Vous êtes engagé dans une politique de développement durable pour l'agglomération dijonnaise et sa ville centre, quels sont vos objectifs ?
Le sénateur maire François Rebsamen veut faire de Dijon la première ville écologique de France. Il ne s'agit pas de « repeindre en vert » la ville mais d'inscrire dans les faits des convictions urbaines. Pour cela, il a fixé des objectifs quantitatifs qui consistent à produire plus de quartiers d'habitat et d'activités, donc davantage de logements et de bureaux, et des objectifs qualitatifs qui visent à faire une ville contemporaine et durable, et ne pas se contenter d'en parler. Par chance, nous disposons d'un foncier important et il y a une vraie demande. Avec le déménagement du CHU, des friches industrielles et militaires les anciens abattoirs ou des emprises encore libres ce sont environ 500 ha d'opportunités foncières, y compris en cœur de ville, qui s'offrent à l'aménagement. Tout ceci nous oblige à réfléchir à la ville, et à la ville durable.
Comment se déroule le passage à l'acte ?
Nous avons d'abord défini une palette d'outils. Nous avons ajouté à la SEM une SPLA - société publique locale d'aménagement - formant un dispositif entrepreneurial public permettant d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Nous avons ensuite développé une méthode permettant de déployer notre stratégie, avec :
- un plan d'orientation stratégique pour l'aménagement durable, économique et responsable - POSADER - fixant les orientations et engagements pris et s'appliquant à toutes les opérations ;
- un système de management environnemental (SME) ;
- la création d'un poste de directeur du DD attribué à un écologue ;
- la certification ISO 14001 et EMAS (Eco Management and Audit Scheme), norme européenne également appelée Eco-Audit.
Globalement, ce dispositif apparaît dans les cahiers des charges des missions d'urbanisme ou d'architecture et de paysage, sous forme de plans durables qui décrivent des cibles à atteindre mais - volontairement - ne déterminent pas comment les atteindre.
Il ne s'agit pas de cibles HQE normées, mais d'orientations urbaines, sociales, énergétiques, économiques, sociales, de gouvernance, environnementales, paysagères. Nous ne voulons surtout pas indiquer un nombre d'arbres à planter ! Je ne réduis pas la ville durable à des modes de desserte ou à des performances énergétiques, qui doivent être des conséquences, et non des préalables.
Pour parvenir vraiment à nos objectifs - on est en ville, donc compacité et densité sont indispensables - Dijon procède actuellement à la révision de son PLU. Il sera le premier « éco PLU » de France : un PLU qui ouvre des possibilités, qui libère les hauteurs, qui supprime le COS, qui privilégie autant que faire se peut, l'intelligence du projet urbain sur le règlement et la norme, qui établit donc des relations extrêmement différentes avec les architectes.
Parallèlement, nous mettons en œuvre des procédures qui permettent d'auditionner, de dialoguer avec les maîtres. Nous travaillons sur des accords-cadres avec les équipes d'urbanistes, pour réfléchir sur les grandes emprises foncières avant de travailler sur des opérations précises.
Dans quelle mesure ce mode de travail influe sur vos relations avec les architectes ?
D'entrée de jeu, je cherche à établir avec l'architecte et l'urbaniste une relation différente des relations habituelles : comment construire la ville sans écoute ni échange ? Un exemple : nous ne demandons plus aux maîtres d'œuvre d'abord leurs références mais surtout leurs aptitudes, leurs convictions, leurs démonstrations. C'est une nouvelle attitude pour un aménageur, d'ailleurs plus exigeante. Nous travaillons davantage par objectifs que sur moyens, à la manière des Anglo-saxons ou des Scandinaves. Les contraintes existent, mais notre devoir est de faire émerger les possibles. D'où l'allégement des règles imposables aux opérations publiques d'aménagement. Ce dispositif doit conduire à un changement de relation entre l'aménageur et le maître d'œuvre - architecte ou urbaniste - qui retrouve ainsi sa place.
Ce qui m'intéresse, c'est la réconciliation entre concept urbain et la réalité économique ou fonctionnelle. Il s'agit de résoudre un certain nombre de contradictions apparentes :
- économie d'espace et générosité des espaces ;
- collectif et intimité privée ;
- coexistence apaisée de différents usages ;
- suppression de la voiture et rapidité des circulations.
A Dijon, nous ne ferons que des écoquartiers mais contemporains.
Avez-vous des exemples d'opérations ou des références qui vous inspirent ou vous influencent ?
De Fribourg, BedZed et Malmö, on tire des enseignements utiles mais aussi limités. Je reconnais que ce sont des pionniers ; je réfute qu'ils soient des modèles. On essaye d'y exercer un droit d'inventaire, par exemple pour les usages. Je pense que la ville durable est en train de changer de génération, ce processus est issu d'une volonté politique et d'une massification des projets. On passe des quartiers de militants aux quartiers d'habitants.
J'assume mes influences : j'apprends de Nicolas Michelin, Eric Lapierre, Djamel Klouche et François Decoster, Yves Lion, Philippe Madec, Roland Castro, Michel Cantal-Dupart. Déjà, j'étais chef de cabinet de Laurent Fabius à Matignon au lancement de Banlieues 89, pensez donc !
Je regarde les villes de Barcelone, Berlin, Rotterdam, Vancouver et les maires qui font preuve d'une véritable conviction urbaine. Dussé-je heurter, les convictions politiques sont parfois transcendées par les convictions urbaines. Alain Juppé, Jean-Marie Bockel, Gérard Collomb, Jean-Marc Ayrault ont comme François Rebsamen une ambition urbaine.
La situation de Dijon est-elle spécifique ?
A Dijon, les projets urbains sont abordés en même temps que le tram qui arrive en 2013 (2 lignes, 20 km). Nous partons donc, in vivo, des déplacements qui structurent tout ; ainsi pouvons-nous nous permettre de faire de vrais écoquartiers piétons. On repense la place de la voiture, avec des parkings mutualisés en silo en bordure de l'opération. Ce sont de nouveaux objets, non pas de simples parkings relais mais des plateformes de services, des lieux nodaux avec une réintroduction de l'humain.
L'écoquartier Heudelet (2,5 ha, 280 logements) est la première illustration concrète de cette démarche. Ce n'est pas une expérience mais une opération pilote, la dernière à POS constant.
La clef de la ville c'est la protéiformité. Si vous acceptez l'idée que tout ce qui est uniforme est dangereux, vous avez déjà fait la moitié du chemin. Or le paradoxe, c'est que le métier de l'aménageur reposait jusqu'alors - économiquement du moins - sur l'uniformité.
J'aime, moi, la conception de ville double, nous ne refaisons pas la ville, nous la poursuivons à partir des éléments existants. La ville systémique, ancienne ou nouvelle, est un tombeau ou un musée. La ville d'hier et la ville de demain doivent se tenir la main. Notre rôle de maître d'ouvrage délégué, c'est le passage à l'acte. C'est une belle satisfaction, le champ des possibles est ouvert et plus encore par le développement durable. En tant qu'aménageur, je me sens simplement comme provisoirement dépositaire d'un territoire. Nous ne sommes pas là pour ses opportunités et son immédiateté, mais pour son développement et sa durabilité. Nous avons des devoirs vis-à-vis de tous les habitants, qu'ils soient anciens, actuels ou futurs. Ceci invite à l'humilité.




