ZAN : l’exécutif envisage la création d’une enveloppe d’artificialisation de 10 000 hectares spécifique à l’industrie

Une note datée du 24 février 2025 et produite par la DHUP, envisage des « assouplissements » à apporter au dispositif ZAN existant. Selon ce document, l’exécutif envisage de conserver l’objectif intermédiaire de réduction par deux de la consommation d’Enaf mais de le décaler de 2031 à 2034. Il entend également sanctuariser une enveloppe nationale d’artificialisation spécifique à l’industrie et aux data centers, qui sortiraient alors de la liste des Pene.

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ZAN
L'exécutif entend donner un avantage concurrentiel conséquent à l'industrie.

Après plusieurs mois de remise en question par les gouvernements successifs, le dispositif visant à atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050 semble devoir évoluer prochainement. Selon une note signée par la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et datée du 24 février 2025, révélée par Le Monde et que s’est procurée AEF info, le gouvernement réfléchit à un « scénario d’assouplissement » pour répondre à des demandes formulées lors d’une réunion interministérielle sur l’industrie du 17 février dernier.

Sanctuariser l’industrie et les data centers

Pour cela, il entend jouer sur trois leviers : il propose, tout d’abord, de sanctuariser une enveloppe nationale de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) dédiée à l’industrie et aux data centers et estime le besoin de fonciers pour ces projets à 10 000 hectares pour une décennie, dont 1 500 ha d’aménité sur cinq ans. Un chiffre qui « mériterait d’être objectivé » pour la DHUP « car il est nettement supérieur aux estimations du rapport de Rollon Mouchel-Blaisot » qui fixait à « 8 500 ha le besoin en foncier industriel en extension urbaine d'ici 2030 ». L’administration met aussi en avant les « importants » gisements fonciers disponibles pour l’activité économique, qu’il s’agisse des friches et des zones d’activités économiques ou autres sites encore non bâtis ou à densifier.

Projets d’envergure nationale et européenne

L’industrie et les data centers seraient, en pratique, sortis de la liste des projets d’envergure nationale et européenne (Pene) - qui couvrait jusque-là les besoins pour ces secteurs à hauteur de 3 000 ha - à partir de 2024 pour bénéficier de leur propre compté à part, selon une méthodologie qui risque de ne pas simplifier le dispositif existant. D’après le scénario envisagé par la DHUP, « au moment où une autorisation d’urbanisme est déposée pour un projet industriel au sens de l’article 1500 du Code général des impôts (CGI) (hors entrepôt gigantesque) ou pour un data center, la collectivité enclencherait une modification de son document d’urbanisme afin de bénéficier de cette enveloppe » tout en notifiant cette ouverture de zones jusque-là fermées à l’urbanisation au préfet.

Celui-ci « constatera » que le projet entre bien dans les catégories visées par cette enveloppe spécifique et « informera les ministères en charge de l’aménagement et de l’industrie qui l’inscriront par arrêté conjoint au registre national. La collectivité pourra alors ouvrir à l’urbanisme une surface additionnelle équivalente au projet en question majorée de 15 % (le tout décompté de la réserve) pour tenir compte des aménités associées » (1), explique la note qui précise qu' « une fois l’enveloppe consommée, il ne sera plus possible de bénéficier de ce dispositif dérogatoire ».

(1) La même note propose également d' « ajout[er] à la définition des Pene le fait que les aménités sont ajoutées pour les projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires », selon un arbitrage qui semble avoir été pris à Matignon.

Instruction des dossiers « particulièrement complexe »

Par ailleurs, comme les Pene dont l’enveloppe a été fixée à 12 500 ha pour dix ans, cette réserve « serait mutualisée entre les régions » qui devront donc viser, dans leurs Sraddet, un objectif intermédiaire de réduction de l’artificialisation non pas de 54,5 %, comme auparavant, mais de 59 % pour compenser ce nouveau compté à part. Mais, précise la DHUP, ces documents de planification « ne seront pas obligés de l’intégrer immédiatement pour les Sraddet déjà adoptés mais seront conduits à l’intégrer dès leur prochaine révision ».

