Ils sont 16 millions en France, 2,3 milliards dans le monde et en 2030 ils représenteront 75 % de la population active. .. les millennials vont peu à peu imposer leurs valeurs et leurs modes de vie, autant bien les connaître pour mieux les servir.
Caractérisés par une très faible attache et une folle capacité de zapping, ils ne se sentent liés à aucun produit ou service et leurs critères sont la facilité, l'efficacité et la rapidité. YOLO (You Only Leave Once) et FOMO (Fear Of Missing Out) sont leurs règles de vie.
Dans le domaine de l'épargne immobilière qui reste au centre des préoccupations car quoiqu'il advienne se loger reste une nécessité incontournable, le millennial est mobile, a de moins en moins la capacité d'acheter en pleine propriété (l'urbanisation et la rareté du foncier ont augmenté les prix) et sa vie n'a pas la linéarité des générations précédentes. En effet, sa fonction d'utilité est toute à creuser dans la mesure où elle devient clairement une juxtaposition d'utilités marginales : aucune composante n'est prépondérante pour le millennial si ce n'est sa liberté, la qualité du service, sa capacité à le customiser à sa guise et son intransigeance quant à la maîtrise de son destin. Ses besoins immobiliers, comme sa capacité financière, changent régulièrement. De plus en plus, il sera attaché aux services qui seront liés à son logement : wifi, conciergerie, garde d'enfants, équipements sportifs ou de loisirs, co-working, co-living à la carte, menus travaux…
Les modes de vie privilégiés par les millennials sont à l'intersection de trois tendances lourdes et de long terme qui n'ont pas véritablement trouvé de traduction dans la façon dont on produit et on gère le logement. En premier lieu, l'allongement de la durée de la vie a transformé l'expérience de la transmission de patrimoine puisque l'héritage intervient désormais plutôt au moment de la retraite qu'au moment du mariage. La probabilité qu'un ménage hérite d'une habitation correspondant à ses besoins du moment est désormais quasi-nul et les notaires le savent, qui constatent que le premier réflexe des héritiers d'une résidence principale est le plus souvent de la mettre en vente.
En second lieu, les parcours familiaux sont beaucoup moins linéaires et prévisibles qu'ils ne l'étaient traditionnellement. Pour un individu donné, le nombre de personnes avec lesquelles il partage son logement est devenu une fonction beaucoup plus volatile que par le passé. Divorces et séparations, nouvelles unions et familles recomposées se multiplient et créent autant de variations dans la configuration du logement idéal.
Enfin, les parcours professionnels sont aussi beaucoup plus hachés que par le passé. On change désormais de poste, d'entreprise, de métier, de statut… de façon plus fluide. Ce phénomène est totalement intégré par les jeunes générations et tout indique que la tendance va se renforcer. Cela a forcément des conséquences sur la façon dont chacun souhaite se loger. En particulier, l'accès à la mobilité devient un enjeu de plus en plus fort. Pour pouvoir saisir les opportunités qui se présentent il faut soit habiter à proximité d'un hub de transport, soit être capable de déménager en limitant les frottements financiers.
Dans un monde où n'existent comme alternatives pour se loger que la propriété classique et la location simple, cette dernière semble plus compatible avec les exigences des millennials. La location permet en effet la flexibilité rendue si désirable par les modes de vie et de travails contemporains. Pourtant force est de constater que louer n'est considéré pertinent qu'au début de la vie active ou dans des périodes de transitions personnelles ou professionnelles. Et dans ces cas, chacun pressent que la location est une activité en attente de sa disruption, les offreurs de solutions de « co-living » y travaillent et finiront par trouver la martingale.
En dehors de ces moments particuliers, l'objectif des ménages est plutôt d'échapper à la location et de devenir propriétaire, quitte à renoncer à ces attributs essentiels que sont la souplesse et la flexibilité. Le désir d'utiliser son logement comme un stock d'épargne l'emporte sur les autres considérations.
