Jurisprudence

TVA sur marge des marchands de biens : fin de partie

La restriction de l’accès des marchands de biens immobiliers au régime de la TVA sur marge, initiée depuis quelques années par l’administration fiscale, vient d’être entérinée par la Haute juridiction administrative. Malgré une jurisprudence constante et contraire des cours administratives d’appel saisies de la question, le Conseil d’Etat a tranché dans le sens de Bercy.

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TVA
TVA sur marge

Pour rappel, la TVA s’applique par principe sur la valeur totale des livraisons réalisées par les marchands de biens. Toutefois et par exception, le régime de la TVA sur marge permet aux professionnels de l’immobilier d’appliquer la TVA sur la seule différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition du bien cédé.

Ce régime de TVA sur marge joue exclusivement pour les achats-reventes de terrains à bâtir et d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans, en cas d’option pour la TVA lors de la revente pour ces derniers. La seule condition légale explicitement requise par la loi est que l’acquisition du bien n’ait pas ouvert droit à déduction de la TVA (article 268 du Code général des impôts).

Débats mouvementés

En 2016, plusieurs réponses ministérielles venant de Bercy conditionnèrent l’accès au régime de TVA sur marge à ce que le bien revendu soit d’une part, identique au bien acquis quant à sa qualification juridique (terrain à bâtir/bâtiment) et d’autre part, à ses caractéristiques physiques.

La question que vient de trancher le Conseil d’Etat a fait l’objet de débats mouvementés entre l’administration fiscale et les contribuables, ces derniers contestant la légalité des conditions exigées par Bercy. Les juridictions administratives ont, dans l’ensemble et jusqu’à présent, suivi les contribuables.

Précision importante, face aux contestations exprimées, l’administration fiscale a entretemps abandonné le critère de l’identité des caractéristiques physiques du bien acheté et revendu, aux termes de la réponse ministérielle "Vogel" du 17 mai 2018 [1].

Toutefois, malgré la censure répétée et systématique des différentes juridictions administratives saisies de la question, l’administration fiscale exigeait toujours une identité juridique entre le bien acheté et le bien vendu, considérant cette condition comme inhérente à l’esprit du texte législatif.

Identité juridique du bien

Par une décision rendue en mars (CE, 27 mars 2020, n°428234, mentionné aux tables du Recueil), le Conseil d’Etat s’est finalement (et contre toute attente) rangé du côté de l’administration fiscale, dans une affaire où le contribuable avait acquis un terrain bâti, démoli l’immeuble qui s’y trouvait et revendu en plusieurs lots le terrain. Le Conseil d’Etat a considéré que l’opération avait transformé le terrain bâti en terrain à bâtir, faisant en cela échec au dispositif de la TVA sur marge.

La Haute juridiction administrative considère implicitement que l’opération d’achat-revente doit nécessairement et génétiquement porter sur un bien de même qualification (terrain à bâtir ou bâtiment), ce qui, en lecture directe de la loi, ne va pas de soi. De fait, les juges du Palais-Royal s’appuient sur l’article 268 du Code général des impôts qui n’explicite aucune condition liée à l’identité juridique du bien.

Ils précisent, en outre, que cet article doit être interprété à la lueur de l’article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de la TVA. Or, ce dernier n’apporte pas plus d’éclairage à la question, puisqu’il énonce lapidairement que : « Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ».

Toutefois, cette disposition, insérée dans le Titre XIII intitulé « Dérogations » de la directive, a certainement conduit la Haute juridiction à adopter une interprétation restrictive de la règle et à s’en tenir à une étanchéité stricte entre terrains à bâtir, d’un côté, et bâtiments, de l’autre, aucun mélange des genres n’étant admis. Cette étanchéité semblerait suggérée par la rédaction de l’article 392 précité, même si cela ne saute pas aux yeux.

Dans les faits, la condition relative à l’identité de qualification juridique, aujourd’hui entérinée par la Haute juridiction administrative, constituera indéniablement un frein important à certaines opérations immobilières. Désormais, un terrain bâti acquis en vue de la démolition de l’immeuble qu’il porte, revendu par la suite en tant que « terrain à bâtir », ne pourra plus être éligible au régime de la TVA sur marge, et ce même si l’acquisition initiale du bien ainsi transformé pour être revendu n’avait pas ouvert droit à déduction.

CE, 27 mars 2020, n°428234, mentionné aux tables du Recueil

[1] QE n° 04171 de Jean-Pierre Vogel, rép. min. publiée au JO Sénat du 17 mai 2018.

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