Discutée en séance publique depuis le 14 mars, la proposition de loi d’initiative sénatoriale visant à répondre aux difficultés auxquelles font face les collectivités dans la mise en œuvre des objectifs du « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols d'ici 2050, a été adoptée en première lecture dans la nuit de jeudi à vendredi par la Chambre Haute. Le texte s'organise autour de quatre axes : favoriser le dialogue territorial et renforcer la gouvernance décentralisée ; accompagner les projets structurants de demain ; mieux prendre en compte les spécificités des territoires ; et prévoir les outils pour faciliter la transition vers le ZAN.
Calendrier repoussé d'un an
L’article 1er définit un calendrier « plus réaliste » pour l'évolution des différents documents de planification et d'urbanisme (Sraddet, Scot, PLU et cartes communales), en repoussant d’un an les délais qui s’imposeront aux collectivités pour se mettre en conformité avec les objectifs du ZAN (art. 194 de la loi Climat et résilience).
En outre, un amendement adopté en commission prévoit la possibilité de saisir la commission de conciliation en cas de difficulté liée au ZAN. Cette commission, instituée dans chaque département, est aujourd’hui compétente en cas de difficulté autour de l’élaboration de documents d’urbanisme (art. L. 132-14 du Code de l’urbanisme).
Gouvernance décentralisée
Par ailleurs, le texte instaure une gouvernance décentralisée du ZAN en instituant, dans chaque périmètre régional, « une conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols » (art. 194 V de la loi Climat et résilience). Selon l’exposé des motifs, il s’agit de « renforcer la composition des conférences des Scot déjà prévues par la loi, pour y améliorer la représentation des élus communaux et des intercommunalités, y compris n'appartenant pas au périmètre d'un schéma de cohérence territoriale, ainsi que des départements ». Cette conférence se veut être « l'incarnation organique de la volonté de territorialiser la mise en œuvre du ZAN, en cohérence avec les principes de libre administration des collectivités territoriales, de subsidiarité et de différenciation », indique le communiqué du Sénat.
Projets d’ampleur nationale ou européenne
Autre mesure forte : les sénateurs prévoient de comptabiliser séparément, au sein d'une « enveloppe nationale », les grands projets d'ampleur nationale ou européenne « et qui présentent un intérêt général majeur », afin que leur impact en termes d'artificialisation ne soit pas imputé à la collectivité qui l'accueille. Seront ainsi décomptés à part les projets à maîtrise d’ouvrage directe ou déléguée de l’Etat, relevant d’une concession de service public de l’Etat, les projets d’implantation d’unités industrielles valorisant l’utilisation d’une ressource naturelle renouvelable, concourant à la transition énergétique, ou relevant de l’indépendance nationale, ou représentant un intérêt pour la souveraineté économique nationale ou européenne (comme Airbus à Toulouse ou le Canal Seine-Nord Europe) ainsi que toutes actions ou opérations d’aménagement réalisées au sein des circonscriptions des grands ports maritimes ou fluvio‑maritimes de l’État (art. 4). Ces projets feront l'objet d'une inscription dans le Sraddet, après avis de la conférence régionale de gouvernance.
Surface minimale de développement
Afin de garantir à chaque commune que la mise en œuvre du ZAN ne se traduira pas « par une absence totale de droits à construire ou par un gel de son développement », le texte offre une « surface minimale de développement communal » d'un hectare. Dans l'Hémicycle, les sénateurs ont en outre prévu une majoration pour les communes nouvelles de 0,5 hectare par commune déléguée. Cette majoration est plafonnée à deux hectares (art. 7). Les sénateurs ont rejeté l'amendement du gouvernement, qui est, lui, favorable à une enveloppe minimale d'artificialisation équivalant à 1 % de la surface urbanisée des communes rurales peu denses.
Les friches, des surfaces artificialisées
S’agissant des surfaces qui doivent ou non être qualifiées d’artificialisées (article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme), les sénateurs prévoient explicitement que les surfaces végétalisées à usage agricole, résidentiel, de loisirs, ou d’infrastructures de transport soient considérées comme non artificialisées. Il en est de même pour les surfaces occupées par des bâtiments agricoles.
Un amendement adopté en séance a en outre clarifié le statut des friches en les considérant explicitement comme des surfaces artificialisées afin de favoriser leur réhabilitation (art. 9). Leur réutilisation n’entraînant en effet « aucune consommation d’espaces ni d’artificialisation au sens de la loi Climat et résilience », justifie son auteur. « À l’inverse, leur renaturation améliorera le solde net d’artificialisation de la collectivité ».
Recul du trait de côte
Et pour les territoires littoraux frappés par le recul du trait de côte, le texte prévoit de décompter de l'artificialisation les parcelles rendues inutilisables en raison de l'érosion côtière (art. 10). En parallèle, les projets visant à relocaliser dans de nouvelles zones les aménagements et constructions des parcelles touchées par le recul du trait de côte ne seront pas comptabilisés au regard de l'artificialisation.
Eviter une « ruée vers le foncier »
Enfin, les sénateurs ont instauré un droit de préemption ZAN « dans les espaces propices à la renaturation ou au recyclage foncier » et un sursis à statuer spécifique, permettant à la commune ou à l'EPCI compétent, avant que le document d’urbanisme soit modifié pour prendre en compte les objectifs ZAN, de suspendre l'octroi d'un permis de construire « s’il ne fait pas l’objet d’un projet compensé par une action de renaturation ». Ces mesures visent à éviter une « ruée vers le foncier » déjà constatée dans certains territoires, en anticipation de la mise en œuvre du « ZAN ».
Le texte doit encore être soumis à l'Assemblée nationale, où des députés Renaissance avaient présenté mi-février leur propre proposition de loi pour un meilleur accompagnement des élus locaux. Le gouvernement a déclenché la procédure accélérée sur le texte du Sénat, mais le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires s'est montré sceptique sur la possibilité de parvenir à un accord entre députés et sénateurs, estimant que les dispositions adoptées par le Sénat ouvraient « trop largement la porte » à l'artificialisation, selon nos confrères de l’AFP.