Véronique n’est pas là pour le farniente. Bien au contraire, elle profite des beaux jours pour œuvrer à la construction d’une maison utilisant des procédés écologiques à Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne. Nous sommes à la fin du mois de juillet, il est 9h30 du matin, et comme la veille et pour le reste de la semaine, l’échauffement commence, au côté d’Emmanuel Stern, anthropologue et artisan pour la coopérative Anatomies d’architecture (Ada), qui va l’accompagner, elle et la quinzaine d’autres bénévoles présents ce jour-là.

Avant de commencer la réalisation des enduits terre cette fin juillet, les bénévoles s'échauffent. © AL
Cette jeune trentenaire, architecte en recherche d’emploi après une année de césure, attirée par l’écoconstruction, cherche à donner du sens à son métier. Quand on lui demande en quoi son rôle consiste ici, ses mains se mettent en ordre de marche. « Comme j’ai suivi le chantier hier, je dois m’assurer que les mélanges pour l’enduit de corps en terre soient bien réalisés ». La recette, elle la connaît par cœur : « Cinq seaux de sable, deux seaux de terre et deux seaux de paille, dans un fond de poubelle d’eau. Je veille à ce que la texture soit bonne pour ceux qui vont enduire les cloisons à l’étage ».

L'eau, le sable, la terre et la paille qui serviront à enduire les cloisons sont mélangés au malaxeur. Une étape difficile au fur et à mesure que la matière s'épaissit. © Mathilde Cornu
Tous les regards sont fixés autour du malaxeur. « Il faut accompagner l’outil avec ses hanches pour éviter de se blesser le dos », préconise Mathias à ses compères. La matière s’épaissit. L’opération est difficile, mais réussie. Des bacs sont remplis de l’enduit pour être acheminés les uns après les autres dans cette maison en ossature bois et isolation paille, à l’étage donc. C’est là que les bénévoles, artisans d’une semaine, doivent le poser sur les 70 m² de cloisons qui séparent les chambres installées côte à côte les unes des autres. « Tu prends de la terre sur ta truelle, tu la taloches. Une fois prête à enduire, tu l’appliques toujours de bas en haut, pour bien tasser la matière et éviter qu’elle ne se décroche. Puis il faudra la dresser à la règle », explique Emmanuel Stern, qui partage son expérience à chacun.
Archi motivé : un chantier porté par l’ambition de ses maîtres d’ouvrage
« Les cloisons ont été réalisées préalablement avec un mélange terre paille, tassé entre deux cannisses, durant le mois de juin. Près de 2000 quenouilles, autrement dit des bâtons de bois vert enroulés de terre et de foin, qui servent d’isolant au plancher en bois, ont aussi été mis en œuvre lors d’une autre semaine en chantier participatif en mai », raconte le futur propriétaire, Antoine, informaticien et entrepreneur d’une société qui fournit des repas zéro déchet aux entreprises.

Les planchers de la maison en ossature bois sont entièrement isolés de quenouilles. © Ada
Avec sa femme Marica, qui est d’ailleurs architecte au sein du cabinet Architecture studio, ils ont acheté cette parcelle longiligne et habité en collectivité la maison de maître qui s’y trouve depuis sept ans. Même s’ils s’y sentent bien, ils avaient pour projet dès leur arrivé de construire, à l’autre bout de la parcelle, une maison individuelle. Pour elle, s’inspirer de l’architecture vernaculaire représentait une belle occasion de questionner la valorisation des matériaux locaux et des savoir-faire artisanaux, et d’évaluer leur portée possible à plus grande échelle. Pour lui, ce projet ne pouvait se faire sans miser sur l’action collective. Plutôt que de risquer de créer de l’animosité entre eux durant ce projet, et de mélanger vie privée et vie professionnelle, le couple décide de choisir un architecte.

Cette technique des quenouilles consiste à rouler de la paille, du foin et de la terre autour de bâton de bois vert © Ada
Après avoir pris connaissance de leur « Tour des matériaux d’une maison écologique » et de leur première œuvre dans l’Orne, Le Costil, ils décident ensemble de choisir Anatomies d’architecture pour mener leur chantier. « L’agence, par son niveau d’exigence en écoconstruction, nous a tous les deux séduits », confie Antoine. Restait à éprouver l’aventure du collectif. « Nous avions déjà participé en famille à un chantier participatif avec le réseau Twiza, précurseur dans le domaine. Cela n’a fait que confirmer notre volonté de vivre des moments de partage, de lien, de transmission de techniques, dans la convivialité », raconte Antoine. Et pour cause : « Le chantier participatif est une source d’émancipation, un prétexte social qui à travers l’art de bâtir, est structurant pour un individu qui participe à une œuvre commune », affirme avec conviction Cédric Avramoglou, le président et fondateur du réseau Twiza. La famille a donc souhaité avant même la conception, proposer des lots en chantier participatif… tout comme Ada. Le "perfect match", en somme.