Comme le commente elle-même l’administration centrale dans sa note, « l’instruction des demandes sera particulièrement complexe car elle induira un travail de contrôle pour s’assurer que le projet est bien conforme à l’article 1500 du CGI ou est bien un data center au sens qui sera donné des projets éligibles », tout en « étant attentif à ne pas valider des zones industrielles ou économiques ». « Or, la définition étant large, un grand nombre de pétitionnaires demanderont à en bénéficier », imagine déjà la DHUP qui argue déjà que « des moyens humains dédiés seront nécessaires ».

« Avantage sectoriel conséquent donné à l’industrie »

Autre « limite » pointée par la DHUP : « un avantage sectoriel conséquent sera donné à l’industrie et il est probable que les autres filières demanderont à bénéficier d’un avantage équivalent (infrastructures de transport, de production et de transport d’énergie, hôpitaux, maison de santé, installations de traitement des déchets, logement, agriculture…) ». Mais comme l’administration l’anticipe : « de nouvelles mutualisations nationales réduiraient encore les marges de manœuvre des régions et les obligeraient à devoir suivre des trajectoires plus contraignantes encore pour leur Sraddet ».

La création de cette enveloppe spécifique pour l’industrie et les data centers est l’aboutissement d’une offensive lancée il y a plusieurs mois par Bercy au nom de la réindustrialisation du pays et de la souveraineté économique. L’ex-Premier ministre Michel Barnier avait plaidé, en novembre dernier, pour une exemption de tous les projets industriels pour cinq ans. Avec le soutien d’Agnès Pannier-Runacher qui mettait alors en avant l’exemption « limitée » à un secteur économique « et dans le temps », tout en indiquant à AEF info ne pas « souhaite[r] pour autant rouvrir le débat sur le ZAN » de façon plus globale.

Cette nouvelle exemption viendrait toutefois s’ajouter à celle concernant les « constructions, ouvrages, installations ou aménagements nécessaires à l’exploitation agricole », inscrite dans le projet de loi d’orientation agricole (article 14 quater du texte issu de la commission mixte paritaire notamment). Le texte définitivement adopté jeudi 20 février au Parlement fait toutefois l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel notamment sur ce point.

Retour de « l’État profond »

Autre « assouplissement » envisagé par le gouvernement et détaillé par la note de la DHUP : si l’exécutif conserve l’objectif intermédiaire de réduction par deux de l’artificialisation, il décale cette étape de 2031, comme prévu par la loi Climat et résilience, à 2034 tout en conservant comme période de référence 2011-2021. Les années 2031-2033 seraient alors considérées comme « blanches ». Ce décalage dans le temps – déjà envisagé par François Rebsamen, lors de son audition au Sénat fin janvier, et alors justifié par l' « absence de dispositions légales claires » ces dernières années – « pourrait entraîner une surconsommation d’Enaf de 37 500 ha sur la période 2021-2034 », voire plus « si le rythme de consommation annuelle reste aux environs de 20 000 ha par an ».

Ce maintien de l’objectif intermédiaire va à l’encontre des mesures prévues par la proposition de loi « visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux » (Trace) adoptée en commission deux jours après la réunion interministérielle, soit le 19 février dernier. Mais « cela ne nous dérange pas de conserver l’objectif intermédiaire », reconnaît auprès d’AEF info, Guislain Cambier, sénateur centriste (Nord) et l’un des deux auteurs du texte.

L’élu est en revanche plus virulent sur le reste du contenu de la note où il « voit ressortir l''État profond" qui veut toujours décider, encadrer, complexifier », comme il l’explique également dans un post sur LinkedIn du 27 février. Le sénateur critique le nouveau système de calcul induit par le changement de calendrier, la révision de la définition des Pene ou encore l’augmentation de l’effort des régions dans les Sraddet. Des pistes très différentes de celles envisagées lors de ses échanges avec François Rebsamen ou Matignon, selon l’élu qui ne mâche pas ses mots et estime qu' « on essaie de nous la faire à l’envers ! » Ce qui « ne lui donne plus envie de négocier » mais, au contraire, de « sortir un texte très dur » lors de l’examen de la proposition de loi en séance publique, prévu à partir du 12 mars, pour se laisser des marges de manœuvre.

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