Salles de concerts : « Une relation à créer entre les spectateurs et les musiciens »

Bruno Suner est ingénieur acousticien et architecte. Il a longtemps exercé comme acousticien-conseil, en particulier au sein du BET Altia qu’il a cofondé en 1996 avec Richard Denayrou. À la même époque, il crée la société Euphonia pour mettre les compétences développées dans l’acoustique architecturale au service d’autres secteurs. Il est aujourd’hui enseignant et chercheur à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Murs, balcon et et plafond du grand auditorium de la Maison de la radio (Paris) sont revêtus de parements en bois. Un matériau "qui n'a pas de propriétés acoustiques en soi", selon Bruno Suner.

Salle de musiques actuelles ou auditorium philharmonique, faut-il choisir ?

Bruno Suner : Il est difficile de répondre parfaitement aux deux typologies avec un seul et même équipement. Même si c’est ce que l’on s’emploie à faire en raison de budgets serrés. Dans les salles de musiques actuelles (Smac), la tendance est au maintien d’une relation frontale classique entre la scène et le public. La configuration a le mérite de la simplicité. C’est ce que j’appellerais des « garages à concerts », qui répondent parfaitement à l’objectif d’accueillir des artistes en tournée. Or ces derniers n’ont guère le temps de s’adapter à une configuration complexe. Du point de vue acoustique, cela se traduit par une salle la plus neutre possible, à la réverbération minimale donc, et par l’installation de grappes d’enceintes suspendues. D’après moi, l’enjeu dans les Smac serait de travailler à une modularité qui permette de combiner concert, vidéo, danse et d’accueillir les nouvelles techniques d’audiospatialisation plus immersives pour le public.

Et pour la musique non amplifiée ?

B. S. : Dans le cas des salles philharmoniques - rarement destinées exclusivement aux musiques non amplifiées -, il existe diverses philosophies. La discussion tourne autour de la relation que l’on souhaite créer entre les musiciens et le public, aux plans visuel et acoustique. On peut souhaiter mettre l’orchestre au cœur de la salle. Jacques Dubreuil, scénographe, a conçu avec l’acousticien Xu Ya Ying et l’architecte Christian de Portzamparc la salle de La Villette (Cité de la musique livrée en 1990, ndlr) dans l’optique de s’adapter aux dispositifs de la musique contemporaine proposés par Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis ou Pierre Boulez, ces compositeurs ayant travaillé, dans les années 1960-1970, sur le positionnement des sources instrumentales dans l’espace. Mais cette salle a peu fait école. Le défi de la Philharmonie de Paris réside, là aussi, dans la modularité du plateau d’orchestre. Celui-ci conduit à des dispositifs scénotechniques très complexes, mais aboutis. La salle s’inscrit dans la filiation de la Philharmonie de Berlin de l’architecte Hans Scharoun qui a placé l’orchestre au cœur du public, un choix révolutionnaire dans les années 1960.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 842948.BR.jpg PHOTO - 842948.BR.jpg

On voit beaucoup de bois dans les auditoriums. Y a-t-il des raisons techniques à ce choix ?

B. S. : C’est la question bateau. « Le bois est-il bon pour l’acoustique ? » Derrière, il y a l’histoire de la lutherie et l’idée qu’une salle serait un instrument que l’acousticien accorderait. Et donc le bois serait la bonne matière. En réalité, il peut être perforé, mince, collé contre une paroi très massive ou, au contraire, posé en lambris. Il peut avoir de nombreux comportements acoustiques et mises en œuvre. Derrière une homogénéité d’aspect, ce sont ces atouts qui avaient justifié un large emploi des panneaux bois par Yves Lion pour la Cité, centre des congrès de Nantes, dans les années 1980. Une première utilisation du matériau à cette échelle en France. Le bois n’a pas de propriétés acoustiques en soi. Mais il s’agit d’un produit d’origine naturelle, renouvelable, avec lequel on a aussi une certaine empathie esthétique. Avant, on avait du stuc, un décorum chargé, choses qui plaisent aux acousticiens parce que ça amène de la diffusion, ça brasse les ondes. Un temps portés par l’antienne du purisme moderniste (« l’ornement est un crime »), les architectes avaient supprimé toute décoration pour des parois les plus dénudées possibles. Les acousticiens ont alors produits des dispositifs correctifs suppléant cette absence de diffusion. La période éclectique que nous traversons réouvre un champ d’exploration de la décoration et du relief des parois, où acousticiens et architectes trouvent un terrain d’entente.

La boîte dans la boîte semble faire florès. Est-ce un incontournable ?

B. S. : Non, au contraire ! La boîte dans la boîte est un pis-aller, lourd et coûteux. On la met en œuvre quand les autres solutions ne fonctionnent pas. En positionnant correctement les joints de désolidarisation structurelle dont on a généralement besoin dans un bâtiment de grande ampleur, en répartissant les espaces tampons, les circulations, les locaux neutres, on n’en a pas besoin. Dans certains cas, comme en présence d’une forte densité de studios d’enregistrement, il est difficile de supprimer les contiguïtés. On recourt donc à ce principe qui nécessite généralement la mise en œuvre d’une dalle désolidarisée par des plots - vérinés, à ressorts ou en néoprène -, sur laquelle on construit une enveloppe séparée du reste du bâtiment. Pour une salle de concerts, c’est plutôt l’environnement qui imposera cette conception, afin de se protéger des vibrations des trains, ou de préserver le voisinage.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 842949.BR.jpg PHOTO - 842949.BR.jpg

Les salles sont-elles mieux isolées ?

B. S. : L’exigence des maîtres d’ouvrage a augmenté, sans aucun doute. On peut parler de « salles hi-fi » maintenant. L’arrivée du numérique avec le CD a accru la modulation, c’est-à-dire la différence entre le bruit de fond, qui est communément de 30 dB(A), et la dynamique acoustique de la musique qui atteint jusqu’à 95 dB(A). Un gain sensible par rapport aux techniques de reproduction analogique antérieures. À la Philharmonie, la barre est placée très « bas », en quelque sorte, en matière de bruit de fond, avec un objectif de 15 dB(A) dans le programme initial. Jusque-là, le bruit de fond acceptable dans une salle était de l’ordre de 25 dB(A) ; aujourd’hui, on est descendu en dessous de 20 dB(A). Et quand on atteint 15 dB(A), on arrive à la limite du mesurable pour l’instrumentation. De tels objectifs doivent être intégrés dès le début du programme, car cela a une forte incidence sur la conception des réseaux de ventilation. À de tels niveaux d’isolement, le souci majeur se trouve là. Il existe aussi quelques sources parasites potentielles, comme les équipements de sonorisation et l’éclairage : la fluorescence est presque bannie pour cette raison.

L’auditeur, habitué au numérique, deviendrait-il plus exigeant ?

B. S. : C’est une justification possible. L’autre aspect est que ces auditoriums et salles philharmoniques servent de lieux d’enregistrement, une source non négligeable de leurs revenus. Il faut donc que la performance concernant le bruit résiduel soit à la hauteur de la sensibilité des technologies d’enregistrement actuelles.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 842999.BR.jpg PHOTO - 842999.BR.jpg
Abonnés
Baromètre de la construction
Retrouvez au même endroit tous les chiffres pour appréhender le marché de la construction d’aujourd'hui
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !