Rénovation énergétique : les mesures pour épurer le système

Notre enquête sur les « escrocs de la réno » continue. Cette fois, nous abordons les solutions concrètes pour évincer enfin les éco-délinquants.

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Energéticiens et délégataires sanctionnés par l'annulation des CEE (en MWh cumac)
Energéticiens et délégataires sanctionnés par l'annulation des CEE (en MWh cumac).

A la fin des années 2000, déjà, des escrocs captaient une part significative du marché de la pompe à chaleur ou du photovoltaïque, avec des méthodes sans doute moins abouties qu'aujourd'hui, mais largement aussi malhonnêtes. A l'époque, l'Etat adopte un schéma qui, depuis semble se répéter : création d'une aide généreuse, développement des fraudes et coup d'arrêt brutal. C'est ce qui s'est produit en 2011, quand Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l'Environnement, a mis un terme précipité aux tarifs très avantageux de rachat de l'énergie qui portaient la filière photovoltaïque.

Autre décennie, même réponse. Dans un courrier adressé en octobre 2022 à un acteur du marché inquiet de la suppression d'aides ambitieuses à l'isolation thermique, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire assumait cette ligne : « La sur sollicitation de certains travaux, dont l'isolation a pu faire partie, a conduit une minorité d'acteurs à multiplier des “offres à 1 €”. Les enquêtes de la DGCCRF ont souligné que ces dernières favorisaient les travaux de faible qualité et pénalisaient in fine les ménages et la réputation des filières. Dans ce cadre, une baisse des subventions accordées aux travaux d'isolation a pu être mise en œuvre afin de limiter ces excès. » Problème : ces arrêts soudains ne stoppent pas les escrocs, qui se reconvertissent du jour au lendemain. Ils pénalisent en revanche les entreprises sérieuses qui réalisent des investissements, recrutent et forment leurs employés pour réaliser des travaux de qualité.

Energéticiens et délégataires sanctionnés financièrement
Energéticiens et délégataires sanctionnés financièrement Energéticiens et délégataires sanctionnés financièrement

Stupeur et tremblements. Soit les gouvernements qui se succèdent n'apprennent pas de leurs prédécesseurs, soit ils sont atteints de stupeur. « Le pouvoir en place doit montrer des résultats, parce qu'il se fait taper dessus par tout le monde : les ONG, l'opposition… Il lui faut des chiffres. Les ministres se trouvent entre le marteau et l'enclume. De son côté, l'Anah [qui distribue MaPrimeRénov', NDLR] a diligenté des contrôles et a commencé à repérer un certain nombre d'entreprises et mandataires frauduleux… » analyse un professionnel du secteur. Une information confirmée par le ministère de la Transition écologique : « Les procédures de contrôle, en amont comme en aval, ont été renforcées en septembre 2022, ce qui a d'ailleurs pu allonger les délais de traitement des dossiers. Ces contrôles ont permis de déjouer certaines tentatives. » Quelque 40 000 contrôles sont réalisés chaque année par l'Anah, selon l'agence, qui a uniquement accepté de répondre par écrit à nos multiples sollicitations. Il convient néanmoins de mettre les 40 000 contrôles en regard des près de 700 000 MaPrimeRénov' distribuées en 2022…

Chantage au chômage. En cas de soupçon, l'Anah stoppe les paiements et lance des contrôles. Mais elle fait alors face au chantage des escrocs : chômage partiel, incapacité de payer les salariés… L'agence, qui assure une mission sociale, peut difficilement tenir dans ce rapport de force. D'autant que les fraudeurs n'hésitent pas à mobiliser leurs employés quand ils doivent faire face à la justice. « Les patrons demandent aux collaborateurs de les accompagner devant le juge lorsqu'ils attaquent, par exemple, une décision de retrait du RGE [qualification qui conditionne l'octroi des aides financières, NDLR], de façon à sensibiliser le magistrat et l'inciter à rendre la qualification qui leur permettent de poursuivre leur activité, de payer les salaires… et donc de nourrir les familles ! » fait savoir Eric Jost, directeur général de Qualibat. Ainsi, « l'Anah ne fait pas l'autruche. Elle se comporte plutôt comme un escargot qui rentre dans sa coquille parce qu'il prend des coups de partout : des entreprises, de leurs représentants, du ministère… », estime un autre professionnel. Alors que la puissance publique semble tétanisée, les idées ne manquent pourtant pas pour épurer le système…

