Quelle est votre impression générale sur ces projets, issus d’un an et demi de travail ?
Une nouvelle fois, l'AAP salue la démarche participative que la DAJ a initiée sur ces documents de référence de l'achat public. Il y a de réelles évolutions par rapport aux textes de 2009. Certaines sont justifiées par les évolutions du corpus juridique de la commande publique (sur le développement durable, notamment), d'autres visent un rééquilibrage contractuel en faveur des entreprises, ce qui est une bonne chose.
L'AAP a formulé des propositions et fait part de certaines réserves tout au long des séances des groupes de travail. Nous avons été pour partie entendus, notamment sur un sujet qui nous semblait délicat : l'acceptation tacite par l'acheteur des observations du titulaire relatives aux bons de commande. Ce principe a été retiré des projets mis en consultation.
Concernant le projet de CCAG travaux : les clauses de développement durable qui y sont inscrites vous conviennent-elles ? Cela suffira-t-il à les démocratiser ?
Il me semble que pour qu'elle soit efficiente, la prise en compte du développement durable dans l'achat public nécessite avant tout l'adhésion et une certaine réflexion de la part des parties prenantes. Il est vrai que les objectifs voulus par l'Etat sur ce sujet peinent à être atteints. Toutefois, dans le cadre de rapports contractuels, je ne crois pas que les seules injonctions et autres obligations imposées par des tiers aux contractants soient totalement efficaces.
Ceci étant, les clauses proposées dans les projets de CCAG constituent un apport intéressant pour accompagner les acheteurs dans la définition de leurs besoins. Encore faut-il que ces derniers disposent des ressources requises pour suivre la bonne exécution de ces clauses DD...
En matière d'exécution financière du contrat, l'objectif d'équilibrer les relations acheteurs/entreprises est-il atteint ?
Il y a là des avancés notables. L'AAP avait notamment proposé que le CCAG travaux facilite le paiement des acomptes sur approvisionnements. Là où dans le CCAG de 2009 l'obtention de ces acomptes était conditionnée par une clause du CCAP en ce sens, le projet mis en consultation supprime désormais cette condition.
En cas d'actualisation des prix, dans le silence du contrat, nous avions également proposé une clause de réexamen permettant de choisir des index davantage adaptés que les index TP 01 et BT 01. Cette piste a été retenue, ce qui peut être favorable aux acheteurs, lesquels peuvent également bénéficier des baisses des prix.
En revanche, nous n'avons visiblement pas été suffisamment convaincants pour ce qui concerne notre proposition d'insérer une clause de révision des prix par défaut dans le CCAG travaux. Cette clause est toutefois proposée dans le CCAG MOE.
Par ailleurs, l'AAP est réservée s'agissant du plafonnement des pénalités à 10 % du montant du marché. Nous ne sommes pas opposés à l'idée de limite, mais le projet ne prend en compte le montant de la pénalité que par rapport au montant du marché, sans prendre en considération l'importance du retard imputable à l'entreprise. Or, il ressort de la jurisprudence du Conseil d'Etat que ce dernier mesure ces deux paramètres pour déterminer le caractère excessif ou non des pénalités. Par ailleurs, la formulation retenue par les projets de CCAG implique que ce plafonnement à 10 % englobe tout type de pénalités prévues au contrat (notamment en cas de méconnaissance des clauses liées au DD) et pas uniquement les pénalités de retard. Le titulaire est par ailleurs exonéré du paiement des pénalités (de retard ou autres) dont le montant total ne dépasse pas 1 000 euros HT. L'opportunité d'une telle franchise peut prêter à discussion.
Sur la dématérialisation, auriez-vous souhaité que le CCAG aille plus loin, soit plus contraignant ?
Non, pas nécessairement. Le texte laisse une certaine liberté en la matière, ce qui correspond bien à la diversité des pratiques des acheteurs et de leur partenaires contractuels.
Les mécanismes visant à améliorer le dialogue et prévenir les contentieux vous semblent-ils efficaces ?
L'avenir nous le dira ! Le principe consistant à instaurer davantage de contradictoire avant que l'acheteur applique les sanctions prévues au contrat (comme les pénalités de retard par exemple) nous semble une bonne chose. Cela peut conduire à ce que l'acheteur revoie ou modère sa position au vu des explications produites par le titulaire.
D'autres regrets, quant au contenu de ce projet de CCAG travaux ?
Lors des groupes de travail, nous avons insisté sur un point : si la volonté de renforcer l'équilibre contractuel entre les entreprises et les acheteurs public est tout à fait légitime, il n'est cependant pas opportun que la recherche de rapports plus équitables entre les parties compromette l'aboutissement des projets des acheteurs publics, tous plus ou moins directement liés à la satisfaction de l'intérêt général. A ce titre, il nous semble que les CCAG devraient peut être prévoir, de façon générale, que lorsque la signature d'un avenant est prévue pour acter telle ou telle modification (qui bien souvent s'impose), mais que ledit avenant n'est pas envisageable faute d'accord, l'acheteur a la faculté d'imposer à l'entreprise les modifications qu'il aura arrêtées. L'objectif étant qu'un désaccord entre l'entreprise et l'acheteur ne puisse pas bloquer la continuité de l'exécution des marchés et qu'une solution provisoire, alternative à la résiliation du marché, soit envisageable.
