Quand on approche du domaine, c'est d'abord une ligne ocre qui se dessine à l'horizon du ciel provençal, puis un édifice sans « véritable » façade : un objet architectural semblant inscrire sa présence par le seul défilement de vastes écrans de pierre plus ou moins ajourés. La volumétrie est simple, ordonnée par deux murs de 110 m de long érigés parallèlement entre la départementale et les restanques. Côté route, le bâtiment dessine une courbe à peine prononcée, mais suffisante pour accompagner la vitesse des voitures et créer un effet cinétique marquant une direction. A l'arrivée sur le parvis, cette peau changeante laisse place à un subtil empilement de blocs de pierre qui, paradoxalement, donne l'impression d'être à taille humaine. Appelant à toucher la matière, ces murs jouent sur l'écartèlement de leur masse et de leur épiderme pour donner corps à une silhouette dense mais poreuse. « Au vu de la taille considérable du chai, j'ai cherché à en multiplier les lectures à différentes échelles du paysage », explique Carl Fredrik Svendstedt. S'il est familier du travail de la pierre, l'architecte rappelle le voisinage de l'abbaye du Thoronet pour justifier le recours à un matériau qui lui a paru d'une évidence matérielle et temporelle. Ici, il a choisi une pierre du Gard, un calcaire pas très dense et idéal pour constituer des blocs massifs. Identiques, ces derniers mesurent 1 x 1,5 m et pèsent une tonne. Autoportants, ils sont simplement posés sur les fondations en béton et confortés par des raidisseurs tous les 5 m, conformément à la réglementation sismique. « Par sa clarté géométrique, ce dispositif mathématique simple et harmonieusement compréhensible exhale une certaine poésie », estime l'architecte. Décalées de 10 cm, les pierres se superposent jusqu'à atteindre 10 m de haut. Afin de créer des vues, des accès et des ventilations, elles se tournent, se vrillent et se collent pour répondre aux usages de ce qui demeure un outil de production. Étanches lorsque la lumière ne doit pas interférer avec la vinification, elles s'écartent pour faire office de brise-soleil dans les bureaux ou cadrer des vues sur les environs dans la partie réservée à l'accueil des visiteurs. Car, au-delà de la force plastique qu'il dégage, le bâtiment devait avant tout répondre aux attentes fonctionnelles des vignerons en matière d'espace et de dimensionnement - qu'il s'agisse de l'acheminement gravitaire du raisin, des cuveries, du conditionnement, du stockage ou de dégustation. Là repose l'un des enjeux majeurs du projet : l'intégration d'une boîte technique complexe prédéfinie à une vision architecturale.
Un entrepôt ultrasophistiqué
Semi-enterré dans la pente pour des raisons d'inertie thermique et de process, l'édifice s'apparente à un entrepôt d'une sophistication extrême, où aucun flux ne se croise et où jamais la lumière du soleil n'entre directement. Il est entièrement assujetti à une logique organisationnelle qui va jusqu'à se traduire formellement. En témoigne par exemple l'auvent de la cour des vendanges - côté parvis - qui tout en arrêtant visuellement le bâtiment apporte de l'ombre. Plus spectaculaire encore est le traitement monumental, à l'arrière, de la façade correspondant à la hauteur du lieu de stockage. Elle émerge comme un immense gril et son classicisme affirmé évoque celui d'un temple quand, dans la réalité, elle satisfait les besoins d'un quai de déchargement. « En réalité, c'est l'arrière du chai qui constitue la grande façade », indique l'architecte, comme s'il s'agissait de rappeler que le bâtiment cultive les paradoxes, ne cessant de masquer et de dévoiler, de jouer sur l'enfouissement et le surgissement, la perception de la masse et celle de la légèreté. A l'intérieur, dans la partie publique où des percées visuelles ont été orchestrées sur les cuves, il a également dessiné le bar en inox et ses panneaux en bois de vagues ondulantes. Une attention décorative revendiquée et clairement visible dans la façon dont il utilise la pierre.
Car s'il s'inscrit volontiers dans la filiation d'un Gilles Perraudin, Carl Fredrik Svendstedt n'hésite pas à se dire moins rigoriste et à assumer la recherche d'une beauté plastique et émotionnelle. Et c'est avec une élégance presque tactile que ce chai s'affiche dans un paysage où il semble avoir toujours été.
LIEU : château de Selle, Taradeau (Var)
MAÎTRISE D'OUVRAGE : Louis Roederer et Les domaines Ott
MAÎTRISE D'ŒUVRE : Carl Fredrik Svenstedt architecte ; BET Vinicole, Ducoin SAS Ingénierie ; Beccamel Mallard ; Christophe Ponceau et Mélanie Drevet, paysagistes
PROGRAMME : chai
SURFACE : 4 200 m2 (chai vinicole), 850 m2 (bâtiment agricole et auvent)
CALENDRIER : 2012, concours ; 1e tranche, juillet 2014-août 2015 ; 2e tranche, septembre 2015-septembre 2016
COÛT : 7,1 M€ HT (hors équipements industriels)












