A Ajaccio, un marché en commun

Par l'odeur alléchées, 2 000 à 3000 personnes se rendent chaque matinée d'été au marché d'Ajaccio, ou « marcatu d'Aiacciu » comme inscrit en corse sur le fronton de l'édifice. Dans cette halle de 1 400 m² flottent les parfums de brocciu, lonzu et canistrelli, ces fromage, charcuterie et gâteaux typiques de l'île de Beauté. Il paraît loin le temps où, en 2020, année de son inauguration, le lieu servait de centre de dépistage du Covid. Cinq ans après la pandémie, les architectes du bâtiment, le parisien Bernard Desmoulin et l'ajaccien Michel de Rocca Serra, savourent une réussite : le marché est devenu un point de rencontre pour la population de 7 h à 14 h, et au-delà de ces horaires. « Cet espace, nous l'avions envisagé polyvalent et il permet à présent une multitude d'usages, observe Michel de Rocca Serra, l'un des quatre associés de l'agence Orma Architettura. Des coachs sportifs l'utilisent comme abri pour donner leurs cours. Les jeunes viennent y jouer de la musique. On peut aussi voir ici des spectacles d'écoles, des événements associatifs et même des meetings politiques. »

Des étals au frais

Seul un tiers de la halle de 60 m de long est fermé, afin de garder au frais les étals de viande et de poissons. Les deux autres sont ouverts et accueillent des forains : vendeurs de fruits et légumes, olives, miel, etc. Pour les petites faims, des tables et des bancs en bois permettent de pique-niquer sous la charpente métallique, recouverte de tuiles. Celle-ci repose en périphérie sur une ribambelle de piliers mesurant 80 cm de côté, espacés de 1,20 m et réalisés avec des bétons dont les teintes naturelles peuvent évoquer celles des vins rosés du terroir. « Lorsqu'on a commencé à les couler, les gens me demandaient pourquoi il y en avait autant, se souvient Bernard Desmoulin. Je leur expliquais qu'ils allaient constituer un mur d'enceinte poreux protégeant du soleil et laissant circuler l'air. En juin dernier, j'étais sur place et, malgré la forte chaleur, il faisait bon être assis sous la halle. » Dans l'esprit de l'architecte, cette succession de pleins et de vides fait aussi référence aux arcades de la rue de Rivoli à Paris, artère créée au début du XIXe siècle par un natif d'Ajaccio : Napoléon Bonaparte. L'empereur décide au même moment de construire un quai dans son port d'attache corse. Englouti par le développement urbain, celui-ci ressurgit en 2014 lors de fouilles archéologiques préventives, effectuées en vue d'un projet de parking souterrain, finalement tombé à l'eau. Un concours de maîtrise d'œuvre est organisé deux ans plus tard par Ametarra, société publique locale d'aménagement du territoire ajaccien, pour valoriser ce patrimoine et requalifier l'arrière de la mairie. Au menu : un marché couvert et une place, nommée César-Campinchi en mémoire de cet ancien député insulaire.

Le trio gagnant formé par Bernard Desmoulin, Michel de Rocca Serra et Gilles Sensini, architecte-urbaniste de l'agence marseillaise Polyptyque, livre en 2019 la partie espace public du programme. D'une surface de 10 000 m², elle est reliée à l'hôtel de ville par une passerelle qui enjambe l'ancien quai napoléonien et son nouveau bassin, imaginé comme une résurgence de la mer Méditerranée. A l'ombre des jeunes arbres, des chaises invitent les promeneurs à faire une pause-déjeuner en profitant du cadre ou à se reposer après une partie de pétanque. « Auparavant, cet endroit délaissé marquait une barrière franche entre le terminal de croisières et le centre-ville, se remémore Michel de Rocca Serra. Aujourd'hui, la place et la halle de marché les reconnectent. Et on s'y donne rendez-vous. »