Pathfinder est une nouvelle variété de « chenille » corse, de la famille high-tech. Ce petit robot-tube conçu par la société bastiaise Acwa Robotics, destiné à explorer les canalisations d’eau potable, a réalisé ses deux premiers tests en conditions réelles sur le continent : à Dunkerque, en octobre dernier, et à Blanquefort dans l’agglomération de Bordeaux, fin mars. Derrière un lotissement, une tranchée de six mètres de long recouverte d’une tente témoigne de sa « mise à l’eau ».
Une vieille canalisation des années 1980, suspecte de fuite, a été ouverte pour aménager une trappe et refermée d’un raccord en fonte bleue rutilante. L’expérimentation, un marché d’innovation de 40 000 euros passé par la régie de l’eau Bordeaux Métropole, consistait à envoyer Pathfinder explorer 400 mètres de tuyaux et obtenir son retour, de manière totalement autonome.

Dans cette tranchée ouverte, une trappe dans la canalisation, refermée d’un raccord en fonte, permet l’accès du robot, et sa sortie. © Léa Delpont
Le robot d’un mètre de long, en trois tronçons articulés par des vérins, n’est pas un drone télécommandé : « Il avance sans contact avec l’extérieur, avec un système d’intelligence artificielle embarqué pour gérer le risque acceptable », explique Jean-François Rossi, président d’Acwa. Au premier jour de sa mission, il a fait marche arrière devant une vanne périlleuse. Le lendemain, après quelques réglages, il l’a franchie avec succès. Objectif atteint : passer l’obstacle et ressortir par le point d’entrée, pour éviter d’éventrer la canalisation en deux endroits (comme à Dunkerque).

Jean-Franc?ois Rossi, président d’Acwa, présente le robot Pathfinder. © Léa Delpont
L’explorateur immergé prend des photos géolocalisées de l’intérieur de la conduite. Mais sa raison d’être, c’est de mesurer, grâce à des capteurs à ultrasons, l’épaisseur résiduelle des canalisations pour évaluer l’urgence à les changer. « Prévenir plutôt que réparer », plaide Jean-François Rossi. Le petit sous-marin détecte aussi les fuites grâce à des mesures acoustiques : l’or bleu qui s’échappe crée un bruit caractéristique.
Bientôt l’international
En France, un milliard de mètres cubes sont perdus chaque année dans les réseaux potables : un million de kilomètres dont la moitié ont été posés avant 1972. « Il serait nécessaire d’en renouveler 1,2 % par an, contre 0,6 % actuellement », évalue Acwa. Avec un coût de remplacement de 150 000 à 800 000 euros le kilomètre, « il est indispensable de cibler les portions prioritaires, et donc d’acquérir la connaissance de l’état de la structure ».
Sans obstacle, la chenille peut parcourir jusqu’à 1 000 mètres par jour dans des tubes de 250 millimètres de diamètre, reliée par un fil d’Ariane de sécurité. Elle se déplace dans le courant, utilisant au besoin des patins dépliables et ses articulations pour s’allonger ou se rétracter. « Il n’a pas été nécessaire de couper le réseau pendant l’intervention », souligne Françoise Boulard, directrice Recherche et Innovation de la régie. « La qualité de l’eau n’a donc pas été impactée ».

Un camion-laboratoire accompagne l'exploration, les données envoyées par le robot y sont réceptionnées. © Léa Delpont
La Banque des Territoires, entrée au capital de l’entreprise en 2023, l’aide à développer une version plus mince pour des tuyaux de 150 millimètres. Elle vient aussi d’accorder un prêt de 35 millions d’euros à la régie bordelaise pour soutenir la modernisation de son réseau. L’innovation d’Acwa est attendue prochainement à Lyon. La société dispose de quatre exemplaires opérationnels et envisage de lancer la production industrielle à Aix-en-Provence. « La technologie des réseaux étant née en France, avec la Générale ou la Lyonnaise des Eaux qui ont dictés les standards, on a la chance de pouvoir s’exporter très facilement », glisse l’entrepreneur, qui a reçu des demandes émanant de 35 pays.