Comment l’année 2023 démarre-t-elle pour Saint-Gobain dans un marché plus tendu ?
La construction neuve ralentit, ce qui était prévisible. La hausse des taux d’intérêt et l’inflation grippent naturellement ce marché. Mais Saint-Gobain reste avant tout positionné sur les marchés de la rénovation, qui représentent les deux tiers de son activité en Europe. En France, les carnets de commande des artisans sont remplis et la rénovation énergétique se porte bien.
La rénovation énergétique semble pourtant se résumer trop souvent au remplacement d’une chaudière par une pompe à chaleur. Partagez-vous les doutes de plus en plus nombreux qui s’expriment à ce sujet ?
Avec notre bureau d’études interne Opti+, nous avons analysé quelques situations. Remplacer une vieille chaudière par une pompe à chaleur dans une passoire thermique d’avant 1969 n’apporte aucun gain de performance énergétique. Dans les bâtiments plus récents, cette seule opération apporte effectivement un gain, mais faible.
Pour être efficace, la rénovation énergétique doit être globale, qu’elle soit réalisée en une seule fois ou par étapes. Il faut d’abord isoler l’enveloppe, en particulier la toiture et les murs, puis traiter la ventilation et le système de chauffage.
Les aides publiques et les CEE restent pourtant très orientées sur le chauffage. Espérez-vous des évolutions ?
Nous les demandons en tout cas, sans pouvoir être soupçonnés de partialité entre les systèmes, puisque nous fabriquons des isolants, mais vendons aussi beaucoup de pompes à chaleur via le réseau Cedeo. Il faut encourager les travaux de rénovation globale au lieu de favoriser les petits gestes.
Une petite musique monte sur les biosourcés, qu’il faudrait favoriser dans les dispositifs publics au détriment des produits industriels plus classiques. Y voyez-vous un facteur de risque, notamment pour Isover ?
On entend effectivement beaucoup de choses sur ces sujets. Il faut arrêter d’opposer laine de verre et biosourcé ! Là encore, Saint-Gobain s’exprime dans une relative neutralité, puisque tout en étant un acteur majeur sur le marché de la laine de verre, nous venons de doubler nos capacités de production en laine de bois, à Mably (42). Il est important de le dire : biosourcé ne veut pas forcément dire écologique ! La laine de verre a de nombreux atouts environnementaux. Nous la recyclons avec la technologie oxymelt dans notre usine d’Orange (84). Nous sommes en train de réaliser le projet SBM Recycling dans l’usine de Chemillé (49) pour recycler des rebuts de laine de verre à taille industrielle. Rappelons que la laine de bois, pour sa part, n’est pas recyclable à l’heure actuelle, car elle contient des produits chimiques. Les laines minérales, qui ont beaucoup progressé ces dernières années, constituent souvent le meilleur compromis technique, économique et environnemental. Isover va lancer prochainement une grande campagne d’information à destination des maîtres d’ouvrage pour leur rappeler les fondamentaux.
Toutes nos marques industrielles sont par ailleurs parties prenantes des gammes « Les Engagés », qui flèchent des produits éco-responsables chez Placo, Weber, Adfors, Saint-Gobain Glass, Isover…
Certains acteurs appellent à basculer notre approche de la rénovation énergétique vers une obligation de résultat plus que de moyen, en s’appuyant sur les économies réalisées. Partagez-vous cette approche ?
Elle prévaut déjà dans le tertiaire, pourquoi ne pas l’étendre au résidentiel ? Il me paraît évident que les chantiers aidés doivent apporter la preuve de leur performance, avec des mesures avant et après travaux, à condition évidemment de déterminer la meilleure méthodologie.
Nous avons cofinancé en 2022 des chantiers de rénovation énergétique pour des collaborateurs éligibles à MaPrimeRénov’, en particulier ceux qui ont les rémunérations les plus faibles. Nous avons pu démontrer d’une part que les mesures étaient possibles, puisque nous avons collecté de la donnée sur les performances réelles, et d’autre part que la rénovation globale fonctionne, avec un investissement moyen inférieur à 30 000 € et un temps de retour sur investissement aux alentours de 5 à 6 ans.
