Le 2 avril, était publié le guide tant attendu de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction en période d’épidémie de coronavirus. Malgré ses nombreux éclaircissements, ce document ne permet pas de régler toutes les problématiques. Tel était le sujet débattu lors du webinar organisé par "Opérations immobilières" le 7 avril.
Au début du confinement, les acteurs du BTP étaient confrontés à une période d’incertitude. D’un côté, le gouvernement indiquait que les chantiers devaient se poursuivre. De l’autre, le président de la FFB, Jacques Chanut, faisait part de ses inquiétudes et considérait que la poursuite des chantiers était rendue impossible. Aujourd’hui, 80 % des chantiers sont à l’arrêt. Et pour aider les professionnels du secteur – perdus dans ce chaos - un guide de l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) a été divulgué.
Consensus nécessaire pour reprendre les travaux
Pour rappel, ce guide propose des outils pour permettre la réouverture des chantiers, comme les mesures à mettre en place, les gestes barrières à respecter... Une entreprise ayant ainsi la capacité matérielle de mettre en œuvre ses recommandations doit pouvoir reprendre son activité. Si celles-ci ne peuvent pas être respectées, le chantier doit cesser. Cependant, l’OPPBTP insiste notamment sur le fait que ce guide n’est pas une incitation à reprendre les travaux.
La décision de reprendre les travaux n’est pas unilatérale. Un consensus de l’ensemble des intervenants à l’opération et du maître d'ouvrage doit avoir lieu. Le maître d’ouvrage formalise, après analyse, le cas échéant par le maître d’œuvre et le coordonnateur SPS, « une liste des conditions sanitaires [à respecter] afin de s’assurer que les différents acteurs pourront [les] mettre en œuvre et [les] respecter dans la durée », précise le guide.
À lire aussi
Et « pour les cas où les conditions particulières liées à l’épidémie de Covid-19 induiraient des retards de chantiers ou de livraisons de l’ouvrage, du fait de l’impossibilité de mettre en œuvre les dispositions prévues, le Gouvernement prendra par ordonnance les mesures nécessaires afin de prévoir, le cas échéant, de renoncer aux pénalités applicables aux fournisseurs, intervenants du chantier et maîtres d’ouvrage privés, pour une période tenant compte de la durée de la période d’urgence sanitaire. »
Quid des problématiques financières ?
Malgré des consignes utiles, Marie-Pierre Alix, avocate associée en droit de la construction chez DS Avocats, affirme que le guide reste silencieux sur les problématiques financières engendrées par l’épidémie. A titre d’exemple, il est indiqué que lorsque les chantiers reprennent, un nettoyage régulier des surfaces les plus usuelles doit être fait, des masques et des gels hydroalcooliques mis à disposition des salariés, un référent covid-19 doit être désigné le cas échéant… Mais à qui incombent toutes ces dépenses ? Un accord doit aboutir entre les différents intervenants à l’opération et le maître d’ouvrage pour régler les conséquences financières de la période de suspension du chantier à compter du 16 mars jusqu’à la date de reprise et la poursuite de chantier. A défaut d’accord financier ou sanitaire, les cas seront réglés par le recours au juge ou par un règlement alternatif des litiges tels que l’arbitrage, la médiation et l’expertise amiable. La force majeure ou la théorie de l’imprévision peuvent être également invoquées, souligne l'avocate.
Quid du prolongement des délais d’exécution ?
Pour les marchés publics et pour les événements non prévus dans le guide, il faut se référer au CCAG travaux qui permet de régler la plupart des questionnements liés aux délais d’exécution et à la garde du chantier. Tandis que pour les marchés privés, une distinction est à opérer entre ceux qui sont soumis à la norme Afnor NF P03-001 et ceux qui n’y sont pas.
Pour les premiers, l’entreprise doit invoquer l’article 10.3.1.2 de cette norme. Lequel prévoit que « le délai est prolongé de la durée des empêchements de force majeure, des jours fériés ou chômés inhabituels, des jours de grève générale de la profession ou des corps d’état ou secteurs d’activités dont les travaux de l’entrepreneur dépendent, au lieu d’exécution des travaux, à l’exclusion des jours de grève propres à l’entreprise en particulier. Lorsque l’entrepreneur est amené à intervenir dans le cadre d’un ordre de réquisition, le délai d’exécution du marché en cours est prolongé de la durée d’intervention nécessitée par cette situation d’urgence ».
L’entreprise devra alors adresser une lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) au maître de l’ouvrage avec copie au maître d’œuvre pour solliciter la prolongation du délai d’exécution ou le report des travaux. Le maître d’ouvrage marquant son acceptation devra le matérialiser par un écrit - ordre de service ou avenant contractuel. Si celui-ci refuse, l’entreprise devra adresser une nouvelle LRAR contestant le refus du maître d’ouvrage et sollicitant la non application des pénalités de retard.
Pour les marchés privés de travaux non soumis à la norme précitée, l’entreprise doit invoquer l’article 1218 du Code civil (C. civ) mentionnant qu’il y a « force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
A qui incombe la garde du chantier ?
Enfin, la période d’interruption des travaux fait naître la problématique de la garde du chantier. Pour les marchés soumis à la norme Afnor, son article 13 indique que « jusqu’à la réception des travaux, l’entrepreneur doit protéger ses matériaux et ses ouvrages contre les risques de vol et détournement. En cas de nécessité, le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur se concertent afin de définir les mesures les plus appropriées pour la mise en sécurité du chantier. » C’est également à l’entrepreneur que revient la charge de protéger ses ouvrages contre les risques de détérioration et de prendre les précautions nécessaires afin de ne pas causer de dégradations aux matériaux et ou ouvrages des autres intervenants.
Toutefois, rien n’est précisé concernant les frais de gardiennage prolongé.
Pour les autres marchés privés, l’article 1242 alinéa 1er du C. civ. a vocation à s’appliquer. Ce texte dispose en effet que l' « on est responsable du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. »
Pour rappel, la jurisprudence considère que le gardien du chantier c’est l’entrepreneur qui en a l’usage, la direction et le contrôle. Toutefois, le principe de la garde n’est pas d’ordre public, il est donc possible d’y déroger. D’autant plus que dans certains cas, un transfert de la garde au maître d’ouvrage peut-être prévu contractuellement dans le cas où la suspension du chantier a été décidée par lui. En conséquence, l’entrepreneur peut se faire indemniser les frais engagés pendant cette période. Cependant, un formalisme par écrit doit toujours être privilégié y compris pendant la période de confinement.