Quelques mots pourraient-ils tracer un dénominateur commun aux 100 ans d'histoire du groupe ?
L'exercice est difficile… A y réfléchir, on pourrait synthétiser par « une diversification à synergies ». Les générations qui nous ont précédés ont rapidement constaté les limites et risques d'une activité mono-métier, si forte était-elle dans le territoire où nous sommes nés et avons grandi, aux confins de l'Alsace et de la Lorraine. L'exposition à la commande publique qui nous caractérisait a incité, d'une part à se tourner aussi vers la clientèle privée, mais également, toutes typologies de clients confondues, à aller vers les métiers complémentaires naturels des travaux publics, comme la démolition et les travaux spéciaux. Mon père, Georges [président de 1978 à 2013, NDLR] a impulsé, à forte échelle, la diversification vers l'environnement, le recyclage. Le marché nous y a guidés aussi, la demande s'exprimait.
Cette capacité à ressentir les besoins du marché forme-t-elle aussi une caractéristique majeure ?
Oui, assurément. Mais nous savons également anticiper. Une autre marque d'identité des 100 ans pourrait être l'attention portée aux opportunités et la capacité à les exploiter. Notre relation à la méthanisation l'illustre. L'entrée dans cette spécialité n'était pas tracée, elle résulte d'une information, captée presque par ouï-dire, qu'un syndicat de traitement de déchets, le Sydeme dans l'est de la Moselle, souhaitait se lancer sur le sujet, selon une technologie originale, dite de la voie sèche. C'est là que notre esprit d'entrepreneur s'est exprimé. En dépit des incertitudes, nous nous sommes dit : on y va ! Et la méthanisation est devenue aujourd'hui un axe majeur et porteur pour nous. Ceci étant, tout en se montrant prêts à relever les défis, nous veillons à garder la main sur les élargissements de notre périmètre d'activités. Par exemple, il ne s'agit pas de recycler pour recycler. Récemment, nous aurions pu nous intéresser au dossier d'une société de recyclage de gazons synthétiques en redressement judiciaire, mais nous avons décidé de ne pas donner suite.
Restez-vous prudents comme par le passé vis-à-vis de la croissance externe ?
Nous ne sommes pas fermés par principe à la croissance externe, mais il faut qu'elle signifie un fort partage des mêmes valeurs. Là encore, nous ne donnons pas suite tous azimuts. Actuellement, ce serait une sacrée fuite en avant : il ne se passe pas un mois sans que nous recevions une sollicitation !
Vous portez un projet de forte croissance du chiffre d'affaires. Comment y parvenir ?
L'ambition est effectivement élevée : par le programme Cap 2030, nous visons un chiffre d'affaires de 300 millions d'euros en 2030, à partir de 200 millions d'euros en 2022. Mais nous en avons les moyens, car les leviers sont nombreux. D'ailleurs, nous nous situons dans la trajectoire, avec un chiffre d'affaires à 240 millions d'euros l'an dernier. Ces leviers viennent notamment de l'environnement. Outre les métiers déjà cités, le lavage de terres polluées représente un vecteur de croissance, de même que le traitement des mâchefers. Nous sommes acteurs de longue date de leur utilisation en sous-couche routière en sortie d'usines de valorisation énergétique de déchets ménagers. De plus, nous « rentrons » en ce moment une référence majeure, de nature différente : les mâchefers des combustibles solides de récupération (CSR) qui s'apprêtent à alimenter en énergie l'usine chimique Solvay de Dombasle-sur-Meurthe (Meurthe-et-Moselle). Le démarrage est prévu en fin d'année, et nous sommes prêts sur le plan technique. Nous parvenons dans ce dossier à produire des quantités de mâchefers (60 000 tonnes par an) égales à celles venant d'unités de valorisation énergétique classiques, et respectons l'exigence fixée par le client, Veolia, d'une qualité égale à celles-ci, ce qui constitue une vraie performance. Nous atteindrons ainsi au cumul du groupe les 200 000 tonnes par an de mâchefers traitées. Au total des collectes et valorisations de déchets de tous types, nous visons le seuil du million de tonnes dans les trois ans.
Ce plan va-t-il modifier le profil du groupe ?
