Urbanisme : l'arsenal législatif contre l'habitat dégradé se renforce

Nouvelle procédure d'expropriation, droit de préemption élargi, permis de louer… Panorama des mesures adoptées par la loi du 9 avril 2024 pour prévenir et enrayer l'insalubrité des immeubles.

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Dans un contexte de crise immobilière, la lutte contre l'habitat dégradé constitue plus que jamais un important défi à relever pour l'Etat et les collectivités territoriales. La visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement a pour objectif de renforcer notamment les outils en matière d'urbanisme et de maîtrise foncière.

Le droit de l'expropriation renforcé

Le législateur instaure de nouvelles mesures pour faire face à l'habitat dégradé.

Indemnités d'expropriation. L'une d'elles figure à l' (C. expro.) issu de l'article 9 de la loi du 9 avril 2024. Elle prévoit que, lorsqu'un occupant a versé des loyers alors que le bien exproprié faisait l'objet d'un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l'insalubrité, il peut en demander la restitution devant le juge de l'expropriation. Ce dernier peut alors ordonner que la somme des loyers indûment versés soit retirée de l'indemnité d'expropriation due à l'exproprié.

Par ailleurs, un nouvel article L. 323-5 permet à l'expropriant, débiteur des indemnités d'expropriation envers notamment un marchand de sommeil (personne mise en cause pour l'une des infractions des articles 225-14 du Code pénal, L. 511-22 et L. 521-4 du Code de la construction et de l'habitation [CCH]), d'informer le procureur de la République de la date à laquelle il procédera au paiement ou à la consignation. Cette information permet d'anticiper la saisie des fonds dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du Code pénal.

Immeubles indignes à titre remédiable. Ce même article 9 de la loi crée une nouvelle procédure d'expropriation (art. L. 512-1 à L. 512-6 C. expro.). En cas de carence avérée des propriétaires à effectuer les travaux prescrits pour enrayer la dégradation des immeubles et éviter une interdiction définitive d'habiter ou un ordre de démolition, elle permet d'engager les travaux destinés à prévenir l'irrémédiabilité. Pour mettre en œuvre cette procédure, plusieurs conditions doivent être réunies : - l'immeuble doit avoir fait l'objet, au cours des dix dernières années civiles, d'au moins deux arrêtés de mise en sécurité ou de traitement de l'insalubrité, ayant prescrit des mesures propres à remédier à la situation qui n'ont pas été intégralement exécutées ou à l'exécution desquelles il a dû être procédé d'office ; - une attestation doit être produite par un rapport des services techniques municipaux ou un expert justifiant la nécessité des mesures de remise en état pour prévenir la dégradation de l'immeuble ; - pour les biens à usage d'habitation occupés et dont la réalisation des travaux justifie une interdiction temporaire d'habiter, un projet de plan de relogement et, le cas échéant, d'hébergement doit être établi.

La déclaration d'utilité publique (DUP) est prononcée par l'Etat qui pourra, s'il y a lieu, prescrire, par arrêté, une interdiction temporaire d'habiter ou d'utiliser. La décision emportera DUP, cessibilité, désignation du bénéficiaire de l'expropriation, fixation du montant de l'indemnité provisionnelle et détermination de la date de prise de possession.

L'ordonnance d'expropriation ou la cession amiable post-DUP emportera subrogation du bénéficiaire de la DUP dans les droits du propriétaire pour la poursuite des baux en cours, sauf si la DUP a été précédée de la présentation à la commune d'un projet simplifié d'acquisition publique rendant impossible la réintégration, à terme, des occupants dans le local évacué.

Enfin, point essentiel, l'indemnité d'expropriation due au propriétaire sera, de prime abord, fixée par référence à des mutations portant sur le même secteur et dans un état de dégradation ou d'insalubrité comparable et, si cela n'est pas possible, par l'application d'un abattement correspondant au montant des travaux et autres mesures propres à remédier à la situation ayant justifié la prescription des travaux non exécutés. Et, en cas d'interdiction d'habiter ou d'utiliser, ladite indemnité sera réduite du montant des frais de relogement ou d'hébergement des occupants si le propriétaire n'y a pas procédé.

Expropriation « loi Vivien ». L'article 45 de la loi permet de sécuriser l'expropriation des immeubles indignes à titre irrémédiable réalisée sur le fondement de la « loi Vivien » du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre. Cette procédure dérogatoire au droit commun est étendue aux locaux commerciaux frappés par une interdiction définitive d'utilisation (art. L. 511-1, L. 511-6 et L. 511-11 C. expro).

