Urbanisme - Emplacements réservés : point trop n'en faut

Le dispositif de pastillage se révèle contraignant pour les propriétaires fonciers, qui peuvent cependant céder leurs biens à la collectivité.

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Le projet de plan local d'urbanisme bioclimatique (PLU-B) adopté par le Conseil de Paris en juin 2023 institue un nombre considérable d'emplacements réservés. Au total, 947 sont destinés à des opérations de construction de logements. L'occasion de revenir sur ce dispositif singulier.

Un cadre juridique strict

Selon l' (C. urb.), le PLU peut instituer des emplacements réservés notamment pour la réalisation de voies et ouvrages publics, d'installations d'intérêt général, d'espaces verts, ou de programmes de logements.

La constructibilité d'un terrain grevé d'un emplacement réservé est très impactée, puisqu'à l'exception des constructions précaires, il n'est pas possible d'y réaliser un projet immobilier qui ne serait pas conforme à l'objet de la réserve, même lorsque ce projet n'empêche pas la réalisation future de la réserve (). Par exemple, même si l'aménagement d'un parc de stationnement en sous-sol d'un terrain n'empêche pas la réalisation en surface d'un équipement scolaire (, publié au recueil Lebon) ou d'un espace vert () inscrit en emplacement réservé, le permis de construire doit être refusé.

En revanche, un permis portant à la fois sur l'opération en vue de laquelle l'emplacement a été réservé et sur un autre projet peut être légalement délivré, dès lors que le projet est compatible avec la destination de la réserve (, mentionné aux Tables).

Immeuble existant. Le mécanisme de l'emplacement réservé est encore plus délicat lorsque la réserve vient grever un immeuble existant, à l'instar du grand nombre d'immeubles de bureaux que le futur PLU-B parisien entend « pastiller » en vue de la création de logements, d'équipements sportifs, d'équipements sociaux ou d'espaces verts. Le document - actuel et futur -détermine le champ d'application matériel de la réserve pour les logements qui s'applique en cas de travaux de démolitions-reconstructions, de restructurations lourdes, ainsi que d'extensions et changements de destination.

Pour les emplacements réservés autres que de logements, à défaut de précisions dans le PLU, c'est le strict régime de la conformité qui s'applique. Si l'on se réfère à certains jugements de tribunaux administratifs, ils feraient obstacle à la réalisation de tous types de travaux, même les plus limités, comme un ravalement (), un changement d'huisseries (), ou la modification de baies ().

Jurisprudence Sekler. Pourtant, il serait logique de considérer que l'immeuble existant qui ne respecte pas la réserve peut faire l'objet de tels travaux selon les principes posés par la jurisprudence Sekler du Conseil d'Etat : « La circonstance qu'une construction existante n'est pas conforme à une ou plusieurs dispositions d'un [PLU] ne s'oppose pas, en l'absence de dispositions de ce plan spécialement applicables à la modification des immeubles existants, à la délivrance ultérieure d'un permis de construire s'il s'agit de travaux qui, ou bien doivent rendre l'immeuble plus conforme aux dispositions réglementaires méconnues, ou bien sont étrangers à ces dispositions » (, publié au Recueil). Ainsi, des travaux d'extension de surface ne seraient pas possibles, contrairement à des travaux affectant la façade.

Puisque le PLU de Paris prend soin d'opérer une distinction en fonction du type d'emplacement réservé (logement / non logement), il pourrait utilement préciser que les travaux portant sur un immeuble grevé d'un emplacement réservé non logement sont soumis au régime des travaux portant sur un immeuble existant non conforme, plus favorable aux propriétaires. A défaut, leur évolutivité sera totalement bloquée.

Un contrôle limité des juges

Si l'institution et le maintien d'un emplacement réservé peuvent être contestés devant le juge administratif, celui-ci n'exerce qu'un contrôle limité ( ; ). En effet, au stade de la création de l'emplacement réservé, le juge vérifie principalement qu'il poursuit un but d'intérêt général - l'administration n'étant pas tenue de disposer d'un projet précisément défini () - et qu'il semble cohérent avec le parti d'urbanisme de la collectivité (, mentionné aux Tables).