Nos implantations géographiques évoluent. Cap 2030 porte l'objectif de conférer progressivement une taille comparable et des spécialités identiques à nos plateformes de valorisation, de sorte à disposer vraiment de trois pieds dans le Grand Est, un dans chacune des anciennes régions. Toutes sont concernées. La plus ancienne, à Oberschaeffolsheim près de Strasbourg (Bas-Rhin), est déjà très complète, mais elle va encore s'enrichir en 2026 d'une unité de lavage de terres polluées qui lui manque. Cette activité forme en revanche la spécialité du site lorrain de Louvigny (Moselle), dont le changement de dimension vient du traitement des mâchefers de CSR. Quant à Prunay (Marne), elle constitue notre plateforme la plus récente. Elle montera en puissance d'ici la fin de l'année, grâce à un investissement de 10 millions d'euros, et nous préparons le doublement de sa surface foncière, aujourd'hui de 7 hectares. Elle regroupera nos activités de Champagne-Ardenne, dont les TP développés localement à partir du rachat de la PME SMTP en 2023. Par ailleurs, nous renforçons le maillage de nos agences, avec la création récente de celle des Vosges, à Rambervillers.
S'agissant du chiffre d'affaires, nous ne prévoyons, par contre, pas de changement fondamental de sa répartition [44 % en TP en 2024, 24 % en aménagement-immobilier, 17 % en travaux spéciaux, 15 % en environnement, NDLR].
« Nous ne sommes pas fermés par principe à la croissance externe, mais il faut qu'elle signifie un fort partage des mêmes valeurs. »
Que représente l'immobilier dans votre activité ?
Nous avons regroupé sous ce nom l'an dernier le pôle d'aménagement et de promotion immobilière, pour un chiffre d'affaires d'environ 60 millions d'euros. C'est un secteur qui reste porteur. Nous l'avons abordé par l'aménagement, en continuité assez logique avec les TP. Petit à petit, nos équipes ont fait la preuve de leur savoir-faire, de sorte à aller aussi vers la promotion. Nous avons veillé à garder notre spécificité, investir les villes petites et moyennes, souvent délaissées par les autres acteurs. Cela comporte une part de risque, mais pour nous, la stratégie est payante. Nous sommes, je crois, appréciés de ces collectivités pour notre motivation à répondre à leurs besoins, même si nous ne sommes plus absents des grandes agglomérations, en témoignent nos projets à Metz. Désormais nous sommes en capacité de piloter des opérations importantes à facettes multiples comme la reconversion de la friche Sterling à Saint-Louis (Haut-Rhin) près de Bâle (26 000 m2 ) ou à une autre frontière, celle du Luxembourg, la friche Arcelor d'Herserange (Meurthe-et-Moselle), vaste de 27 hectares !
La transition énergétique est-elle en marche chez Lingenheld ?
C'est un point fondamental, que nous abordons de manière multiple, en vue de progresser vers l'autonomie. Le gaz vert doit augmenter dans notre mix… De plus, après quatre installations photovoltaïques, nous souhaitons rendre opérationnelle dans un an une première centrale au sol de 5 mégawatts. Je crois aussi au mix énergétique pour notre matériel roulant, par le passage partiel du diesel à l'électrique. Je suis plus réservé sur l'hydrogène. Par ailleurs, nous avons décidé en mai de nous lancer dans le stockage de CO2 dans les mâchefers. Nous lancerons en septembre une installation visant à devenir opérationnelle au printemps 2026, avec la société technologique suisse Neustark. Une première en France.
La transmission familiale est-elle déjà prête ?
Nous la préparons, en tout cas, vers la cinquième génération. Elle s'articule autour de ma fille Auriane. Le 100e anniversaire a été l'occasion de sa prise officielle de fonction de direction du pôle environnement du groupe. Contrairement à mon parcours de chef de chantier, conducteur de travaux, puis directeur d'agence dans le groupe, elle n'a pas grandi dans les mêmes univers. Elle apporte un autre regard, et c'est très bien ainsi ! Un changement de génération, c'est aussi l'occasion de repenser le fonctionnement. De mon côté, j'ai travaillé à créer une équipe de direction, autour de cadres avec lesquels partager les choix stratégiques tout en leur laissant l'autonomie de pilotage de chacun de nos pôles. Le temps précédent où un seul dirigeant, mon père, pouvait tout piloter jusque dans les détails du quotidien n'est plus compatible avec la taille atteinte. Nous changeons, mais les valeurs restent et nos trois générations travaillent de concert, chacun dans son rôle.