Pour les monter à l'étage, place au lancer de quenouilles © Ada
« Et il faut bien le reconnaitre, les chantiers participatifs permettent des procédés de construction écologiques qui seraient impossibles sinon, car trop laborieux », confie Antoine. Pour lui, « un plancher en quenouille, personne ne pourrait se le payer avec une entreprise traditionnelle. Mais si la technique se démocratise, les process pourraient être optimisés et massifiés ». Reste qu’à ses yeux, il serait intéressant de comparer les économies réalisées sur le coût de la main d’œuvre versus l’argent dépensé pour accueillir ses convives chaleureusement, un budget sous-estimé.
Archi usé : un cercle de parole pour architectes désenchantés

Les bénévoles n'hésitent pas à mettre les pieds dans le plat pour préparer le mélange terre paille qui sera mis entre des cannisses pour constituer les cloisons des chambres © Ada
Pendant le déjeuner, les langues se délient. Maria est entre deux périodes de sa vie : diplômée de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles en 2012 et d’un master en architecture durable, elle a exercé cinq ans en maîtrise d’œuvre dans un petit cabinet, avant d’entamer une coupure d’autant de temps pour s’occuper de ses enfants. « Mon parcours en agence a été pour moi une désillusion. Leur travail était bien trop loin des préoccupations écologiques qui m’animaient déjà. J’avais participé à un premier chantier participatif en 2010, mais à l’époque, ces sujets étaient encore trop marginaux. Je reviens dans le secteur avec un bouillon d’idée », confie-t-elle. Conseillère d’un jour au CAUE, doula dédiée à l’accompagnement périnatal un autre, elle cumule les emplois pour trouver sa voie.

Au moyen d'un persuadeur, les bottes de paille sont rentrées en force © Ada
« C’est un cercle de parole pour architecte usé qui s’ouvre ici », confie Raphaël Walther, l’architecte en charge de la conception de la maison au sein d’Ada. Force est de constater que les acteurs sont trentenaires et majoritairement des femmes.« Lors de ce chantier participatif, nous avons croisé Justine, qui a été exténuée par le travail mené d’arrache pied durant cinq ans sur le chantier de Notre-Dame de Paris. Emilie, de son côté, ne supportait plus la pression exercée sur les architectes et les artisans, elle qui s’est formée sur la construction d'une école en paille auprès d'une mairie engagée dans l'écoconception », poursuit-il. De son côté, Anna se dit être « une architecte en pause, fâchée avec l’architecture. Je souhaite rencontrer des personnes motivées, partager des parcours, et renouer avec les savoir-faire », explique celle qui se dirige vers un CAP menuiserie. A ses côtés, son confrère lui aussi tout droit sortie d’une école d’architecture, se targue de vouloir devenir enduiseur. De nombreux conseils lui sont prodigués pour y parvenir avec efficacité.

Sur les cloisons, un enduit en terre crue et paille est appliqué © Ada
Il faut dire que l’attrait pour les matériaux bio et géosourcés force au déplacement. « Au-delà du lien social, la découverte et l’initiation à de nouvelles techniques et matériaux sont force de motivation », constate Cédric Avramoglou. Pour Augustin, architecte spécialisé en rénovation d’appartement, qui participe à son deuxième chantier participatif avec le réseau Twiza, cet évènement constitue avant tout un moment de convivialité, autour de savoir-faire et de leur transmission. « Ici, de nombreuses techniques sont réunies. Quenouilles, paille en cannisse, enduits terre sur cloisons chauffantes, c’est un vivier de savoir-faire ».
Archi sûr : la difficile tâche d’assurer son autoconstruction
Le chantier continue. Les bacs de terre sont acheminés les uns après les autres à l’étage sur un escalier échelle, mais ils pèsent lourd et la fatigue se fait rapidement sentir. Il faut trouver un autre moyen. Qu’à cela ne tienne, un système de poulie est vite mis en œuvre, et les bénévoles retrouvent le sourire pour recouvrir la paille.
« Notre enjeu sur les dix premières années du réseau était de démocratiser le chantier participatif et de créer du lien social autour. Désormais, nous cherchons à sécuriser les pratiques pour les 700 ouvrages et donc les milliers de personnes adhérentes à Twiza », poursuit Cédric Avramoglou. La plateforme de mise en lien est devenue une coopérative d’intérêt collectif qui embarque les membres actifs comme les professionnels, qui cherchent à assurer leur geste suite à une formation, ou qui, à force d’expérience, souhaitent transmettre leur savoir. « Nous travaillons ainsi sur un cadre qui favorise des expériences qualitatives sécurisantes sans rogner les considérations techniques. Nous avons d’ailleurs défini une démarche qualité pour encadrer les chantiers, et s’assurer qu’il y a bien un sachant qui va suivre et coordonner le chantier, idéalement le maître d’ouvrage, que nous allons accompagner », explique-t-il. Depuis peu, la plateforme propose en plus des formations.

