Jurisprudence

Stade de France : pourquoi le recours devant le Conseil d’Etat a échoué

Le consortium Vinci-Bouygues, concessionnaire de l’enceinte sportive depuis 1995, contestait son éviction de la procédure menée pour le renouvellement du contrat de concession, au profit du groupement GL Events Venues avec qui l’Etat est entré en négociation exclusive en décembre dernier. Mais la Haute juridiction, tout comme le tribunal administratif de Montreuil avant elle, a débouté l’opérateur historique, point par point.

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Le Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)
Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2025/04/17N°501427

Rien à redire. Pour le Conseil d’Etat, la décision du juge des référés rendue le 6 février - qui écartait un à un les arguments avancés par l’actuel concessionnaire du Stade de France pour remettre en cause la décision prise par l’Etat de négocier exclusivement avec son concurrent, GL Events, en vue de conclure le nouveau contrat de concession - est parfaitement fondée.

La Haute juridiction a ainsi définitivement tranché ce contentieux précontractuel le 17 avril 2025. Cette décision est l’occasion de rappeler les règles de passation d’un contrat de concession et de souligner les marges de manœuvre dont dispose la personne publique en la matière. Tour d'horizon des principaux arguments soulevés... et rejetés.

Capacité des candidats

Le Conseil d’Etat souligne que le juge du référé précontractuel ne peut censurer l'appréciation faite par l'autorité concédante des capacités et aptitudes techniques des candidats à la concession que si celle-ci est entachée d’une erreur manifeste. Ici, il approuve le juge d’avoir considéré que la société GL Events, mandataire du groupement choisi par l’Etat, pouvait faire valoir les références de la société d'exploitation du Palais omnisports de Paris Bercy (POPB), « y compris en matière de construction, de gestion et d'exploitation d'enceintes évènementielles », au titre de la capacité technique et professionnelle du groupement GL Events Venues. Ce dernier s’est en effet engagé à confier à la société d’exploitation du POPB, membre du groupement, une mission de conseil pour l'accompagner dans la définition et la mise en œuvre d'un projet d'investissement et d'exploitation du stade dyonisien.

Pas d’erreur manifeste d’appréciation non plus quant à la capacité économique et financière du candidat retenu. « Si la société GL Events Venues était par elle-même une société de facturation générant peu de chiffre d'affaires, elle était la société-mère de filiales gérant des enceintes événementielles et générant à ce titre un chiffre d'affaires nettement supérieur à celui attendu de la concession », relève le Conseil d’Etat. L’autorité concédante pouvait, « compte tenu des spécificités de ce secteur d'activité », prendre en compte le CA généré par les filiales des candidats.

Définition des besoins

Dans les concessions, tout comme en marchés publics, la définition des besoins est une étape impérative. Le Conseil d’Etat énonce que la personne publique doit « à ce titre indiquer aux candidats les caractéristiques essentielles de la concession et la nature et le type des investissements attendus ainsi que les critères de sélection des offres ». Mais elle dispose d’une certaine latitude. Ainsi, si l’autorité concédante peut « indiquer précisément aux candidats l'étendue et le détail des investissements qu'elle souhaite les voir réaliser, elle n'est pas tenue de le faire à peine d'irrégularité de la procédure ». La définition du programme d’investissement peut être confiée aux candidats eux-mêmes, sous réserve, souligne la Haute juridiction, de leur avoir « donné des éléments d'information suffisants sur la nécessité de prévoir des investissements, sur leur nature et leur consistance et sur le rôle qu'ils auront parmi les critères de sélection des offres ».

En l’espèce, au terme d’une analyse de l’objet du contrat tel que défini par le règlement de la consultation, les juges estiment que l’Etat n’a pas manqué à son obligation de définir ses besoins. Il a « apporté aux candidats une information suffisante sur la nature et l'étendue des besoins à satisfaire en matière d'accueil prioritaire des "grands événements" des fédérations françaises de football et de rugby, alors même [qu’il] avait laissé aux candidats le soin de conclure un accord avec ces fédérations quant au nombre et au type de matches susceptibles d'être accueillis, par priorité sur toute autre utilisation, au Stade de France ».

