Après le neuf, l'existant. Depuis le 1er janvier 2025, tous les établissements tertiaires équipés d'un système de CVC dont la puissance dépasse 290 kW ont l'obligation d'être dotés d'une gestion technique de bâtiment (GTB), comme prévu par le décret Bacs pour « Building Automation & Control Systems » du 20 juillet 2020. Pourtant, force est de constater que le compte n'y est pas. Sur environ 200 000 sites de plus de 1 000 m2 concernés, seuls 15 % sont équipés d'un système d'automatisation et de contrôle et près de la moitié de ceux-ci ne l'exploitent pas, selon le Gimelec (1).
Or, ce dispositif, qui gère les installations de chauffage, ventilation et climatisation des bâtiments, permet de réduire sensiblement leur consommation d'énergie. Il constitue même l'un des principaux moyens pour atteindre les objectifs du dispositif Eco Energie tertiaire (DEET, ex- décret tertiaire). « L'immobilier tertiaire est très en retard dans le déploiement des GTB par rapport à la feuille de route fixée par l'Etat en matière de sobriété énergétique des bâtiments en 2030, 2040 et 2050 », estime François-Xavier Jeuland, fondateur de l'Observatoire de l'immobilier connecté et responsable (OICR).

Cibler le bureau et le commerce. Au rythme actuel du déploiement, le Gimelec anticipe que seuls 18 % des sites tertiaires concernés seront équipés en 2027 et 21 % en 2030. Pour rattraper ce retard, l'organisme propose un plan d'accélération visant à atteindre les 50 % en 2030, soit 100 000 bâtiments. « Ce plan est réalisable s'il est adopté par la plupart des décisionnaires, propriétaires et le plus souvent locataires de bâtiments, avec le soutien des pouvoirs publics », estime-t-il. Son succès nécessitera de cibler en priorité le bureau, le commerce et l'enseignement qui représentent les deux tiers du parc à équiper, et de mettre à jour rapidement les GTB déjà installées dans les grands sites. Il requerra en outre une offre massive de formations (lire ci-dessous) pour permettre aux exploitants de s'approprier les solutions. Quant à son financement, le Gimelec préconise de mettre en place une incitation à l'acquisition d'une GTB.
Les décideurs manquent de connaissances sur l'obligation réglementaire de s'équiper.
Au regard des freins importants à son installation, le pari n'est pas gagné. Les décideurs manquent d'abord de connaissances sur l'obligation réglementaire des Bacs. « Beaucoup ne savent pas qu'il faut installer ce système », confirme Pierre-Nicolas Cléré, directeur commercial du domoticien Connecting Technology. Le manque d'organisation des entreprises pour exploiter les solutions installées est également criant. « Si, dans les grands sites, c'est souvent la direction chargée de l'énergie qui s'y consacre, dans les plus petits, il n'y a pas de fonction spéciale attribuée », note Julien Bellynck, directeur général d'Eficia, fournisseur de services de pilotage énergétique des bâtiments. Une difficulté renforcée par une insuffisance patente de compétences pour piloter les GTB. Schneider a ainsi dû former en interne son personnel au pilotage de ces instruments pour son bâtiment IntenCity de 26 000 m² à Grenoble (Isère). « Avoir du personnel compétent reste un vrai souci, surtout pour les petits bâtiments », témoigne Nathalie Champeaux, sa directrice digital energy.
Le frein des travaux d'aménagement. Le coût élevé des systèmes traditionnels de GTB ralentit également leur déploiement, notamment dans l'ancien où l'installation demande souvent d'effectuer des travaux d'aménagement. Le tirage de câbles nécessite parfois de les faire passer à travers la structure du bâtiment pour connecter le dispositif aux installations CVC. « Un système filaire classique revient en moyenne à 30 à 50 euros par m² », estime Anthony Godat, directeur Service technique, maîtrise d'ouvrage chez BNP Paribas Reim.
De plus, les décideurs ne bénéficient plus du doublement de la prime Certificats d'économies d'énergie (CEE), une aide importante. « Le marché des GTB s'est dégradé depuis que ce doublement n'a pas été renouvelé en juin 2024 », regrette Pierre-Nicolas Cléré. Ce coup de pouce pouvait couvrir jusqu'à 100 % de l'investissement. Il ne pèse désormais plus qu'entre 20 % et 50 % de la dépense. Pourtant, même sans lui, le retour sur investissement peut intervenir entre 12 et 24 mois selon les fournisseurs. « En atteignant 20 % à 45 % de réduction de consommation d'énergie, nous avons rentabilisé l'installation de la GTB dans nos bâtiments en moins de deux ans », illustre Olivier Daval, responsable de l'efficacité énergétique chez Spie Facilities.
Les décideurs peuvent aussi recourir à des systèmes « légers » à moindre coût qui nécessitent seulement l'installation de capteurs remontant les informations de consommation à une plateforme de traitement de données. « Cette solution plus appropriée aux petits et moyens bâtiments revient à 10 euros par m² », estime Julien Bellynck.
Enfin, les dispositions qui imposent l'installation et le pilotage de tels systèmes ne sont pas contraignantes ce qui ne pousse pas à l'équipement. Les sanctions prévoient jusqu'à 7 500 euros de pénalité et la diffusion du nom des entreprises qui ne respectent pas le décret Bacs dans une liste name & shame. Reste à savoir si elles seront appliquées.
(1) Groupement d'entreprises spécialisées dans les technologies électro-numériques pour piloter les énergies du bâtiment et de l'industrie.
Chiffres
- 55 % des systèmes de GTB installés dans des sites tertiaires sont exploités correctement.
- Jusqu'à 15 TWh pourraient être économisés par an si la moitié du parc visé par le décret Bacs était équipée d'un système de GTB.
Source : Gimelec, novembre 2024.
Des formations émergent pour pallier le manque de compétences
Certaines universités et quelques organismes spécialisés proposent des formations initiales et/ou continues sur le pilotage des systèmes de GTB. L'université d'Orléans (Loiret) délivre ainsi aux étudiants un bachelor universitaire de technologie (BUT) des métiers de la transition et de l'efficacité énergétiques (MT2E) avec l'option « optimisation énergétique pour le bâtiment et l'industrie ». Ce cursus s'attache à former à la conception, au dimensionnement et à l'audit des solutions d'optimisation de la performance énergétique et environnementale des bâtiments.
De son côté, l'Association française de normalisation (Afnor) propose aux responsables et techniciens des services maintenance et des moyens généraux une formation de trois jours sur l'exploitation d'une architecture de GTB évolutive, fiable et énergétiquement efficace. Citons également la formation de 40 heures du Conservatoire national des Arts et Métiers (Cnam) qui s'adresse aux professionnels exerçant dans le domaine de l'énergie ou aux étudiants diplômés d'un BTS, DUT ou de L2.
Maîtres d'œuvre, responsables de services techniques du tertiaire, exploitants et entreprises du bâtiment peuvent eux suivre une formation complète de trois jours, délivrée par l'Institut français de formation en énergétique (Iffen) sur la connaissance des usages et des fonctionnalités actuelles et futures. L'Iffen enseigne les étapes indispensables d'un projet de GTB, de la conception à l'exploitation, ainsi que le pilotage ou encore l'évaluation dans un projet de construction neuve ou de réhabilitation.