Le Moniteur des artisans –Le 24 juillet, l’Anah a publié le bilan de l’aide MaPrimeRénov’ pour le premier semestre 2024. Ce bilan n’était pas très bon, avec un peu plus de 78000 logements rénovés. La tendance s’est-elle inversée sur le deuxième trimestre ?
Valérie Létard – L’Anah vient de publier les chiffres du troisième trimestre pour MaPrimeRénov’, et ceux-ci sont excellents : 71 000 dossiers déposés pour des rénovations d’ampleur, dont la moitié au troisième trimestre, et 173000 dossiers déposés pour des monogestes. Nous serons au rendez-vous des objectifs annuels, à savoir 350 000 rénovations, avec une forte progression des rénovations globales.
En étroite relation avec les collectivités territoriales, nous avons réussi à garantir que les accompagnateurs Rénov’ – 3 485 professionnels sont agréés au sein de 1 035 structures – soient en nombre suffisant pour soutenir les ménages dans leurs projets, ce qui a contribué à cette reprise de la dynamique. Nous avons mobilisé 300M€ pour cette montée en puissance des accompagnateurs et la prise en charge des audits qu’ils réalisent.
Le gouvernement vient de publier les deux feuilles de route (la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l’énergie) pour conduire la transition écologique du pays. Ne sont-elles pas trop ambitieuses au regard du nombre de rénovations d’ampleur réalisées ces dernières années (20463 au premier semestre de cette année, et 72000 en 2023) ?
En 2025, le budget de l’Anah permettra de financer 350 000 rénovations, comme en 2024. Les monogestes seront toujours éligibles, pour garantir une certaine stabilité. Si nous voulons accélérer et financer davantage de rénovations, il va falloir ajouter de nouveaux outils de financement. C’est le sens de la banque de rénovation au sujet de laquelle une mission a été confiée aux sénatrices Amel Gaquerre [NDLR : Pas-de-Calais, groupe Union centriste] et Marianne Margaté [Seine-et-Marnegroupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky], avec le président de Procivis, la présidente de l’Unis et le directeur des prêts de la CDC. Elle doit permettre de financer le reste-à-charge des ménages les plus modestes.
Par ailleurs, je resterai très attentive aux débats en cours sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie et la Stratégie nationale bas carbone, pour faire en sorte que le pouvoir d’achat des ménages soit pris en compte dans la trajectoire de rénovation énergétique au même rang que la décarbonation. Car ce doit être l’avantage de la rénovation énergétique : elle doit permettre de faire baisser les factures des habitants, en même temps que leurs émissions de CO2.
La France fait face à une crise des artisans labellisés RGE. D’après une étude de Heero publiée en mars 2024, leur nombre a chuté de 16% en 2023, et de 23% sur les trois dernières années. Cette crise n’est-elle pas un obstacle aux objectifs de rénovations et aux deux feuilles de route ?
La baisse du nombre d’artisans RGE est à surveiller, mais n’est pas le principal point bloquant, en tout cas pour 2025. Aujourd’hui, au-delà du financement, c’est surtout un problème de demande, lié à la complexité des projets qui freine les ménages. C’est précisément pour cette raison que nous avons rendu obligatoire, depuis janvier 2024, le recours à Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR) pour les rénovations d’ampleur. Ce dispositif guide les ménages à chaque étape : audit énergétique, choix des artisans, plan de financement, jusqu’aux écogestes post-travaux.
Nous travaillons à recruter et à former entre 4 000 et 5 000 accompagnateurs d’ici à 2025, capables de soutenir 200000 projets de rénovation globale par an, peut-être pas dès 2025, mais d’ici à 2027 au plus tard. Mais évidemment, le manque d’artisans RGE peut devenir un frein, en plus d’avoir des impacts indirects aujourd’hui. C’est aussi un axe de réflexion important.
Quelles sont les pistes sur lesquelles travaille le gouvernement pour pousser les artisans à se qualifier RGE ?
Nous souhaitons simplifier l’accès au label RGE afin d’inciter les artisans à se qualifier. Une des principales mesures consiste à introduire la valorisation des acquis de l’expérience (VAE), permettant aux professionnels de faire reconnaître leurs compétences sans suivre un parcours classique de certification. Nous travaillons avec les fédérations professionnelles pour mettre en place rapidement cette simplification, en s’appuyant sur les paramètres sur lesquels elles s’étaient accordées il y a quelques mois, notamment concernant le nombre de contrôles à l’entrée dans le dispositif puis au fil de l’eau. Je suis très attentive à ce que cela soit réellement simplificateur, car nous sommes dans une phase de simplification pour les entreprises, et nous devons réduire leur charge administrative, et je crois pouvoir compter sur le soutien des professionnels sur ce sujet majeur.
Le projet de loi de finances pour 2025 alloue 2,3 Md€ à MaPrimeRénov’, soit environ 1 Md€ de moins qu’en 2024. Ne pensez-vous pas que c’est un très mauvais signal envoyé à tous les acteurs de la rénovation énergétique des logements ?
Dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, le maintien d’un budget élevé alloué à MaPrimeRénov’ dans le projet de loi de finances doit être interprété comme une poursuite du soutien de l’État à la rénovation énergétique des logements. Nous maintenons nos ambitions en la matière avec un objectif clair : financer 350 000 rénovations en 2025, soit le même volume qu’en 2024. Globalement, le budget de l’Anah sera porté à 4 Md€, incluant les crédits budgétaires de l’État et un financement par les certificats d’économie d’énergie (CEE) et les quotas carbone.
La mise en marche de l’appareil bancaire au service de la rénovation, dont la mobilisation est plébiscitée par tous les bords politiques, permettra de compléter les outils financiers existants. D’ailleurs, je vois que de nombreuses banques font des propositions commerciales volontaristes sur la rénovation en cette rentrée scolaire.

© Damien Valente/Ministère du Logement.
Quelle version de MaPrimeRénov’ sera pérennisée en 2025 ?
En 2025, MaPrimeRénov’ sera maintenue dans une version stabilisée pour permettre à tous les acteurs d’avoir plus de visibilité, tout en respectant l’enveloppe budgétaire qui nous a été fixée. Cela nécessitera quelques ajustements techniques, mais nous satisferons une demande forte du secteur, qui était ma priorité : tous les monogestes resteront éligibles, une décision clé pour soutenir la dynamique. La réforme de début 2024, qui avait supprimé ces aides, a montré ses limites en provoquant une chute brutale des rénovations. Nous avons corrigé le tir dès le mois de mai, et notre priorité est de pérenniser un cadre clair et efficace, tout en maintenant une ambition forte pour la transition énergétique des logements.
Lors de votre visite à Batimat, vous avez évoqué l’«amélioration des financements» et une volonté de « travailler en symbiose avec les collectivités qui s’engagent ». Pouvez-vous détailler ?
Cela passe par deux axes principaux. D’une part, nous allons consolider le dispositif France Rénov’, qui compte aujourd’hui 588 guichets et 2 700 conseillers répartis sur tout le territoire. Ce service a déjà accompagné près de 700000 ménages en 2023 et continuera à offrir un soutien complet en matière de rénovation énergétique. À partir de 2025, son financement sera assuré par le budget de l’Anah et une nouvelle contractualisation avec les collectivités, cofinancée à hauteur de 60 M€ par l’État. Cela garantit la continuité du service malgré les tensions budgétaires locales. Pour les territoires où des collectivités envisagent de réduire leur contribution, nous avons demandé aux préfets de travailler avec elles pour éviter tout désengagement.
Aujourd’hui, 90% du territoire sont déjà couverts, et nous faisons le nécessaire pour finaliser les ajustements d’ici à janvier. D’autre part, nous explorons des solutions pour alléger le reste-à-charge des ménages, notamment par la mise en place de dispositifs bancaires adaptés pour financer facilement les projets en complément des aides publiques.
La Capeb défend l’extension des groupements momentanés d’entreprises (GME) pour soutenir la rénovation énergétique. Que pense le gouvernement de cette approche ?
Il est nécessaire de mieux intégrer les petites entreprises artisanales dans la massification des rénovations énergétiques, et les groupements momentanés d’entreprises (GME) peuvent être une solution intéressante. C’est une idée qui mérite toute notre attention et qui pourrait nécessiter des évolutions législatives pour lever les freins actuels. Nous sommes ouverts à travailler avec les organisations professionnelles pour trouver des solutions équilibrées.
Quelles peuvent être les autres pistes pour développer la rénovation auprès des professionnels et des particuliers ?
Le gouvernement explore plusieurs pistes concrètes visant à mobiliser à la fois les professionnels et les particuliers. Comme je l’ai déjà évoqué, nous travaillons à simplifier l’accès au label RGE pour les artisans ainsi qu’à mobiliser les financements bancaires pour financer les restes à charge et préfinancer les aides, en complément des dispositifs existants, par exemple celui de Procivis en copropriété. Par ailleurs, nous allons redoubler d’effort dans la lutte contre la fraude. La proposition de loi portée par le député Thomas Cazenave [Gironde, groupe Ensemble pour la République], que nous soutiendrons, introduit des mesures renforcées pour contrôler les opérations de rénovation, suspendre les labels en cas de pratiques frauduleuses et sécuriser les certificats d’économies d’énergie. Cela protège à la fois les ménages et les entreprises honnêtes, tout en renforçant la crédibilité du secteur.
Enfin, nous soutenons une autre proposition de loi transpartisane portée par les députés Bastien Marchive [Deux-Sèvres, groupe Ensemble pour la République] et Iñaki Echaniz [Pyrénées-Atlantiques, groupe Socialistes et apparentés] pour travailler sur le calendrier des rénovations en copropriété et l’assouplir sous certaines conditions. Ces actions entreprises en symbiose avec les collectivités locales via le dispositif France Rénov’, permettront de soutenir l’ensemble des acteurs tout en encourageant la stabilité et la lisibilité.