Le projet de CCAG maîtrise d’œuvre répond-il à vos attentes ? Son articulation, sa cohérence avec le CCAG travaux sont-elles satisfaisantes ?
La publication d'un CCAG dédié à la maîtrise d'œuvre était attendue. Toutefois, l'articulation avec le CCAG travaux, telle qu'elle résulte du projet mis en ligne, nous interroge. En effet, sans vouloir trahir de secret, le projet soumis aux membres du groupe de travail rendait contractuelles les dispositions du CCAG travaux qui définissent les rôle et responsabilités du maître d'œuvre. Or, cette mention n'apparaît plus à l'article 4.1 du CCAG MOE (article qui définit l'ordre de priorité des pièces contractuelles). Gageons qu'il ne s'agit là que d'un simple oubli qui sera corrigé dans la version définitive. A défaut, le CCAG MOE apparaîtrait lacunaire sur ce point.
Par ailleurs, même si le Code de la commande publique standardise de façon assez complète les missions de maîtrise d'œuvre, le projet de CCAG comporte finalement assez peu de clauses spécifiques à cette prestation. A titre d'exemple, il aurait été possible d'inscrire dans le CCAG MOE le rappel du devoir de conseil qui s'impose au prestataire : la jurisprudence sur le sujet, qui semble bien établie, aurait pu constituer une référence sur cette question.
Le CCAG aurait également pu proposer des taux de tolérance applicables par défaut aux engagements du maître d'œuvre sur le coût des travaux (résultats de l'appel d'offres travaux et coût définitif résultant des décomptes généraux définitifs).
Quel regard portez-vous sur les clauses relatives à l'exécution financières dans ce CCAG MOE ?
L'instauration d'une clause de révision de prix par défaut peut être saluée. Et s'agissant du plafonnement des pénalités, je formulerais les mêmes remarques que pour le CCAG travaux.
Concernant les flux de circulation des demandes de paiement, la traduction des conséquences liées à l'utilisation obligatoire du portail de facturation "Chorus Pro" (pour les acheteurs relevant de la sphère publique) est présentée d'une manière qui peut apparaître trop discrète. Il s'agit pourtant d'une modalité d'exécution des contrats publics qui s'avère être très impactante pour les parties.
L’option unique de propriété intellectuelle retenue (art. 22), là où le CCAG prestations intellectuelles (PI) jusque là utilisé proposait deux options, est-elle pertinente ?
Cette option unique est censée correspondre aux usages des maîtres d'ouvrage. Il sera intéressant de connaître l'avis des spécialistes en droit de la propriété intellectuelle.
Quid de la combinaison entre différents CCAG que Bercy entend autoriser pour les marchés globaux : sera-ce chose aisée ?
L'AAP avait évoqué en groupe de travail la piste de la création d'un CCAG conception/réalisation. Il ne s'agissait pas d'une position dogmatique de notre part sur le sujet. Le CCP accordant une nouvelle place à ce type de montage contractuel, il nous semblait qu'il n'était pas incohérent de leur fournir un cadre contractuel type. Le sujet, sans doute trop clivant et complexe, a été écarté. Je rejoins la position que Benoît Gunslay, juriste du Cnoa, a tenu dans vos colonnes : la combinaison des différents CCAG serait un challenge pour les rédacteurs du contrat.
D'ailleurs, on constate en pratique que certains acheteurs font référence au CCAG travaux pour leurs marchés de conception/réalisation sans que leur CCAP ne comporte de dérogations et d'adaptations à ce CCAG. Ce n'est certainement pas adapté juridiquement. Mais si, in fine, leurs projets aboutissent sans encombre, ce n'est plus un problème...
Combien de temps vous semblerait-il nécessaire entre la parution des CCAG définitifs et leur entrée en vigueur ?
Si l'on tient compte du temps à consacrer à l'appropriation des nouvelles clauses, à la formation (des acheteurs, des opérateurs économiques), à l'arbitrage (dérogation ou non aux clauses jugées trop impactantes pour l'acheteur), à l'intégration des nouvelles clauses par les éditeurs des applications d'aide à la rédaction des marchés, disons qu'un délai de six mois serait assez confortable. Il n'est pas certain que nous puissions bénéficier de ce confort... [la DAJ projetant une entrée en vigueur le 1er avril 2020, NDLR].
Savez-vous si vos adhérents utilisent majoritairement les CCAG, ou s'ils ont élaboré leurs propres cahiers ?
Les CCAG sont très majoritairement utilisés car ils suscitent globalement l'adhésion des acheteurs (exception faite des simples demandes de devis pour lesquelles les CCAG sont très rarement référencés comme pièce du contrat). En revanche, ces mêmes acheteurs n'hésitent pas à déroger aux clauses des CCAG auxquelles ils n'adhèrent pas...