmante petite station de sports d’hiver du massif vosgien en un enfer devant contribuer à l’édification de la mégalopole Germania par l’extraction du granite de la carrière voisine. Il rassembla 17 000 déportés de 1941 à 1944, dont au moins 3 000 d’entre eux périrent d’épuisement, de maladies, de sévices.

« Quelle place respective accorder dans ces travaux à la mémoire, au ressenti physique d’émotions, à l’interprétation, à la pédagogie ? Ces questions surgissent à chaque geste posé sur le Struthof », souligne Guillaume d’Andlau, directeur du Cerd, dont le bâtiment conçu par Pierre-Louis Faloci a ouvert en 2005.

Cérémonie de destruction

Un tel questionnement est récent. Le mot d’ordre dominant fut longtemps celui de tourner la page, jusqu’à effacer les traces physiques du passé alors encore récent. Il trouva son point culminant en 1954 dans une cérémonie toute officielle de mise à feu de 14 des 18 baraques. L’une des quatre qui ont substitué a été reconstituée après son incendie, criminel cette fois-ci, en 1976. L’autre lecture principale faisait appel au registre de la commémoration. Il s’exprime en un mémorial, dessiné en 1960 par Bertrand Monnet en forme de haute flamme de 40 mètres en béton revêtue de pierre blanche d’Hauteville, à l’intérieur de laquelle a été creusée une silhouette de squelette.

Ce monument a été restauré durant la période 2016-2020, qui a également retouché la nécropole rassemblant les restes de 1 100 déportés de différents camps, la baraque cellulaire, le « bloc crématoire » et les huit miradors qui achèveront en fin de cette année cette tranche de 6,34 millions d’euros de travaux (par les entreprises Chanzy-Pardoux, Léon Noël et Schaffner). Ces chantiers ont commencé à concrétiser le tournant vers « un plan d’ensemble qui manquait à ce site complexe », relate Pierre Dufour, dans la foulée du classement intégral en 2011 comme monument historique du site implanté sur la commune de Natzwiller (Bas-Rhin). Elle a inauguré les principes de dépose de structures pour les comprendre et les restaurer avec pertinence, et de restitution d’apparence originelle.

Le " schéma directeur " actualisé par l’architecte en chef des Monuments historiques liste un ensemble d’intervention qui pourrait totaliser 25 millions d’euros jusqu’en 2035. « Chaque tranche devra être validée budgétairement par le ministère des Armées, financeur unique », pointe Guillaume d’Andlau.

Ouvrir la baraque-cuisine

La première phase actée porte sur 4 millions d’euros (5 millions avec les études). Elle concerne notamment la seule des baraques restée dans son état d’origine, celle des cuisines où les détenus recevaient une nourriture minimale. Jusqu’à présent, elle servait de lieu de stockage des matériels d’entretien et d’objets retrouvés, non ouvert au public. « L’ambition consiste à en faire un lieu muséographique qui puisse exprimer un ressenti physique, celui de la privation de nourriture », indique Guillaume d’Andlau. La baraque-cuisine ainsi transformée de 2022 à 2024 prolongera ainsi la baraque-musée qui la précède dans le parcours naturel de visite. Au niveau de ses structures, « c’est celle du Struthof la plus représentative du mode constructif en milieu concentrationnaire », relève Pierre Dufour. Fragilisée, sa structure en bois sera remise en exergue : « les renforts métalliques disgracieux intégrés en sous-œuvre seront retirés et remplacés par d’autres qui s’inséreront de façon invisible au public dans les panneaux, pour assurer le contreventement », expose l’architecte en chef des Monuments historiques. Les objets et matériels stockés seront déplacés dans un bâtiment neuf de 200 m2, proche du parking actuel. La consultation des entreprises est prévue à la fin de cette année.

Mettre en exergue le camp bas

L’autre intervention majeure concerne la partie basse du camp. Le Struthof se répartit en effet en deux zones séparées de plus de 1 km, dont l’une, en contrebas, est aujourd’hui marginalisée, alors qu’elle abrite l’un des éléments les plus sinistres du site : la chambre à gaz qui servit, non aux exterminations de masse, mais à de pseudo-expériences scientifiques raciales. Son bâtiment fait depuis ce printemps l’objet d’une restauration et d’un réaménagement. C’est à sa proximité qu’est prévue, dans une seconde phase, la création d’un nouveau parking, adapté à la fréquentation grandissante du site qui atteint désormais le seuil de 200 000 visiteurs par an. Le chemin vers la partie haute sera « à peine réaménagé, pour conserver la rudesse qui aide à s’imprégner de l’atmosphère du site », annonce Pierre Dufour.

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