Normes, réglementation, certifications… Le 21 janvier dernier, à l’occasion du salon Batilux de Monaco, les architectes ont pris position sur la question d’un développement durable de plus en plus labellisé. Morceaux choisis.

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Rudy Ricciotti « Beaucoup de charlatanisme »

« L’exigence environnementale mérite mieux qu’une farce cachant à peine une redistribution des pouvoirs pour nous refaire le film Main basse sur la ville. Il n’y a pas d’expert HQE®, qu’on se le dise, et beaucoup de charlatanisme sur une question majeure qui doit être autre chose encore une fois qu’une machine à fabriquer du pouvoir, et en naviguant à vue saquer l’architecture. S’il faut être vulgaire pour refuser l’escroquerie à la morale environnementale, alors soyons tous vulgaires. S’il faut être asocial pour refuser l’infantilisation d’un débat de société aussi impérieux alors soyons asociaux. S’il faut être violent pour refuser le tribunal d’exception qui conduira au racisme culturel, alors je serai violent. Le sigle HQE® est frappé d’un « registered mark ». Que chacun médite sur l’autoévaluation de cette doctrine dans notre économie libérale. Le sigle le plus démagogue jamais inventé protège ses initiales confirmant là ce désir de pouvoir sur un territoire d’intérêt public et réfutant au mot environnement sa propriété de n’être pas appropriable. »

Jacques Ferrier « La norme est le produit de la peur »

« Normes, règlements, certifications sont étrangers à l’architecture, ils sont les outils d’une appréciation de la qualité placée sous l’angle de la responsabilité, du litige, du juridique. C’est une vision de la construction comme une juxtaposition de faits garantis, certifiés, opposables aux tiers si besoin est. Une vision qui est tout sauf globale, qui fragmente la construction en une série d’éléments séparés les uns des autres, grains à moudre d’une modélisation informatique qui in fine dicte la loi. La norme et le règlement sont les produits de la peur, qui derrière le tout premier croquis prévoit déjà le recours, le litige… Qu’on le prenne dans un sens ou dans un autre le règlement ne peut pas être le point de départ à un projet d’architecture. C’est une contrainte dont il ne peut sortir, malgré tous les barouds d’honneur des architectes, rien de bon. Les règles de l’art, bien au contraire, sont parties prenantes du projet architectural. L’association des deux mots en dit long, et cela change tout. Ces règles sont liées à l’usage, à la pérennité, à la qualité de finition : ce sont des contraintes fructueuses. Si on évoque une architecture construite selon les règles de l’art, chacun pressent le plaisir qu’il y aura à voir, à toucher, à voir le temps passer de belle façon, à se patiner au gré des climats. C’est le plaisir à utiliser les choses bien faites,le goût de la matérialité accomplie qui peut même racheter parfois des espaces malcommodes. Les règles de l’art, contrairement aux normes et règlements ne sont pas inspirées par la peur mais par la confiance ; la confiance en la rencontre entre l’imagination et le savoir-faire. »

Nicolas Michelin « Le thermique tue l’espace »

« La nouvelle réglementation thermique 2012, mise au point dans le cadre du Grenelle 2, a été conçue avec un souci essentiel de confort thermique, vu par les ingénieurs thermiciens, sans prendre en compte l’impératif du confort d’usage, critère essentiel dépendant de la conception architecturale. Le thermique tue l’espace ou, plus exactement, la recherche de compacité et d’isolement va à l’encontre de la spatialité et de l’ouverture indispensable à un vrai beau logement. C’est évident, tous les architectes le pensent, mais peu se sont exprimés sur ce sujet et s’ils l’ont fait, ce n’est que dans les revues spécialisées, lues uniquement par le petit monde de la construction. Jamais un politique à l’Assemblée nationale n’a relayé une telle question, pourtant fondamentale pour la vie des habitants des logements durables dits à basse consommation (BBC). »

Marc Barani « L’énergie bleue du cabanon »

« Je vous propose un exemple à méditer : le cabanon de Le Corbusier. L’architecte au sommet de sa gloire décide de passer une partie de sa vie à Roquebrune-cap-Martin. Il dessine et fait construire ce qu’il nomme « son palais », un cabanon de 3,66 m par 3,66 m habitable, revêtu de grossières dosses de pins qu’il pose le plus simplement du monde sur la pente. Très peu d’ouvertures diffusent une lumière apaisante à l’intérieur alors qu’un dispositif de fentes occultables permet de régler la ventilation. Train de nuit au départ de Paris, arrivée le matin à 500 m du cabanon. Bilan carbone du déplacement, impeccable. Intégration paysagère réussie, filière bois, ventilation naturelle, bâtiment entièrement recyclable, impact sur le site réversible. « Epatant » non ? Ce serait amusant de voir combien de cibles ce cabanon aurait atteint. D’autant plus qu’il n’y a pas de chauffage ni de climatisation à l’intérieur. Mais la cible de Le Corbusier était déjà au-delà : c’était une cible existentielle. Il ne s’agissait pas d’énergie grise mais d ‘énergie bleue. Celle de la Méditerranée. »

Benjamin Drossard « Choisir un chemin hors-norme »

« La durabilité est une science inexacte. Car comment produire des bâtiments, des villes, des environnements qui offrent des possibilités et des développements ouverts difficilement prévisibles à ce jour ? La recherche de cette ouverture n’est pas si facile à tenir dans le monde réel : c’est une attitude en totale contradiction avec la définition même de la norme qui cherche à qualifier définitivement tout dispositif, tout projet, toute situation. On peut donc dire que s’inscrire dans une perspective de « développement durable », c’est par définition et en premier lieu choisir un chemin hors-norme. La question est : dans le monde actuel, comment est-ce possible ? Il faut reconnaître la bizarrerie de la situation : ma génération se caractérise par le « fast, » le « cheap », le « low-cost », le « jetable », et notre société cherche absolument à nous vendre un développement dit « durable ». A première vue c’est suspect et très paradoxal. Paradoxal, parce que le développement durable suppose a minima qu’on se donne comme premier principe le temps de développer. »

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