Le juge est tout aussi souple dans le contrôle du maintien des emplacements réservés : quarante ans sans changement révèlent l'absence d'intention de la collectivité de réaliser l'objet de la réserve (, mentionné aux Tables), mais tel n'est pas le cas au bout de dix ans (), ni même au bout de vingt ().

Le droit de délaissement, garantie constitutionnelle du droit de propriété

Afin d'offrir une contrepartie au propriétaire concerné par un emplacement réservé, le Code de l'urbanisme a instauré un mécanisme de délaissement lui permettant de solliciter de la collectivité qu'elle fasse l'acquisition du terrain. Il permet d'assurer la constitutionnalité du dispositif (). Cette procédure et ses effets sont régis par les articles L. 230-1 à L. 230-6 du code. Le propriétaire du terrain grevé d'une réserve doit adresser une mise en demeure d'acquérir le terrain à la mairie de la commune où se situe le bien, sans qu'il soit nécessaire d'indiquer un prix.

Prix de cession. La collectivité publique dispose d'un délai d'un an pour s'accorder avec le propriétaire sur le prix de cession. A défaut d'accord amiable, le plus diligent des deux pourra saisir le juge de l'expropriation dans un délai de trois mois, afin qu'il fixe le montant et prononce le transfert de propriété. En cas de désaccord avec le prix déterminé par le juge, le propriétaire peut mettre fin à la procédure de délaissement tant que la décision fixant le prix n'est pas définitive.

Inopposabilité. Selon l', « les limitations au droit de construire et la réserve ne sont plus opposables » si le juge de l'expropriation n'est pas saisi dans les trois mois après l'expiration du délai d'un an, soit un délai de quinze mois depuis la réception de la mise en demeure. Etonnamment, le texte prévoit que cette inopposabilité n'empêche pas la saisine du juge au-delà de ces trois mois, y compris par la collectivité.

Les textes ne tranchent pas la question de savoir si l'inopposabilité de l'emplacement réservé bénéficie aux propriétaires successifs du terrain concerné. A notre sens, et malgré la réponse mitigée du gouvernement (QE n° 00749, JO Sénat, 14 décembre 2017, p. 4498 ; QE n° 06652, JO Sénat, 20 décembre 2018, p. 6598), il est raisonnable de considérer que tel est bien le cas.

La cour administrative d'appel de Lyon a d'ailleurs jugé en ce sens en 2017 en considérant qu'après renonciation du bénéficiaire à acquérir le bien, « les limitations au droit de construire et la réserve n'étaient plus opposables à ce propriétaire ni aux personnes auxquelles il a ultérieurement cédé le terrain » (). Dans le même sens, la cour de Bordeaux relève, dans le cas d'une commune qui fait le choix de réinscrire à l'identique des emplacements réservés pourtant inopposables, que ces nouveaux emplacements réservés « doivent être regardés comme inopposables au propriétaire du terrain comme aux tiers » (). Aucune jurisprudence du Conseil d'Etat n'est toutefois venue confirmer cette solution.

En définitive, l'emplacement réservé est un instrument bien connu, dont les collectivités doivent user avec précision et parcimonie. Il ne faudrait pas que leur nombre et/ou leur champ d'application aient pour conséquences indirectes de scléroser une part significative du tissu urbain, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

Ce qu'il faut retenir

  • Les documents d'urbanisme peuvent instituer des emplacements réservés pour la réalisation de voies et ouvrages publics, d'installations d'intérêt général, d'espaces verts ou encore de programmes de logements.
  • Sur le terrain grevé d'un emplacement réservé, à l'exception des constructions précaires, il n'est pas possible de réaliser un projet immobilier qui ne serait pas conforme à l'objet de la réserve.
  • En cas de contentieux, les juridictions n'exercent qu'un contrôle limité. Au stade de la création de l'emplacement réservé par exemple, les juges vérifient principalement qu'il poursuit un but d'intérêt général.
  • Afin d'offrir une contrepartie au propriétaire, le Code de l'urbanisme a instauré un mécanisme de délaissement lui permettant de solliciter de la collectivité qu'elle acquière le terrain.
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