Critères de sélection des offres

Le groupement évincé n’a pas davantage de succès lorsqu’il invoque l’irrégularité de l’un des critères de sélection fixés par l’autorité concédante. Celui-ci visait à « évaluer le niveau des éventuels subventions ou versements demandés à l'Etat au titre du contrat de concession ainsi que le niveau des redevances et autres flux financiers à verser par le concessionnaire à l'Etat », redevances dont le projet de contrat de concession prévoit qu’elles comportent une part fixe et une part variable. Pour le consortium Vinci-Bouygues, ce critère posait problème en ce qu’il tient compte du niveau des redevances variables proposées par les soumissionnaires, « alors qu'il s'agissait […] de données invérifiables et non constitutives d'un engagement quelconque ».

Le juge des référés, approuvés par le Conseil d’Etat, retient cependant la validité d’un tel critère, « suffisamment objectif et précis » dès lors que les offres devaient « préciser les modalités de calcul de cette part variable » et fournir des « projections détaillées des redevances, ainsi qu'un module permettant de réaliser un test de sensibilité pour attester de la solidité du montage financier, en particulier s'agissant des redevances ».

Egalité et impartialité de la procédure

Autre argument employé, un manquement à l’obligation d’impartialité de la procédure. Le candidat évincé soutenait que « la société GL Events Venues entretenait de multiples liens avec la Fédération française de rugby, révélant une situation de conflits d'intérêts » dès lors que, comme évoqué plus haut, les soumissionnaires devaient conclure des accords avec les fédérations.

Toutefois, décident les juges, « en prenant en compte, parmi les éléments d'appréciation du critère n° 4 d'attribution des offres, le "niveau" et la "fermeté" des engagements obtenus des fédérations sportives nationales, sans que soit imposée la conclusion d'un accord avec ces dernières préalablement à l'attribution de la concession, l'Etat n'a pas fait participer ces fédérations, qui n'étaient pas susceptibles d'en influencer l'issue, au déroulement de la procédure de passation de la concession ».

Négociation des offres

Le Conseil d’Etat rappelle, au visa des dispositions du Code de la commande publique, que l'autorité concédante dispose d’une grande liberté pour négocier, avec les candidats, l'ensemble des éléments composant leur offre. Elle peut même admettre autour de la table, « dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats, un soumissionnaire ayant remis une offre initiale irrégulière ». Elle devra par la suite rejeter un candidat « dont la régularisation de l'offre se traduirait par la présentation de ce qui constituerait une offre entièrement nouvelle » ou, bien entendu, dont l’offre serait demeurée irrégulière à l'issue de la négociation.

En l’espèce, le consortium Vinci-Bouygues avançait que l’Etat n’aurait pas dû engager des négociations exclusives avec le soumissionnaire classé en première position après examen des offres « finales » remises, puisque son offre serait irrégulière. Mais la question est ici sémantique : les juges expliquent que les offres dites « finales » au sens du règlement de consultation constituent en réalité des « offres intermédiaires encore susceptibles de faire l'objet d'une négociation et donc d'être régularisées ».

Le requérant aurait peut-être pu faire mouche avec un autre argument : le règlement de la consultation stipulait qu’ « aucune négociation ne pourra être menée sur la base d'une offre irrégulière ou inappropriée au sens des articles L. 3124-3 et L. 3124-4 du Code de la commande publique ». Mais ce moyen n’a été invoqué pour la première fois que devant le juge de cassation, il eut fallu le brandir plus tôt dans la procédure contentieuse pour qu’il puisse être pris en compte…

Durée de la concession

Enfin, ce litige permet au Conseil d’Etat de marteler que si « le choix de la collectivité publique est encadré quant à la fixation de la durée d'une concession » (art. L. 3114-7, R. 3114-1 et R. 3114-2 du Code de la commande publique), le juge des référés précontractuels ne peut sanctionner que les manquements « qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles d'avoir lésé les entreprises requérantes ou risquent de les léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente ».

Pour l’opérateur historique en effet, la durée du nouveau contrat, fixée à trente ans, serait excessive et donc illégale, dès lors que le concédant « avait imposé aux candidats des travaux de faible ampleur tout en leur permettant de proposer des " travaux libres " de rénovation, restructuration ou extension ». Peu importe, balaye le juge des référés, suivi par le Conseil d’Etat : « Les soumissionnaires disposaient d'informations précises et suffisantes relatives au périmètre de la concession, aux besoins de l'Etat, notamment quant à la nature et au type d'investissements attendus, et aux critères de sélection des offres, leur permettant de présenter utilement leur offre ». Le consortium évincé n'avait donc pas pu être lésé par ce manquement supposé.

CE, 17 avril 2025, n° 501427, mentionné aux tables du Recueil

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