Observer les consommations réelles

« Tous les ménages ou presque sont équipés d'un compteur Linky [plus de 33 millions d'appareils ont été déployés selon Enedis, NDLR] et, bientôt, de Gazpar. Nous pouvons supposer qu'après avoir fait réaliser des travaux de rénovation énergétique, leurs consommations réelles baisseront. Si les informations transmises par le compteur connecté ne vont pas dans ce sens, cela peut être le signe de travaux de mauvaise qualité ou leur absence tout court », explique un expert. Et ainsi, aiguiller les contrôleurs dans leurs recherches… Cette solution présenterait également le mérite de se concentrer sur les économies d'énergie réelles, et non pas théoriques. « Nous pouvons même imaginer de lier le montant des aides au niveau d'économies réel atteint », poursuit notre source.

Si le montant final de l'aide n'est pas garanti, les particuliers ne vont-ils pas hésiter à lancer les travaux ? « Un forfait serait octroyé au lancement des opérations sur la base d'une économie théorique. Il serait “boosté” en fonction des économies d'énergie effectivement réalisées et constatées un ou deux ans après la réception du chantier. Cette solution pourrait être testée dans un premier temps dans l'industrie et le grand tertiaire, où il est plus simple de financer proportionnellement aux résultats atteints », termine notre expert.

Constituer une base de données unifiée

A plus court terme, il devient urgent, notent plusieurs spécialistes, de créer une véritable base de données des chantiers financés par MaPrimeRénov' et les certificats d'économie d'énergie (CEE). « Chaque administration dispose de son outil de contrôle, il n'existe pas de fichier centralisé regroupant l'ensemble des chantiers ayant bénéficié d'une aide », reconnaît- on au ministère de la Transition écologique. En respectant le règlement général sur la protection des données (RGPD) et en conservant précieusement ces informations pour préserver l'anonymat des bénéficiaires, un fichier pourrait compiler le montant des aides perçues, les entreprises qui sont intervenues, les mandataires, délégataires et obligés concernés ainsi que les bureaux de contrôle diligentés. Partagée entre l'Anah, le pôle national des CEE (PNCEE) et les organismes de qualification (Qualibat, Qualit'EnR, Qualifelec) qui délivrent le RGE - et donc, ouvrent la voie des CEE aux entreprises - cette base s'enrichirait au fil des alertes remontées du terrain et orienterait ainsi judicieusement certains contrôles.

Faire respecter l'obligation de signalement

Dans le monde des CEE, chacun travaille dans son coin sans penser à avertir ses confrères quand il détecte une fraude ou un comportement suspect. Et donc sans se soucier du respect de la loi. « A part EDF, aucun obligé [autre nom de l'énergéticien, NDLR], ou délégataire ne respecte le Code de l'énergie qui l'oblige à nous signaler régulièrement les partenaires par lesquels il a identifié des non-conformités techniques, s'étrangle Gérard Sénior, président de Qualibat. Ponctuellement, certains délégataires nous posent quelques questions. Les fraudeurs réalisent une certaine itinérance entre les délégataires CEE… qui ne centralisent pas les noms des fraudeurs, ce qui entretient l'éco-délinquance. »

Retirer le contrôle aux obligés

« Les CEE sont une charge pour l'énergéticienpuisque le coût du certificat se répercute sur la facture finale », rappelle un expert du secteur. Ainsi, le dispositif CEE consiste à faire en sorte que l'obligé trouve des certificats les moins chers possibles, pour proposer des tarifs compétitifs ou améliorer ses marges… « Les CEE “pourris” [corrélés à des travaux de piètre qualité, NDLR] coûtent moins cher que les autres car l'entreprise qui les propose demande moins de primes, poursuit notre source. Il existe des professionnels dont tout le monde sait que leurs CEE sont douteux.

