L'efficacité énergétique était au cœur de la 55ème édition de Batibouw, le salon du bâtiment belge destiné aux professionnels comme au grand public, et qui attire chaque année près de 300 000 personnes. Le bâtiment "presque zéro énergie", qui sera la norme dans l'Union européenne en 2021 (voir encadré ci-dessous), était d'ailleurs l'un des trois thèmes du salon choisis par les organisateurs cette année, avec l'habitat abordable et le retour du bois.
Dans les travées du parc Brussels Expo, qui accueillait la manifestation du 20 février au 2 mars, nombreuses étaient d'ailleurs les banderoles vantant les qualités en matière d'efficacité énergétique des produits ou le savoir-faire des bâtisseurs dans ce domaine. La "Plate-forme maison passive" (PMP) avait même dépêché sur place un bus à impériale vert expliquant, grâce à des maquettes, le principe passif. Présente dans la région de Bruxelles et en Wallonie francophone, l'organisation à but non lucratif renseigne le public sur le sujet, forme les professionnels, les accompagne dans leurs démarches, et certifie les maisons passives et zéro énergie.
Marion Bandin, chargée de communication de PMP, remarque que « cette année, les gens montrent de plus en plus d'intérêt pour le sujet et sont de mieux en mieux informés, tout comme les professionnels de la construction. Les idées reçues tombent peu à peu, notamment sur le surcoût des maisons passives ».
Un constat partagé par Sabrina Alard, gestionnaire de projets pour Pama Flex, une PME belge qui fabrique et met en œuvre depuis quatre ans des éléments préfabriqués pour la construction de maisons passives. « À la différence des années précédentes, les visiteurs connaissent bien mieux le sujet. Avant, ils ne savaient pas ce qu'était le principe passif. Ils avaient des a priori, pensaient qu'on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres. Grâce aux nouvelles normes et primes, on sent qu'ils sont prêts pour la maison passive », constate-t-elle.
Le changement d'état d'esprit des Belges est très récent. Un sondage réalisé par le site d'actualité Bativox en février 2014 montre que l'isolation et la ventilation double flux, indispensables à la construction d'une maison passive, faisaient partie des principales préoccupations des visiteurs de Batibouw cette année, détrônant presque les traditionnelles cuisines et salles de bain. L'affluence dans les pavillons dédiés aux matériaux de construction, et plus particulièrement sur les stands de produits isolants, confirme d'ailleurs cette tendance.
Mais « les Belges ne s'intéressent pas à l'efficacité énergétique par conviction écologique, ils le sentent dans leur porte-monnaie », tempère Emanuel Malfeyt, coordinateur du cluster Ecobuild Brussels, et conseiller en construction durable à Impulse Brussels, l'agence de la capitale belge pour l'entreprenariat. Un avis partagé par de nombreux exposants sur le salon, qui estiment que les primes proposées par les régions sont bien plus incitatives que la cause environnementale aux yeux des visiteurs.
La stratégie d'incitation de la région Bruxelles Capitale semble donc être payante. Emmanuel Malfeyt estime que « le gouvernement bruxellois a mené une politique très efficace. Il a compris qu’imposer des règles ne fonctionne pas. Les primes sont vraiment incitatives. La preuve, en 2-3 ans, nous sommes devenus la région de Belgique qui compte le plus de constructions passives ». Fin 2013, on dénombrait 800.000 m² de bâtiments passifs terminés ou en projet dans cette région. « Ces mesures sont d’ailleurs une bonne chose pour le marché de la construction belge », assure Emmanuel Malfeyt.
Les nouvelles incitations financières en faveur de la rénovation énergétique et les constructions passives (voir encadré ci-dessous) vont-elles relancer le bâtiment belge, qui a enregistré un recul de 1,5 % de son activité entre 2012 et 2013 (dont -1% pour le résidentiel) ? Sur le salon Batibouw, les avis étaient pour le moins partagés.
"Le secteur de la construction est en pleine mutation"
« Les primes des régions sont évidemment porteuses pour le bâtiment en Belgique. Elles facilitent la signature de nouveaux contrats », explique Jérôme Dirck, commercial à la Confédération Construction (CC), l’organisation professionnelle de la filière en Belgique. « Mais ce ne sont pas les primes qui font tourner le secteur. Les Belges ont "une brique dans le ventre". Même en période de crise, ils investissent dans le logement. D’ailleurs, le bâtiment traverse plutôt bien la crise. 95 % des entrepreneurs indépendants que je rencontre ont un carnet de commandes rempli pour les trois prochains mois. Avec l’industrie pharmaceutique, la construction est même l’une des deux activités les plus porteuses pour l’économie belge », rappelle Jérôme Dirck. La CC table d’ailleurs sur une progression de 2,5 % du logement neuf en 2014 et sur une croissance dans la rénovation résidentielle. « Il ne devrait y avoir ni création ni destruction d’emplois », estime pour sa part Emmanuel Malfeyt (Ecobuild Brussels).
Chez les bâtisseurs, les prévisions sont moins optimistes. « Notre activité stagne depuis la fin des aides fédérales. Je ne sais pas encore si les aides régionales pourront compenser », explique Christopher Piron, responsable commercial de Team Construct, un promoteur-bâtisseur belge. « Les visiteurs sont très demandeurs de basse consommation. Mais le passif ne représente que 10 % de notre activité. C’est beaucoup trop cher ! Les gens seraient enclins à aller vers ce genre de maisons, mais les banques n’ont plus les ressources financières pour leur prêter de l’argent », assure-t-il.
La PME familiale Pama Flex, 1er prix de l’innovation aux "Belgian building awards" du salon Batibouw 2013, n’anticipe pas non plus une hausse significative de son activité en 2014. « Nous avons construit une dizaine de maisons passives en 2013. Ce chiffre devrait rester stable cette année », estime Sabrina Alard. « En revanche, on constate un réel changement dans le secteur, et les grands bâtisseurs vont devoir s’y mettre aussi ! », prévient-elle.
« Le secteur belge du bâtiment est en pleine mutation », confirme Marion Bandin de PMP. « La Belgique est très qualifiée dans le domaine de l’efficacité énergétique. De nombreux Français viennent à Bruxelles pour voir nos bâtiments passifs et zéro énergie, et des professionnels belges vont travailler en France sur des projets de maisons passives », rappelle-t-elle. Plus qu’une relance du marché, les mesures en faveur de l’efficacité énergétique font apparaître de nouveaux acteurs dans le secteur, et sont en passe de le faire muter en profondeur.