Pourtant, avec l'augmentation des prix du foncier dans les lieux les plus désirables, le renoncement à la flexibilité chère aux millennials s'accompagne aussi d'importants compromis sur la qualité de vie. Pour devenir propriétaire, on arbitre en faveur de logements éloignés des zones d'opportunités personnelles et professionnelles et/ou trop exigus. Pour l'acquisition immobilière aussi, la disruption est attendue par beaucoup. Toute solution nouvelle permettant d'utiliser le logement comme un accumulateur d'épargne sans impliquer la rigidité et les renoncements liés à la propriété classique mérite d'être sérieusement étudiée. Plusieurs pistes pourraient déjà être envisagées sans nécessité d'évolutions législatives ou règlementaires. Du la plus simple à la plus innovante : le « crédit ballon », le « prêt au bien » et la « propriété à vie ».
Le « crédit ballon » consiste pour l'acheteur à souscrire un emprunt avec une tranche classique pour une part (par exemple 50 %) et une autre avec remboursement in fine (50 % dans notre exemple). Pendant 20 ans il paye les intérêts des deux tranches, mais ne rembourse le capital que de la première. Au terme des 20 ans, il doit rembourser la deuxième tranche. Il le fait soit en vendant le bien, soit en mobilisant les économies réalisées entretemps.
La « prêt au bien » tire les conséquences du fait que la durée de vie d'un bien immobilier est plus longue que celle de l'emprunt pour le rembourser. Dans ce dispositif, la banque prête une part du capital à l'acheteur (par exemple 50 %) sur 20 ans et le reste « au logement » pour une durée indéfinie. Pendant 20 ans l'acheteur rembourse le prêt qui lui est consenti et paye les intérêts sur l'autre ; au-delà il ne paye que les intérêts sur la fraction du prêt non remboursée. Quand il cède le logement (ou le transmet), il le fait avec le prêt attaché au bien. Le nouveau propriétaire continue de payer les intérêts sur le prêt « au logement ».
La « propriété à vie » consiste pour l'acheteur à acquérir la propriété pleine du logement pour une durée correspondant à son espérance de vie (par exemple 50 ans pour une personne de 35 ans). Pendant toute la durée du contrat la foncière qui le lui a vendu s'engage à le lui racheter sur simple demande à un prix fixé d'avance (décroissant dans le temps). Ce dispositif est sans doute celui qui correspond le mieux aux millennials. Il revient en dernière analyse à une « définanciarisation » de la résidence principale. Choisir la propriété « pour la vie », c'est privilégier la valeur d'usage sur la valeur patrimoniale.
Ces trois dispositifs ont un point commun essentiel, ils permettent de baisser le cout mensuel de l'acquisition d'un logement d'environ 30 %. Ils ont un effet de solvabilisation massif et donnent donc potentiellement accès aux secteurs où s'exerce la pression sur les couts du foncier. Or, ces prix ne sont que le reflet de la réalité, ils sont élevés car les quartiers en question sont hautement désirables. En permettant à plus de ménages d'avoir les moyens de s'y loger hors de la location classique, on augmente leur densité potentielle et ce faisant on limite l'étalement urbain, on favorise la mixité sociale en cœur de ville, on rapproche les actifs des emplois ce qui est à la fois bon pour la qualité de vie de chacun et pour les ajustements sur le marché du travail…
le millennial est mobile, a de moins en moins la capacité d'acheter en pleine propriété
Bien sûr, rien n'interdirait à un ménage qui aurait fait le choix d'une de ces solutions à un moment ou ses ressources ne lui permettaient pas plus, de revenir dans le schéma classique de la propriété de son logement à un moment ou ses revenus auront augmenté. Mais ne peut-on pas anticiper, à l'inverse, que ces propriétaires d'un nouveau type iraient au bout de la logique et consacreraient leur surcroît d'épargne à d'autres investissements plus liquides pour leurs futurs héritiers, plus facilement mobilisables par anticipation et plus productifs pour l'économie ? Ces dispositifs correspondent aux mouvements de fond qui traversent la société. Leur succès servirait de fondement à une réflexion sur ce que doit offrir un logement à l'heure de la « civilisation de l'usage ». Quels services associés au logement ? Quelle gestion des espaces communs ? Quel lien à l'espace public ? Quelle capacité d'évolution des surfaces ? Autant de questions qui nous ramènent aux préoccupations des millennials. L' innovation financière pourrait-elle être l'aiguillon de l'innovation sociétale ?