Quand l'écologie fait germer la construction de demain

Les acteurs du BTP mettent les bouchées doubles pour améliorer leurs performances environnementales, ce qui suppose de revisiter leurs approches techniques, managériales et économiques.

 

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Les chiffres sont connus : à l'origine de 45 % de la consommation énergétique en France en 2018, le secteur de la construction se doit de réussir sa transition écologique dans les plus brefs délais. Présenté début septembre, le plan de relance y consacre des moyens importants puisque 6,7 milliards d'euros seront fléchés vers la rénovation énergétique des logements privés et sociaux, des locaux des TPE-PME et des bâtiments publics. Reste à savoir si cette manne permettra le déploiement de solutions innovantes susceptibles de changer la donne. « Le plan de relance, et ses milliards, ne va pas forcément modifier les dynamiques en R & D, néanmoins il pourrait accélérer la mise en œuvre de techniques déjà éprouvées », analyse Frédéric Betbeder, responsable des services innovants du centre de recherche appliquée Nobatek Inef 4.

Une thèse accréditée par l'attitude des grands groupes de construction qui n'ont pas attendu ce plan pour faire de la transition écologique un axe stratégique. Pour preuve, en janvier dernier, Vinci présentait sa feuille de route environnementale, qui vise la neutralité carbone à l'horizon 2050, avec un premier d'ici à 2030 par rapport à 2018, sur le périmètre direct de son activité (hors phases d'exploitation et de fin de vie). « Une telle transformation suppose de généraliser l'usage de solutions actuellement appliquées sur les seuls chantiers exemplaires. Dans le même temps, elle nous impose d'aller encore plus loin technologiquement sur la décarbonation », résume Isabelle Spiegel, directrice de l'environnement chez Vinci.

Le secteur doit aujourd'hui obtenir des résultats rapides et tend donc à privilégier des innovations simples, immédiatement exploitables et à fort impact

Emulation. A l'échelle du secteur du bâtiment, l'expérimentation E+C-, qui préfigure la future réglementation environnementale des bâtiments (RE 2020) entretient cette indispensable émulation du fait qu'elle place la réduction de l'empreinte carbone au même niveau que l'amélioration du bilan énergétique. En imposant l'analyse systématique du cycle de vie et l'utilisation de fiches de déclaration environnementale et sanitaire, la démarche oriente ainsi l'innovation vers la baisse des émissions de gaz à effet de serre et l'économie des ressources. « On voit de plus en plus de start-up sortir du positionnement classique d'apporteur de solutions numériques pour aller sur la création de matériaux bas carbone, constate Rémi Bouchié, directeur du CSTB'Lab, créé en 2017 pour aider les structures innovantes dans leur phase d'accélération. Certaines d'entre elles intègrent une dimension d'économie circulaire, comme c'est le cas de deux sociétés issues de notre dernière promotion : Gwilen, qui transforme les sédiments marins des vases portuaires en matériau de construction bas carbone, et Sasminimum, qui développe un pavé 100 % recyclé et recyclable réalisé à partir de déchets plastiques. » Prometteuses, ces jeunes pousses auront probablement un rôle à jouer à l'avenir. Mais le BTP doit aujourd'hui obtenir des résultats rapides et tend donc à privilégier des innovations simples, immédiatement exploitables et à fort impact. La solution proposée par la start-up Immoblade en fait partie. Fondée à Toulouse en 2018, elle a mis au point un système de mini-stores aluminium intégrés aux vitrages et orientés en fonction de l'ensoleillement de la façade, créant des protections solaires passives et saisonnières. « Notre approche low-tech a tout de suite rencontré un écho dans la profession : pas de maintenance, aucun risque de pannes, indique Xavier Sembely, P-DG et cofondateur d'Immoblade. La complexité du produit se situe en amont, à la conception, où nous utilisons des algorithmes développés en interne pour définir les orientations qui maximiseront les apports solaires en hiver, tout en contribuant au confort d'été. » Autre avantage : la faible consommation de matière, avec 500 grammes d'aluminium par mètre carré de vitrage, soit beaucoup moins que pour des stores extérieurs.

