La Société du Grand Paris (SGP) prépare le futur, et pas uniquement en matière de transport francilien. C'est aussi le cas dans ses contrats, l'établissement public ayant inséré dans certains de ses marchés des clauses permettant le recours à un comité de règlement des différends (CRD). Il s'agit, plus concrètement, d'un organe de médiation dont l'objet est d'abord la prévention des litiges puis, le cas échéant, leur règlement amiable.
Cet outil, très répandu en Amérique du Nord et outre-Manche, où il prend le nom de « dispute board », serait semble-t-il utilisé pour la première fois en France en matière de marchés avec maîtrise d'ouvrage publique - les contrats ou marchés de partenariat étant eux, plus coutumiers du fait.
Un choix pragmatique. Si la SGP fait figure de pionnière dans cette pratique, c'est avant tout en raison d'un contexte particulier. En effet, elle « doit mettre en service plusieurs lignes du Grand Paris Express sous des délais extrêmement contraints, explique Serge Dupont, directeur des marchés et du pilotage contractuel de l'établissement. Par ailleurs, certains marchés, tels ceux de travaux de génie civil, sont techniquement complexes et financièrement très conséquents avec des durées de travaux longues, excédant parfois cinq années ». Compte tenu de ces caractéristiques exceptionnelles et des aléas inhérents aux travaux souterrains, avance le directeur, « la mise en place d'un comité de règlement des différends permet aux parties de se retrouver régulièrement pour anticiper les difficultés d'exécution et régler des situations potentiellement conflictuelles, dans un cadre dépassionné et sous le regard d'un collège de tiers dont l'autorité est reconnue ».
Un comité taillé sur mesure
Un maître d'ouvrage qui décide de créer un dispute board doit faire des choix stratégiques concernant son fonctionnement, souligne François Muller, avocat associé chez Altana, et familier de cet outil à l'international. « Tout d'abord, il doit décider s'il installe cette instance dès la signature du contrat et pour toute sa durée - il s'agira alors d'un “standing board” -ou lors de l'apparition d'un différend - ce sera dans ce cas un “board ad hoc” ».
Dès le démarrage du projet. La SGP a opté pour la première formule. En pratique, détaille Serge Dupont, « une fois le marché contenant une clause de mise en place d'un CRD notifié, et les trois membres experts désignés, ces derniers signent le règlement de fonctionnement du comité et leur contrat de mission. Lequel rappelle notamment les règles d'impartialité, de confidentialité, d'indépendance des membres et d'absence de conflit d'intérêts. Cette mise en place précoce permet au CRD de bénéficier d'une bonne connaissance du déroulement du chantier, de faciliter les relations entre les parties (titulaire du marché et SGP) et d'émettre des recommandations si un différend survient ».
De simples recommandations. C'est d'ailleurs sur ce dernier point qu'un maître d'ouvrage fait de nouveau face à une alternative. En effet, poursuit François Muller, « un dispute board peut soit rendre des décisions exécutoires à l'instar de ce qui se pratique chez les Britanniques, soit de simples recommandations comme c'est de coutume outre-Atlantique ». Le modèle retenu par la SGP est « inspiré de la pratique nord-américaine - canadienne en particulier - de prévention et règlement des différends dans les marchés d'infrastructure », note Serge Dupont. En revanche, « il diverge de l'approche préconisée par la Fédération internationale des ingénieurs-conseils (Fidic), notamment en ce qu'il prévoit des recommandations non exécutoires ».
Concrètement, ces recommandations sont des avis proposés par le comité sur la base des documents qui lui auront été remis, et compte tenu de sa connaissance du contexte. « Elles portent tout d'abord sur le bien-fondé des positions des parties (et notamment s'agissant des demandes de règlement complémentaires, sur leur recevabilité au plan contractuel), puis sur le règlement financier si les parties ne convergent pas », précise le directeur des marchés et du pilotage contractuel.
Un modèle adapté à l'administration française. Dans les deux cas, François Muller reconnaît un choix très sage de la part de la SGP : « La formule du standing board, bien que plus coûteuse car les membres du comité doivent suivre l'exécution et rencontrer régulièrement les intervenants, est vivement recommandée par la pratique, car elle permet une meilleure réactivité en cas de saisine officielle, et offre surtout de vraies chances au comité d'avoir un rôle réellement préventif des litiges. »
L'avocat estime en outre que « des avis sous forme de recommandations sont appropriés, s'agissant d'un outil encore nouveau, avec lequel les parties à ces marchés doivent se familiariser. En outre, la pratique française des contrats administratifs et les prérogatives de puissance publique qui s'y attachent rendent sans doute plus difficile l'introduction d'un mécanisme de décisions contraignantes prises par un CRD. »
Une procédure souple pour lever les blocages
Les parties qui décident de soumettre un différend au comité d'experts ont bien pour objectif de débloquer la situation en s'inspirant des recommandations rendues. La procédure à suivre est en ce sens tout à fait précise : « La partie la plus diligente présente un exposé écrit de sa demande à l'autre partie et au comité, développe Serge Dupont. Cette demande comprend a minima une description claire et concise de la nature et des circonstances du litige, une présentation de la position de la partie sur la question et tout justificatif étayant sa position (document, plan, correspondance, etc. ). L'autre partie répond alors dans les mêmes conditions dans les quinze jours ». De son côté, le comité peut demander des éléments complémentaires, réunir les parties ou bien encore recourir à un expert s'il l'estime nécessaire. Il dispose ensuite de trente jours pour émettre sa recommandation, délai qui peut être prolongé si le différend s'avère complexe.
Le comité permet aux parties de se voir régulièrement pour anticiper les difficultés.
L e s recommandations émises par le comité étant par définition non exécutoires, les parties peuvent choisir de ne pas s'y soumettre. Par ailleurs, signale Serge Dupont, « en dehors du comité, il n'est pas prévu dans nos marchés un autre mode de règlement alternatif des litiges. Dès lors, en cas d'échec de la médiation devant le CRD, le différend peut être porté devant les juridictions par la partie la plus diligente. Les cocontractants demeurent également libres de le régler, à tout moment, par la négociation, avec ou sans l'aide du comité. »
Les entreprises plutôt partantes. Du côté des entreprises, on voit plutôt d'un bon œil la mise en place de ce dispute board, à en croire la SGP. « Les réactions des titulaires sont dans l'ensemble positives, car ils considèrent que cela rendra possible la résolution des différends en cours d'exécution des marchés (et la possibilité de se voir attribuer des rémunérations et/ou délais complémentaires), sans attendre le décompte général », relate le responsable de la SGP.
De façon générale, le mécanisme de simple recommandation « peut par moments soulever une crainte du côté des cocontractants sur le fait que l'administration ne s'y conforme finalement pas si l'issue ne lui est pas favorable », note toutefois François Muller. A contrario, les entreprises peuvent trouver avantageuse la présence d'un CRD quand celui-ci décide de nommer un expert, « alors que cela devient de plus en plus difficile d'obtenir un référé-expertise devant le juge administratif », explique l'avocat.