Alors, ils en demandent moins. D'abord, pour une raison commerciale : à prix égal, les obligés préféreront acheter du CEE par un mandataire reconnu dans le secteur que par une entreprise créée l'an passé. Ils prennent moins de risques. Ensuite, pour une raison économique : puisque les travaux n'existent pas ou sont mal réalisés, je peux demander moins de prime. » Il faudrait donc que les énergéticiens et leurs délégataires se dotent d'un code d'éthique et qu'ils ne diligentent plus eux-mêmes les contrôles sur les chantiers qui leur permettent d'atteindre leurs objectifs en matière de CEE.

Vérifier le reste à charge

Le gouvernement a fait du reste à charge - 10 % pour les ménages les plus pauvres -, un des piliers de la lutte contre les éco-délinquants. Sauf que certaines entreprises continuent à proposer des offres à 0 ou 1 € (lire « Le Moniteur » n° 6229, p. 10). Pour lutter contre la pratique , « s'il y a un versement MaPrimeRénov', il faut que les instructeurs fassent des contrôles sur le reste à charge en demandant, par exemple, un justificatif du paiement, propose une source requérant l'anonymat. En cas de fraude, il est évidemment impossible de demander aux ménages très modestes de rendre la prime indûment perçue. Pour autant, le problème, ce ne sont pas les ménages, mais bien les entreprises qui sont organisées pour détourner les aides et ont plein d'autres dossiers en attente de paiement ! » Autre solution : mettre fin au versement des primes directement aux entreprises. « L'instauration des mandataires, qui peuvent percevoir MaPrimeRénov' à la place des particuliers, a ouvert une brèche, déplore la commissaire Sophie Robert, chef de la brigade de répression de la délinquance astucieuse à la préfecture de police de Paris. Il faut mettre en place un contrôle renforcé de ces mandataires, voire limiter le nombre de mandats qu'ils peuvent recevoir. » Cette réflexion, nourrie de l'expérience, remet toutefois en cause un système imaginé par les pouvoirs publics pour que le particulier n'ait plus à avancer des sommes, et donc que le frein financier soit levé.

Réformer efficacement le RGE

S'il fallait encore une fois réformer le RGE, il serait nécessaire de s'attaquer à l'esprit de la qualification. Actuellement, elle est basée sur une démarche volontaire. « Si l'entrée dans le régime repose sur la base du déclaratif et que le tribunal arbitre en faisant ce qu'il estime être juste - et c'est bien normal - mais en cassant nos décisions, il faut que le système ne soit plus basé sur la confiance mais sur des données fiables et vérifiables [comme la formation par exemple, NDLR]. Or, nous n'avons pas la prérogative d'investigation », estime Eric Jost, directeur général de Qualibat. Autre proposition du directeur général : « Séparer le lien entre RGE et CEE. Une entreprise qui réalise 20 M€ de chiffres d'affaires grâce aux offres à 1 € ne réalise pas 20 M€ de travaux ! Nous demandons donc à ce qu'une entreprise qui réalise son chiffre d'affaires grâce au négoce de CEE ne puisse pas accéder au RGE, ni réaliser de travaux. »

Pousser plus loin le « name and shame »

La Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) peut choisir de publier les sanctions prises à l'encontre des entreprises évoluant dans le monde des CEE. Elle dispose également de la faculté de décider de garder ces punitions confidentielles si l'entreprise en fait la demande. Pour sanctionner, elle a le choix d'opter pour l'annulation d'un volume donné de CEE (voir graphique 1, p. 11), des amendes financières (voir graphique 2, p. 11), le rejet en bloc des demandes de certificats en cours ou l'interdiction à une entreprise de déposer des demandes pour une durée déterminée. Plus les faits sont graves, plus la sanction sera lourde. Mais qu'est-ce qui est grave dans le monde des CEE ? « L'utilisation de faux documents, de documents falsifiés (en changeant la date de facture par exemple), la volonté de valoriser des travaux inexistants, l'implication directe du demandeur de CEE dans la fraude, lorsque des entreprises s'entendent pour réaliser des faux travaux, déclarer des surfaces supérieures à celles réellement isolées… » précise-t-on au ministère de la Transition écologique. Pour aller au bout de la logique du « name and shame », il faudrait publier systématiquement les décisions.