Il apporte des précisions sur la définition du caractère irrémédiable des immeubles insalubres. Ainsi, la notion de « travaux nécessaires à la résorption de l'insalubrité ou de l'insécurité » - incluant les coûts de démolition de l'immeuble, qui en milieu urbain dense peuvent se révéler élevés - est remplacée par celle de « mesures et travaux nécessaires à une remise en état du bien aux normes de salubrité, de sécurité et de décence ». L'exigence est donc atténuée, ce qui permet d'éviter que la prise en compte des coûts de démolition ne fasse obstacle, de manière injustifiée, à la prise d'arrêtés ordonnant la destruction d'un immeuble ou la prise d'un arrêté d'interdiction définitive d'habiter.

Prise de possession anticipée pour les Orcod de droit commun. L'article 44 de la loi du 9 avril 2024 ajoute un chapitre III au titre II du livre V du Code de l'expropriation, intitulé « Opérations de requalification des copropriétés dégradées » (art. L. 523-1 et s.). Jusqu'alors, la loi Elan du 23 novembre 2018 permettait de recourir à la procédure de prise de possession anticipée pour des immeubles dégradés situés dans le périmètre d'une opération de requalification de copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-In). Cette possibilité est dorénavant élargie au périmètre d'une Orcod de droit commun dont l'acquisition est prévue pour la réalisation d'une opération d'aménagement déclarée d'utilité publique.

Le droit de préemption urbain élargi

L'article 22 de la loi du 9 avril 2024 élargit le droit de préemption urbain à trois nouveaux objectifs : - la réalisation d'une opération programmée d'amélioration de l'habitat (Opah) prévue à l'article L. 303-1 du CCH ; - celle d'un plan de sauvegarde prévu à l'article L. 615-1 du CCH ; - ou encore celle d'une Orcod prévue à l'article L. 741-1 du CCH (art. L. 211-2-4 du Code de l'urbanisme [C. urb.]).

Les outils de construction et d'urbanisme renforcés

Permis de louer. Le permis de louer - dispositif créé par la loi Alur du 24 mars 2014 qui garantit que le logement est apte à être loué (art. L. 635-3 CCH) - est un outil dont le principe est plébiscité par les collectivités, un certain nombre d'entre elles ayant instauré des secteurs pour le mettre en œuvre. Il est toutefois d'un usage perfectible, et la loi du 9 avril 2024 propose de le renforcer.

Tout d'abord, son article 8 crée un fondement juridique pour l'exercice d'un droit de visite confié au président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou au maire, dans le cadre de l'instruction du permis de louer (art. L. 635-3 CCH). Cette mise en œuvre du droit de visite manquait jusqu'ici de clarté, la nouvelle disposition est donc sécurisante.

Ensuite, l'article 23 donne compétence aux maires (ou aux présidents de l'EPCI), et non plus aux préfets, pour prononcer directement les amendes relatives aux infractions au permis de louer. Il modifie également l'article L. 635-7 du CCH pour permettre l'attribution du bénéfice de ces amendes aux communes ou EPCI compétents.

D'ores et déjà, émerge l'inquiétude de certaines collectivités quant à l'impact financier et organisationnel du transfert de ce pouvoir. Nombre d'entre elles craignent notamment que la perception du bénéfice de ces amendes ne couvre pas les frais supplémentaires induits par cette nouvelle compétence.

Enfin, l'article 33 de la loi instaure, à titre expérimental pour une durée de cinq ans - soit jusqu'au 9 avril 2029 -, la faculté pour le président de l'EPCI ou le maire de rejeter les demandes en vue d'une colocation à baux multiples lorsque les caractéristiques du logement, nonobstant le respect des normes de décence, ne permettent pas de garantir aux occupants des conditions d'existence dignes.

L'application au logement, et non à chaque locataire, des normes de décence pour ces colocations à baux multiples, a en effet permis à certains marchands de sommeil de procéder à des divisions informelles d'appartements. Aussi, afin que les maires aient les moyens de s'opposer à de telles dérives, la collectivité peut considérer que le logement est indigne même s'il remplit les conditions inscrites à l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, et rejeter la demande de permis de louer.

Relogement temporaire. La loi du 9 avril 2024 participe à améliorer les problématiques d'hébergement et de relogement qui demeurent très fortes dans le cadre des politiques de prévention et de lutte contre l'habitat dégradé : 90 % des maires ayant répondu à la consultation lancée par le Sénat au moment de la proposition de loi sur ce sujet ont en effet signalé des difficultés à cet égard.

Tout d'abord, l'article 24 de la loi modifie l'article L. 314-2 du C. urb. et ajoute un nouvel article L. 421-5-3 au même code afin d'organiser à titre exceptionnel le relogement temporaire - dans des constructions dédiées et pour une durée de deux ans maximum - des habitants évincés lors d'opérations de résorption de l'habitat indigne ou dégradé. L'accord des occupants est requis.

   La loi organise le relogement temporaire des habitants évincés lors d'opérations de résorption de l'habitat indigne ou dégradé.

Sont ainsi dispensées de toute formalité au titre du C. urb. « les constructions temporaires et démontables à usage exclusif de relogement temporaire des occupants délogés à titre définitif ou provisoire » rendu nécessaire par des opérations de lutte contre l'habitat dégradé ou insalubre ou de renouvellement urbain. Ces constructions doivent remplir des conditions minimales de confort et d'habitabilité qui seront fixées par décret. Leur implantation est soumise à l'accord préalable du maire de la commune concernée, au plus tard un mois avant la date de début d'implantation. La dispense vaut pendant la durée de l'opération. La date de fin de l'implantation doit cependant figurer dans l'accord donné par le maire, afin d'éviter que le relogement temporaire ne se prolonge au-delà des nécessités de l'opération.

En outre, l'article 10 de la loi complète l'article L. 521-3-1 du CCH pour prévoir que toute éviction d'une durée supérieure à trois ans entraîne un basculement d'office du régime de l'obligation de l'hébergement temporaire vers celui de l'obligation de relogement définitif des occupants.

Démolition des ouvrages irréguliers. Par ailleurs, l'arsenal des pouvoirs du maire en présence de constructions, aménagements, installations ou travaux réalisés en infraction aux règles d'urbanisme est par ailleurs significativement complété (art. 13 de la loi). Ainsi, lorsqu'« aucun moyen technique » ne permettrait d'envisager une régularisation des travaux effectués afin d'assurer leur mise en conformité avec la réglementation ou les prescriptions d'une autorisation d'urbanisme, l'élu est autorisé à procéder à la démolition complète et aux frais du propriétaire des installations présentant un « risque certain pour la sécurité ou pour la santé » (art. L. 481-1 C. urb.). Cette faculté n'est possible que si le maire y a été autorisé « par un jugement du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond. »

Aires de stationnement. L'obligation de réaliser des places de stationnement est souvent présentée comme un frein à la réhabilitation d'habitats dégradés (manque d'espaces, surcoût notamment dans les centres urbains anciens…). Aussi, la loi ajoute un nouvel article L. 151-35-1 au C. urb. qui prévoit l'interdiction pour un plan local d'urbanisme (PLU) d'exiger la réalisation de plus d'une aire de stationnement par logement concerné par une opération de transformation ou d'amélioration d'immeubles faisant l'objet d'un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l'insalubrité. Cette mesure s'inspire des exigences pesant sur le logement social.

Concession d'aménagement. L'article 21 de la loi crée, quant à lui, un nouvel article L. 300-10 dans le C. urb., afin d'introduire la possibilité de recourir à une concession d'aménagement pour la mise en œuvre d'Opah, de plans de sauvegarde ou d'Orcod.

Enfin, et sans être exhaustif, la loi (art. 50) doit permettre une accélération de la mise en œuvre des opérations d'intérêt national (OIN) et des grandes opérations d'urbanisme (GOU) ainsi que la mise en cohérence de la procédure de consultation préalable à la reconnaissance de l'intérêt national d'une Orcod avec celle de l'OIN. Plus précisément, l'article rend possible le recours à la procédure de participation du public par voie électronique et autorise la mise en œuvre de la procédure intégrée de mise en compatibilité du document d'urbanisme.

Ce qu'il faut retenir

  • La loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement renforce les outils existants entre les mains des collectivités.
  • Une nouvelle procédure d'expropriation est créée pour les immeubles indignes à titre remédiable. Elle est mobilisable en cas de carence avérée des propriétaires à effectuer les travaux prescrits pour enrayer la dégradation de l'immeuble.
  • Le droit de préemption urbain est élargi à trois nouveaux objectifs : réalisations d'une opération programmée de l'habitat, d'un plan de sauvegarde et d'une opération de requalification des copropriétés dégradées.
  • La loi facilite le relogement temporaire des occupants lors d'opérations de résorption de l'habitat indigne en dispensant d'autorisation d'urbanisme les constructions temporaires dédiées.
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