Pour autant, ce type d'innovation qui mise sur la simplicité n'obère pas la poursuite des efforts engagés sur des sujets numériques plus complexes. « Ces dernières années, l'une des principales attentes de la filière a porté sur les garanties de performances énergétiques. Or les outils de modélisation sont aujourd'hui mûrs et permettent de travailler sur la rénovation énergétique à l'échelle non plus du bâtiment mais du quartier, dans une logique de massification : nous sommes en contact avec des collectivités et des bailleurs pour lancer des projets expérimentaux », se félicite Frédéric Betbeder.

La chose est entendue. Il faut aujourd'hui actionner tous les leviers technologiques à disposition. Néanmoins, cette démarche seule ne peut suffire pour réussir la transition écologique. « L'élan doit aussi être managérial, insiste Valérie David, directrice du développement durable chez Eiffage. Notre groupe intègre déjà de nombreuses pépites spécialisées dans les modes constructifs bas carbone, il nous faut désormais trouver des approches nouvelles permettant de diffuser plus largement leurs savoir-faire. » Là encore, les outils numériques détiennent une part de la solution. Début septembre, 80 techniciens d'Eiffage Route ont ainsi été formés à une nouvelle interface développée en interne, qui met en regard le logiciel d'études de prix de la branche et les bases de données carbone du logiciel écocomparateur environnemental Seve. Le professionnel peut ainsi objectiver l'intérêt environnemental des variantes en fonction de leur impact sur les devis. « Il s'agit d'une innovation dont ces techniciens pourront être fiers car elle valorise la démarche bas carbone qui devient évidente pour leurs clients », pointe Valérie David. Chez Vinci, ce sujet managérial est également au cœur des attentions. Il a d'ailleurs trouvé une traduction symbolique avec le remplacement en 2021 du traditionnel prix de l'Innovation, organisé tous les deux ans, par un prix de l'Environnement qui vise à embarquer toutes les entités du groupe dans la transition écologique.

« Vraie plus-value ». Se pose enfin la question des modèles économiques qui soutiendront cette transition. « Si la prise de conscience collective est réelle, on voit remonter peu de demandes des donneurs d'ordres sur des projets ambitieux », regrette l'un de nos interlocuteurs. Un constat qui n'empêche pas les entreprises de s'organiser pour articuler au mieux écologie, innovation et économie. Pour ce faire, Vinci compte notamment sur sa plate-forme de prospective Leonard : un incubateur accueillant des start-up, mais aussi plusieurs dizaines d'intrapreneurs. Ambitieux, le programme a déjà permis l'émergence de plusieurs business units, dont le bureau d'études Resallience, positionné sur l'adaptation des projets, des infrastructures et de leurs usages au changement climatique. « L'enjeu pour nos entreprises est de démontrer à nos clients que même si elle est un peu plus chère, la qualité environnementale est une vraie plus-value pour leurs projets », appuie Isabelle Spiegel.

C'est cette même préoccupation qui conduit les différentes entités d'Eiffage à proposer systématiquement des variantes bas carbone et à se fixer des objectifs d'offres remportées. Afin d'accompagner cette démarche et les solutions émergentes, deux véhicules financiers ont également été créés par le groupe : le fonds Seed'Innov peut financer jusqu'à 50 % des dépenses d'innovation en interne ou avec des industriels partenaires, tandis que le dispositif E-Face prend en charge le différentiel de coûts entre un matériau traditionnel et son alternative décarbonée, dans la limite de 500 euros la tonne équivalent CO économisée. Un investissement significatif qui doit permettre de préparer les marchés de demain. Pour Valérie David, tout l'enjeu est là : « Il paraît impensable que, dans les dix ans qui viennent, une entreprise de la filière n'ait pas défini un business model qui la positionne comme acteur de la transition écologique, avec les opportunités d'affaires qui en découleront. »

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