Interview

« Nous franchirons le seuil de 1,5 °C bien plus tôt que prévu », Valérie Masson-Delmotte

Pour l'experte du Giec, le BTP doit agir sur l'efficacité énergétique et la sobriété en matière de ressources non renouvelables.

Valérie Masson-Delmotte est paléoclimatologue, directrice de recherche au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement au CEA, coprésidente du groupe 1 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et membre du Haut Conseil pour le climat (HCC).

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Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, directrice de recherche au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement au CEA, coprésidente du groupe 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et membre du Haut Conseil pour le climat (HCC).

En 2021, les émissions de CO2 continuent-elles d'augmenter ?

En effet. Parmi les facteurs d'origine humaine, le dioxyde de carbone est bien le gaz qui a le plus de conséquences néfastes sur le climat. Chaque année dans le monde, nous en rejetons plus de 40 milliards de tonnes. Depuis quelques années, nous observons une stagnation des émissions avec même une baisse en 2020 du fait de la pandémie et des confinements. Mais nous constatons déjà l'effet rebond avec la reprise de l'économie chinoise. Ensuite, le méthane est le deuxième gaz qui impacte le plus le réchauffement.

Ses émissions connaissent une croissance forte et continue. Or, si sa durée de vie dans l'atmosphère est relativement courte, de l'ordre d'une dizaine d'années, son pouvoir de réchauffement est bien plus important que celui du CO2.

Quelles en sont les conséquences pour la planète ? 

Parler du climat n'a de sens qu'à condition de considérer une période moyenne d'une vingtaine d'années, car les échanges de CO2 entre l'atmosphère, les océans et les écosystèmes terrestres entraînent des fluctuations de l'ordre du dixième de degré. Nous constatons à ce jour une hausse moyenne qui dépasse 1 °C par rapport à la période 1850-1900. Mais le réchauffement s'est accéléré au rythme rapide de + 0,2 ou + 0,3 °C tous les dix ans ! Dans notre prochain rapport, nous allons d'ailleurs actualiser le moment où nous franchirons le seuil de + 1,5 °C, qui va se produire beaucoup plus tôt que prévu, dès les prochaines décennies.

Le BTP peut-il contribuer à lutter contre le réchauffement climatique ?

En matière d'atténuation, trois domaines permettent de maximiser les bénéfices pour le climat, dont deux concernent le BTP, puisqu'il s'agit de l'efficacité énergétique et de la sobriété en matériaux non renouvelables. Le dernier volet concerne l'évolution des régimes alimentaires.

La nécessité de s'adapter va-t-elle s'imposer à nous ?

L'augmentation moyenne des températures mondiales se traduit déjà par une recrudescence de phénomènes climatiques extrêmes. Pour y faire face, nous avons besoin d'infrastructures adaptées. C'est le cas pour l'aménagement des littoraux, puisque le niveau des mers monte au rythme rapide de 3 à 4 mm/an. Cela signifie que ce qui est encore considéré aujourd'hui comme une « tempête du siècle » se produira tous les ans en 2050. Cette information doit être prise en compte dans la gestion des littoraux avec la construction d'ouvrages de protection ou le déplacement d'infrastructures stratégiques.

Nous constatons également que les extrêmes chauds vont augmenter partout dans le monde et que les extrêmes froids seront moins fréquents, moins intenses et plus rares. Ils peuvent alors devenir plus dommageables car nous y serons moins préparés. Dans certaines régions, comme les Cévennes, nous constatons depuis trente ans à la fois une augmentation des sécheresses, qui deviennent plus longues et plus fréquentes, mais également des pluies plus intenses, ce qui augmente l'aléa de ruissellement brutal. Tous ces changements doivent être pris en compte pour élaborer des réponses adaptées qui prennent en compte les populations et leur bien-être.

Comment le Giec accompagne-t-il la transition vers un monde décarboné ?

Il fonctionne sous l'égide de l'ONU et de l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Nous disposons d'une assemblée plénière qui réunit les représentants des 195 états et d'un bureau, qui compte 34 élus. Nos rapports, qui présentent l'état des connaissances scientifiques sur le changement climatique, sont réalisés par des auteurs issus de nos trois groupes de travail. Le groupe 1, que je copréside, porte sur les bases physiques du changement climatique. Le groupe 2 s'intéresse aux questions relatives à la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels, aux conséquences du réchauffement et aux possibilités de s'y adapter. Enfin, le groupe 3 travaille sur l'atténuation et sur la construction d'un développement soutenable tout en réduisant massivement nos émissions de gaz à effet de serre (GES).

Quels outils concrets mettez-vous à la disposition des décideurs mondiaux ?

Nous sommes en train de finaliser notre sixième rapport, dont la publication est prévue pour septembre 2022. Il comportera notamment un résumé pour décideurs limité à 10 pages de texte, 10 figures et deux tableaux. Avant d'être mis à disposition de tous, ce document fait l'objet d'une approbation phrase par phrase par l'ensemble des représentants des pays.

Chacun de nos rapports résulte d'une somme de travail colossale. A titre d'exemple, pour le groupe 1, ce sont 230 auteurs issus de 60 pays qui ont passé en revue 14 000 publications scientifiques. Nos travaux de synthèse sont ensuite relus deux fois, ce qui témoigne de la rigueur, de l'objectivité, de la complétude et de la transparence de nos travaux.

« La hausse moyenne des températures se traduit déjà par une recrudescence de phénomènes extrêmes »

Pouvez-vous déjà nous dévoiler quelques éléments de ce xième rapport ?

Les connaissances sur le climat ont été réactualisées grâce aux derniers modèles numériques. Nous avons aussi travaillé sur les conditions climatiques envisageables dans la prochaine décennie en superposant les tendances dues aux influences humaines à la variabilité spontanée du climat. Bien sûr, nous avons également envisagé les tendances à plus long terme en fonction des émissions de GES. Ainsi, si nous allons effectivement vers la neutralité carbone, le climat se stabilisera, mais le niveau des mers continuera à augmenter. Enfin, un autre axe de travail a consisté à caractériser le climat à l'échelle des grandes régions du monde.

Ces informations seront accessibles dans un atlas interactif, une nouveauté qui doit permettre de naviguer plus facilement dans ces données et répond aussi aux besoins de la société de disposer de ressources précises sur les zones habitées.

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