Et enfin, les sanctions prises dans le cadre du dispositif CEE pourraient être motivées au « Journal officiel » et les certificats déposés mais non délivrés par le PNCEE pourraient aussi faire l'objet d'une communication », ajoute un expert du secteur. Une proposition déjà étudiée par le ministère. Mais qui ne l'a pas déployée. « Hormis le cas où il existe une complicité avérée entre le demandeur de CEE et l'entreprise qui réalise des travaux - un cas rare voire inexistant - les manquements sont surtout liés à l'entreprise de travaux, commente-t-on au minis-tère. Nos sanctions impactent les demandeurs de CEE. Il ne s'agit pas des mêmes entreprises. Et selon une note juridique, nous ne pouvons pas, au titre du secret des affaires, indiquer qu'un demandeur de CEE est sanctionné parce qu'il a travaillé avec telle ou telle entreprise. »

Créer une véritable cellule anti-fraude

Puisque la fraude aux aides à la rénovation énergétique est menée en bande organisée, pourquoi ne pas mener la lutte contre les éco-délinquants de la même manière ? C'est l'idée qui germe dans la tête des entreprises qui évoluent dans le secteur. Sur le papier, cette cellule existe déjà. Mis en place par l'administration, un groupe de travail spécifiquement dédié à la lutte contre les fraudes à la rénovation travaille en lien avec la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf). Il fait partie d'une « cellule de coordination interministérielle qui réunit chaque semaine la DGCCRF, la gendarmerie nationale, le Pôle national des CEE (PNCEE), l'Anah, l'Ademe et des services de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN). Elle a la charge du bon déploiement de la politique de rénovation énergétique en général. Elle assure d'autres missions comme le portage de France Rénov', Mon Accompagnateur Rénov'… », nous indique-t-on au ministère de la Transition écologique.

Parmi les faits d'armes de ce groupe, le ministère de la Transition écologique énumère « la configuration des outils de la DGCCRF qui permet aux ménages d'alerter sur un cas de fraude via SignalConso. Ce travail a permis de nous assurer de la caractérisation de l'information qui nous est remontée, afin qu'elle puisse être pleinement utilisée ». Autre succès : « Les campagnes de communication, déployées fin 2019 et début 2020, alors qu'une seconde est en cours de préparation ». Des mesures qui semblent un peu faibles, au regard des montants en jeu, mis en lumière dans notre enquête sur les « escrocs de la réno ».

Mais au ministère de la Transition énergétique, cette stratégie s'explique : « La première priorité de la ministre est de faire de la rénovation, et ce en grand volume. Nous avons essayé de ne pas ankyloser le système en mettant tout à l'arrêt. Il y a peut-être quelques petits trous dans le filet, mais nous mettons tout en œuvre pour renouer tous les fils et faire en sorte qu'il n'y ait plus de trous. » Pour mailler efficacement le filet, le groupe de travail anti-fraude pourrait être ouvert aux professionnels, comme Qualibat, qui peut retirer le RGE. Ou être doté d'un budget et d'une équipe dédiée pour lui permettre de diligenter ses propres contrôles. Les conclusions seraient étudiées par la cellule. Ces analyses pourraient ensuite être transmises à Qualibat en vue de retirer le RGE. Ou à la répression de fraudes. Cette cellule sera également bien placée pour demander des contrôles assermentés, afin de faire intervenir la gendarmerie.

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