Le manque de main-d’œuvre reste criant dans le bâtiment. Comment pouvez-vous y répondre ?
Nous agissons à deux niveaux. Tout d’abord, au niveau de l’apprentissage, trois de nos enseignes ont monté des centres de formation, pour enseigner aux jeunes de 18 à 29 ans les métiers de la couverture (L’Ecole du toit, par Asturienne), du génie climatique (19 °C, par Cedeo) et de la maçonnerie (L’Ecole des bâtisseurs, par Point.P). Nous voulons former à terme 6000 personnes par an dans ces trois dispositifs L’objectif est d’avoir 24 classes d’ici à fin 2023 et de former 3000 jeunes d’ici à 2026. Nous voulons contribuer ainsi à démontrer que les métiers du bâtiment sont ouverts à toutes et à tous, intéressants et variés.
Au niveau de l’exercice du métier ensuite, nous travaillons en permanence à l’adaptation de nos systèmes à la rénovation, pour les rendre légers et faciles à installer. C’est ce que nous avons proposé récemment avec la façade F4.
Vous évoquiez la rénovation énergétique dans le tertiaire. Y voyez-vous des perspectives d’activité ?
Oui, bien sûr. Les surfaces ont dû être déclarées l’an dernier, et les acteurs vont désormais devoir engager des plans d’action. Saint-Gobain s’y est attelé dès l’an dernier. Nos consommations énergétiques ont baissé de 7,7 % en 2022, et de 11 % sur le seul deuxième semestre ! Nous avons travaillé sur des fermetures temporaires de locaux durant les congés, sur les comportements en agence dans le négoce, sur la recharge nocturne des chariots élévateurs électriques…
Tout le monde du tertiaire va devoir agir, et cela va nécessairement créer un marché pour l’isolation, le chauffage, l’éclairage… Je peux vous préciser que Saint-Gobain en France prévoit d’investir 120 M€ d’ici à 2030 pour abaisser la consommation énergétique de ses sites.
Vous avez évoqué l’économie circulaire pour la laine de verre. A l’heure où la REP PMCB se met en place, elle reste un objectif pour tout le groupe ?
Oui, plus que jamais. Nous voulons agir à toutes les étapes : favoriser le tri sur chantier avec des acteurs comme Les Ripeurs ou Tri n’collect dont nous sommes actionnaires, transporter ces déchets via des structures comme Ecodrop, les collecter dans des déchetteries dans nos agences (le réseau de distribution sera constitué d’environ 600 points de reprise de déchets du bâtiment) et bien sûr structurer les filières de recyclage et de revalorisation. Nous avons des enjeux de volumes sur certains matériaux comme le verre, puisque nous avons besoin de calcin pour notre production verrière. Nous démarrons d’ailleurs sur la récupération du verre de déconstruction de menuiserie, et avons à ce titre déjà collecté l’an dernier 4000 tonnes de verre. Nous souhaitons atteindre 70000 tonnes sur ce registre rapidement.
Nous avons par ailleurs, sur le village des jeux, conduit le premier chantier orienté vers le réemploi, avec des cloisons Placo faciles à installer mais aussi à démonter en vue de leur réutilisation. C’est cet argument qui nous a permis de remporter le marché !
Vous restez donc confiant pour 2023 ?
Le marché va connaître des soubresauts, mais le besoin de logements reste présent et celui de rénover encore plus. Je rappelle au passage que 80 % du parc bâti en 2050 existe déjà aujourd’hui. Sans rénovation, impossible d’atteindre la neutralité carbone en 2050 comme la France s’y est engagée. Saint-Gobain est idéalement positionné sur la rénovation comme sur le neuf, avec une offre large et adaptée, avec des collaborateurs extrêmement impliqués. Ils sont 90 % à se dire fiers de travailler dans notre groupe et à recommander l’entreprise. Nous leur demandons beaucoup dans un monde de plus en plus complexe, ils ont toujours répondu présents et constituent notre atout majeur pour participer à l’effort collectif national.