ZAN : « La France n’est pas à la hauteur des enjeux internationaux », Maylis Desrousseaux, professeure associée, Cnam-ESGT, laboratoire géomatique et foncier

La chercheuse revient sur le projet de décret relatif à la nomenclature d’artificialisation des sols, qui est soumis à la consultation du public jusqu’au 25 mars. Et évoque la nécessité de remettre à plat la gouvernance du foncier, facteur en elle-même d’artificialisation.

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Maylis Desrousseaux, professeure associée, CNAM-ESGT, Laboratoire Géomatique et Foncier
La chercheuse estime que la France n'est pas à la hauteur des enjeux internationaux en matière de lutte contre l'artificialisation des sols.

Que vous inspire ce projet de décret ?

J’attendais un peu plus d’énergie dans la mise en application de la loi Climat et résilience. L’ambition du législateur de donner une définition de l’artificialisation en lien avec l’altération des fonctions du sol était en soi une énorme avancée, un réel progrès. Le droit français ne comportait jusqu’ici pas de définition générale du sol, ni de son artificialisation et c’était véritablement une entrée vers une attention portée au fonctionnement du sol.

Or, le projet de décret ne se contente que de l’analyse des surfaces sans se poser la question de savoir si sous cette surface, le sol est fonctionnel ou pas. C’est une approche réductrice de l’ambition du législateur. Ce que je comprends de ce décret, c’est que nous ne sommes pas prêts d’un point du vue technique. Il y a sûrement un manque de préparation, de bureaux d’études disponibles sur le territoire mais à un moment, il faut se donner les moyens de son ambition.

Le projet de texte exclut les carrières des surfaces artificialisées. Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit d’un cadeau incompréhensible et choquant fait aux carriers. La nomenclature précise que sont considérées comme non artificialisées les surfaces nues, y compris les surfaces d’activité extractive de matériaux en exploitation. Au-delà des enjeux liés à la mesure de l’artificialisation, cette formulation va permettre aux communes sur le territoire desquelles sont exploitées des carrières de ne pas altérer leur capacité de construction, d’extension puisque l’on va retirer toute la surface de la carrière du solde de l’artificialisation. Comment dans ces conditions faire comprendre aux citoyens qu’un jardin sera considéré comme plus artificialisé qu’une carrière qui n’a plus de sol du tout ! Cela nuit complètement à la portée de la réforme.

Les communes ont six ans pour mettre en œuvre la réforme, le gouvernement aurait pu au préalable faire une grande vague d’état des lieux, d’analyse de l’état des sols sur les territoires. Mais il applique, en traînant les pieds, les objectifs européens de « zero net land take » et de « zero net land degradation » fixés en 2011 dans le cadre de la feuille de route « pour une Europe efficace dans l'utilisation des ressources ». Ce qui me déçoit en tant que chercheuse, c’est que la France ne soit pas moteur sur cette question pour être à la hauteur des enjeux internationaux.

La Commission européenne a présenté récemment une stratégie sur la santé des sols. Avec à la clé l’adoption d’une directive cadre. Verra-t-elle le jour ?

J’ai envie d’y croire. La Commission y travaille depuis quinze ans. La stratégie européenne arrive dans un contexte plus favorable aujourd’hui. On sent un durcissement des engagements, la science a avancé. En 2019, le Giec a établi le lien entre les changements d’usage des terres et le réchauffement climatique. On assiste à la « climatisation des sols ». On inscrit la problématique « sols » dans les mesures de lutte et d’adaptation des effets du changement climatique, ce qui leur donne immédiatement une portée internationale. C’est le principal enjeu. L’argument avancé par les Etats jusqu’à présent, était de dire que les sols répondent au principe de proportionnalité et de subsidiarité des droits de l’Union européenne, et qu'il s'agit donc d'un sujet national. Si on ouvre la thématique vers la perspective climat, il faut dans ce cas qu’il y ait une gouvernance supra nationale.

En droit français, une grande loi en faveur des sols est-elle envisageable ?

La France manque d’ambition en la matière. Si on remet les choses en perspective, Emmanuel Macron avait annoncé une grande loi foncière au début de son mandat. Des auditions ont eu lieu à l’Assemblée nationale afin de prendre à bras le corps le problème du foncier en France, qu’il s’agisse de foncier rural, d'urbanisme ou de problématiques environnementales. Cette loi aurait été l’occasion de remettre à plat la gouvernance du foncier en France qui est très cloisonnée, désorganisée et qui est un facteur en elle-même d’artificialisation.

Un état des lieux du droit sur ce sujet a été réalisé en 2017 par l’Inra (Institut national de la recherche agronomique, NDLR) et l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, NDLR). Il souligne les injonctions contradictoires à l’égard des communes qui peuvent parfois se voir contraintes à la construction.

L’artificialisation des sols étant le résultat de la quasi-totalité des activités humaines (transport, logement, plateformes logistiques, bâti agricole, etc.) régies par des régimes juridiques différents, le principe de l’indépendance des législations rend difficile l’identification d’une autorité qui serait compétente en la matière.

Cette loi foncière, avec un engagement de « zero net land take » a finalement été réduite à peau de chagrin et le sujet n’a été qu’un chapitre au sein de la loi Climat et résilience. Et chose encore plus surprenante, ce chapitre figure dans un titre qui s’intitule « Se loger ». L’artificialisation ne peut pas être uniquement liée à la question du logement. Il faut rappeler que l’objectif de la réforme était de mettre en perspective le lien entre l’artificialisation, l’érosion de la biodiversité et le changement climatique.

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