Antoine, le maître d'ouvrage, s'attèle lui aussi ardemment à la tâche. © Mathilde Cornu
Cependant, au vu des innovations ou techniques vernaculaires apportées sur le chantier, les architectes d’Ada ont tout de même demandé au maître d’ouvrage s’il était prêt à renoncer en partie à la garantit décennale. Le bureau de contrôle assure les questions de solidité, les entreprises ont pris leur lot. Seule faille, la paille. Antoine s’est donc formé à la Pro paille pour mener à bien son chantier. En effet, le matériau est présent partout, dans l’isolation des murs à ossature bois, dans le plancher des combles, dans les cloisons. Or, il faut absolument éviter les problèmes d’humidité et de condensation qui pourraient conduire à des sinistres. « J’avais bien conscience qu’en chantier participatif, s’il n’y a pas une personne dédiée à former les autres pour que tout le monde ait le même niveau d’exigence, il y avait des risques. J’ai un véritable rôle de lien pour être sûr que les informations transmises ne circulent pas en téléphone arabe, même si ce rôle était finalement bien difficile à combiner avec celui d’hôte », rapporte Antoine. Reste qu’il y a un vide juridique autour de ce genre de pratiques. « La responsabilité décennale régit la responsabilité du constructeur envers le maître d’ouvrage, mais en auto construction, il s’agit de la même personne. La recherche d’une telle garantie n’a donc plus de sens. Problème : elle est tout de même demandée pour un financement bancaire, et en cas de sinistre, l’auto constructeur devra assumer seul », déplore Cédric Avramoglou.

Emmanuel Stern, artisan au sein de la coopérative Ada, transmet son savoir-faire au maître d'ouvrage et aux bénévoles. © AL
Heureusement, Raphaël Walther et Emmanuel Stern se sentent suffisamment confiants dans leurs pratiques pour réaliser ce genre d’ouvrage. Payés également en tant qu’accompagnants, ils ont régulièrement un œil avisé lors de la mise en œuvre des différentes techniques. « Sur les chantiers participatifs, même s’il faut accepter les erreurs, nous voyons des bénévoles faire mieux que des professionnels, car ce sont des gens impliqués, engagés, qui ont envie d’apprendre et de bien faire, ce qui n’est pas toujours le cas dans le monde conventionnel », observent les deux camarades.
Archi plus : l’écoconstruction comme terreau fertile pour la filière
« Les chantiers participatifs sont comme un bac à sable digne d’intérêt pour trouver des solutions pour les enjeux actuels et à venir, un terreau fertile pour alimenter la filière », croit fermement Cédric Avramoglou, qui se remémore le chemin qu’à parcouru la filière paille. D’autant que le recours aux matériaux bio et géo sourcés sera de plus en plus prégnant avec la RE2020, puisque leur capacité à séquestrer le carbone plutôt qu’a en émettre rend leur utilisation évidente.

A la fin de la journée, les gestes sont bien acquis et de nouvelles professions se profilent © Mathilde Cornu
La première passe d’enduit à la couleur d’un capybara s’achève sur les cloisons. Il est temps de faire le point sur cette journée et lancer les recommandations pour le lendemain. D’autant qu’Emmanuel Stern ne sera plus là sur la fin de semaine pour prodiguer ses délicieux conseils aux bénévoles en toute bienveillance. Le petit groupe nettoie ses outils, et se regroupe dans les chambres pour observer et discuter du travail effectué. La lumière s’éteint, comme pour signaler la fin de cette journée, tandis que les échanges et transmissions de savoir se poursuivent avant un apéritif bien mérité dans la maison de maître de notre hôte, tout aussi bienveillant.