« En France, la prévention est encore entourée de représentations négatives, estime Erick Lemonnier, directeur prévention chez Eiffage Infrastructures. Elle est trop souvent vue sous l'angle de la contrainte, voire de la morale, et ainsi du risque de sanction, mais aussi de l'entrave à d'autres domaines. » C'est notamment pour faire évoluer les mentalités que l'OPPBTP a récemment lancé, avec CentraleSupélec, Vinci Construction Terrassement et Eiffage Génie civil, la chaire « Prévention et performance dans le BTP ».
Meilleure productivité, baisse des arrêts maladie ou encore recul des accidents du travail (AT)… Il y a près de dix ans, l'étude Dimeco publiée par l'OPPBTP avait mis en évidence les impacts bénéfiques des actions en faveur de la santé et de la sécurité (formation, acquisition de matériel, aménagements, etc. ). «La chaire vise à renforcer la base académique de ces travaux, afin de mieux comprendre les interactions entre prévention et performance économique », commente Paul Duphil, secrétaire général de l'organisme. « Dans un contexte de montée en puissance de l'innovation dans la construction, il importe de développer les relations entre les acteurs de la recherche et les employeurs. » La chaire doit ainsi permettre de lancer des programmes de haut niveau dans ce domaine, avec une large diffusion des résultats obtenus auprès des acteurs du secteur.
De nouveaux périmètres d'étude. « Alors que l'enquête Dimeco portait sur des actions ponctuelles et spécifiques de prévention, nous allons élargir l'analyse aux périmètres du chantier et de l'entreprise », pose Christian Michelot, psychosociologue et enseignant à CentraleSupélec. Car, comme le souligne Paul Duphil, « la portée d'une démarche sécurité dépend des autres actions menées dans ce domaine en interne ». Les entreprises partenaires, financièrement impliquées dans la démarche, offriront aux chercheurs des terrains d'expérimentation et livreront des retours sur leurs propres expériences.
La chaire doit aussi aboutir à la création, pour les employeurs, de nouveaux indicateurs de pilotage destinés à suivre l'évolution du rapport entre prévention et performance. « Si la référence aux taux de fréquence et de gravité en matière d'AT est nécessaire, elle ne suffit pas à rendre compte des efforts déployés par l'entre prise », fait observer Christian Michelot. Un constat partagé par Erick Lemonnier : « Réfléchir uniquement sur le registre de la sinistralité, et donc du drame humain et de l'émotion, fait réagir sur l'instant, mais ne permet pas aux individus de trouver du sens et d'agir sur le long terme. »
Sensibiliser grâce au jeu. « Un autre axe de la chaire consiste ainsi à créer un jeu d'entreprise pour étudier les processus décisionnels à l'œuvre sur le chantier, et de mesurer les résistances que suscite encore la prévention », reprend Christian Michelot. L'idée ? Les participants devront intégrer dans leurs décisions des enjeux de sécurité et de performance, et en constater les impacts. Ainsi, ce jeu doit promouvoir une approche positive du sujet. « Produire de la sécurité apporte du mieux-être aux individus et au collectif, et de la valeur dont profite l'entreprise, insiste Erick Lemonnier. C'est seulement en mettant ces bénéfices en avant qu'on incitera les acteurs du BTP à œuvrer dans le sens d'une meilleure prévention. »