Ce n’est pas nouveau, en matière d’urbanisme, la mode est à la régularisation plutôt qu’à l’annulation. Un avis important rendu le 2 octobre 2020 par le Conseil d’Etat confirme et élargit cette tendance.
Juge correcteur
Le dispositif a vu le jour avec l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme qui avait doté le juge administratif de nouveaux habits de juge correcteur plutôt que censeur. Ce texte avait en effet introduit dans le Code de l’urbanisme, au côté de la possibilité d’annulation partielle préexistante de l’article L. 600-5, un nouveau mécanisme de régularisation ante-jugement (art. L. 600-5-1). Qui prévoyait que le juge administratif qui, « saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime […] qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif peut […] surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation ».
La loi Elan du 23 novembre 2018 a rendu ce mécanisme obligatoire et l’a élargi aux déclarations préalables. En outre, l’article L. 600-5-1 se réfère dorénavant simplement à une « mesure de régularisation » alors que sa version antérieure exigeait un instrumentum de régularisation particulier, en l’occurrence un permis modificatif. Il est vrai qu’à partir du moment où cet article visait aussi les décisions de non-opposition à déclaration préalable, il y avait lieu d’amender l’unique référence au permis modificatif.
« Tout ou presque devient régularisable »
Nul ne pouvait cependant ignorer qu’il ne s’agissait pas que d’un simple ajustement sémantique. En réalité, en supprimant la mention du « permis modificatif » au profit de celle de « mesure de régularisation », le législateur venait de faire tomber une barrière. Celle qui limitait la régularisation aux seuls cas où la délivrance d’un permis modificatif pouvait être envisagée, c’est-à-dire aux seuls cas où la régularisation n’exigeait que des modifications mineures du projet.
C’est précisément ce que vient de confirmer le Conseil d’Etat dans son avis du 2 octobre. La Haute juridiction a en effet précisé qu’une mesure de régularisation d’une autorisation d’urbanisme peut aller jusqu’à bouleverser « l’économie générale du projet » sans qu’elle puisse toutefois en changer sa nature même. Il n’en demeure pas moins que la frontière entre ce qui bouleverse l’économie générale d’un projet et ce qui en change sa nature reste à tracer. Sa porosité nourrira certainement de prochains débats contentieux.
Ce faisant, les Sages ne font que clarifier et confirmer ce que la doctrine avait d’ores et déjà anticipé à la suite de la réécriture de l’article L. 600-5-1 par la loi Elan : « Désormais, […] des modifications importantes pourront être apportées au projet à ce stade. Cela change radicalement les choses puisqu’alors tout, ou presque devient régularisable. Il ne sera évidemment jamais possible de régulariser une construction réalisée dans une zone non constructible, mais il devient possible de procéder à des modifications transformant l’économie générale du projet » (Rozen Noguellou, « La réforme du contentieux de l’urbanisme », AJDA 2019, p. 107).
Et si certains avaient pu estimer que cet outil de régularisation « massive » transformerait le juge administratif en « médecin malgré lui » (Clément Malverti et Cyrille Beaufils, « Le Médecin malgré lui : le juge administratif au chevet des autorisations d’urbanisme », AJDA 2019, p. 752), cet avis peut également nous inviter à voir le juge administratif sous les traits d’un « architecte malgré lui ».
CE, avis, 2 octobre 2020, n° 438318, publié au recueil Lebon