Le comité a distingué, dans un communiqué du 16 avril dernier, dix « entreprises exemplaires » en matière de délais de paiement dans ce contexte de crise sanitaire et économique. Comment ont-elles été choisies ?
Pour mettre en avant ces entreprises, nous avons identifié celles dont les dirigeants ont déclaré qu’ils procédaient à un paiement accéléré pour les PME, TPE et artisans. Nous nous sommes fondés essentiellement sur ce critère car il nous paraissait le plus urgent. Ensuite, nous avons demandé au Medef, à la Confédération des PME et aux autres organismes partenaires de s’assurer de la véracité de ces déclarations. Pour finir, nous avons annoncé aux présidents et aux dirigeants de ces entreprises que nous allions les citer afin de vérifier une dernière fois leur engagement.
Avez-vous pu identifier des acteurs exemplaires dans le secteur du BTP ?
Il y a sans doute de très belles choses chez les majors du BTP, mais pour l’instant nous n’avons pas eu écho de telles initiatives. Mais je ne peux qu’inviter ces entreprises à rejoindre le mouvement. J'adorerais que les dirigeants de Bouygues, d'Eiffage, de Vinci et autres acteurs de la construction fassent la même chose et le mettent en avant. Cette liste n'a pas vocation à s'arrêter à dix entreprises ! L’objectif est qu'il y ait le plus possible d'acteurs qui accélèrent le paiement des entreprises les plus fragiles. C'est l'urgence n° 1 de la crise.
Vous privilégiez dans vos actions les « entreprises ayant un fort impact structurel », pourquoi ?
On ne laisse pas les PME de côté, mais leurs pratiques de paiement relèvent des activités classiques de la Médiation des entreprises. Dans le cadre du comité de crise, on privilégie les acteurs importants et leurs comportements, qui sont plus lourds d’impact.
Le recours au name & shame est-il encore d’actualité ?
Oui, si une entreprise ne joue pas le jeu ou refuse de nous entendre, l’étape suivante, c’est le name & shame porté par le ministre de l’Economie. De plus, l’Etat va refuser de garantir les prêts d’une structure qui ne paierait pas ses fournisseurs. Ainsi nous avons vu avec la Banque publique d’investissement la mise en place d’une case dans le formulaire afin que les entreprises attestent sur l’honneur qu’elles s’engagent à régler leurs fournisseurs. Certes, ce n’est qu’une simple déclaration, mais cocher cette case est néanmoins nécessaire pour faire la demande de prêt.
Vous avez martelé dès le début de la crise que les entreprises ne devaient pas attendre 60 jours pour régler leurs factures. Votre appel a-t-il été entendu ?
C’est le cas, au moins, des dix entreprises que nous avons citées, ce qui n’est déjà pas si mal ! EDF, par exemple, réalise une vingtaine de milliards d'euros d'achats. Au global, cela représente une centaine de milliards d'euros d'achats environ dont une partie importante concerne des TPE et PME. C'est une somme importante que ces acteurs peuvent réinjecter dans le système en accélérant les paiements. On se concentre sur elles car elles détiennent les clés de la reprise économique et notamment de la survie des PME, TPE et artisans.
Vous avez demandé aussi que certaines entreprises versent une avance sur des prestations qui n'auraient pas été encore réalisées, est-ce que certaines d’entre elles le font ?
Certaines le font, mais malheureusement trop peu. Les prestations sont, certes, à l’arrêt, mais le seul moyen d’aider les fournisseurs et les sous-traitants au-delà des prêts garantis par l'Etat, c'est de leur payer des avances. Le secteur public va faire de gros efforts à ce niveau. L’ordonnance commande publique du 25 mars dernier permet en effet aux acteurs publics d'aller jusqu'à 60% du montant du marché. J'aimerais que le privé s’inspire de cette démarche.
Plus globalement, pour l'instant, on est loin de la reprise, il faut donc focaliser son effort sur le règlement des factures dues, dont beaucoup datent d’avant l’épidémie… Il ne faut pas oublier que ce n’est pas parce qu’on passe des commandes que les PME, TPE et artisans pourront redémarrer. Le principal problème est de disposer de la trésorerie suffisante pour acheter des matières premières ou permettre aux employés de retravailler.
Ne pensez-vous pas que certaines entreprises conservent leur trésorerie pour régler le salaire de leurs employés ?
En aucun cas, les paiements dus aux fournisseurs ne doit servir à payer les employés, car il y a des outils spécifiques pour cela. J'invite les entreprises ayant des difficultés à faire appel au chômage partiel, au prêt garanti par l'Etat, au décalage des impôts, etc. afin de pouvoir continuer à régler leurs fournisseurs.
Le comité de crise sur les délais de paiement est-il voué à perdurer après la cessation de l'état d'urgence sanitaire ?
Probablement oui. Cette instance a été créée avec le Medef, la CPME, les chambres du commerce, les chambres des métiers... Et assez rapidement, la plupart de ces acteurs ont exprimé qu’ils y voyaient une utilité sur le long terme. Donc, je n'exclue pas que le comité puisse continuer à exister, avec un rythme sans doute différent. Les problèmes de retard de paiement ne datent pas d’aujourd’hui…
Nous avons peut-être une opportunité aussi de faire changer les choses durablement, de passer d'une économie de rapports de force à une économie plus solidaire et plus intelligente. Ne loupons pas cette occasion ! Il faut au moins que cette crise puisse servir à cela…