« Notre grande ambition est le développement durable »

Alain Maugard, président du Centre scientifique et technique du bâtiment, s’exprime sur le développement durable, l’innovation, la conception des bâtiments et l’Europe de la construction.

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DEVELOPPEMENT DURABLE « C’est le grand enjeu qui s’offre aux acteurs de la construction »

Nous vivons actuellement une formidable période d’innovations pour le secteur de la construction. Depuis la reconstruction d’après-guerre, qui a été une grande bataille pour donner un logement hygiénique à tous les Français, le BTP n’a pas été le secteur moteur du progrès. Aujourd’hui, notre ambition est claire : le cadre bâti, les villes et leur organisation doivent être développés en respectant l’environnement. Le développement ne doit pas favoriser le gaspillage d’énergie. Il ne doit pas non plus être un facteur du changement climatique. Comment peut-on bâtir, exploiter, gérer des villes en préservant les générations futures ? Ce n’est pas un effet de mode. C’est l’enjeu majeur qui s’offre aux acteurs de la construction. Il y a devant nous un formidable potentiel d’innovations et de progrès. C’est mieux qu’un problème de conjoncture. Serons-nous capables d’apporter les bonnes solutions ? Oui, nous le ferons car c’est plus motivant que le ronronnement d’une activité économique. Cette ambition génère déjà beaucoup de créativité, de recherche et d’ingénierie. L’aventure est en route. Le développement durable est le nouveau challenge politique des jeunes générations qui s’engagent sur l’énergie, la mondialisation et le gouvernement de la planète.

QUALITE ENVIRONNEMENTALE «Le coût de la qualité est à récupérer sur le foncier»

A force de se voir imposer la tyrannie du court terme, on ne regarde pas plus loin que le bout de son nez ! Lorsque nous avons élaboré la nouvelle réglementation thermique en 2000, il y a eu un grand débat pour savoir si elle entraînerait un surcoût de construction de 1 à 3 % comme l’estimait le CSTB, ou 5 % comme l’affirmait la profession… Certains même parlaient de 10 % qui seraient insupportables. Pour un coût de construction du logement à 1 000 euros/m2, nous nous battions alors sur une augmentation de 10 à 100 euros/m2. Et à écouter les économistes, ce n’était pas supportable. Qu’avons-nous constaté ? Quand les taux d’intérêts ont baissé et que l’on a allongé la durée des prêts, les prix des logements achetés ont progressé de 500 euros en province, jusqu’à 1 500 euros en région parisienne. Cela signifie que l’on pouvait facilement absorber les 30 ou 50 euros/m2 de surcoût de cette réglementation thermique. La thèse qui consiste à dire « les clients n’étaient pas solvables, ils ne pouvaient pas acheter à 50 euros de plus » était scandaleusement fausse. Je n’accepte plus que l’on dise : « le coût de la qualité environnementale est trop élevé ». Cette qualité, il ne faut pas le cacher, a un prix (qui, avec le temps, peut s’avérer plus modeste). Pour la financer, nous devons prendre le foncier comme variable d’ajustement. A quoi sert-il d’aller payer 1 000 euros de plus dans un foncier qui ne contribue ni au confort des gens, ni à la diminution de la consommation énergétique, et surtout pas au développement durable ?

MAISON A 100 000 EUROS «Oui, nous avons les moyens de faire mieux et plus performant»

La maison à 100 000 euros oblige à se poser des questions. Cet objectif secoue tout le monde. C’est un challenge : que pouvons-nous faire de mieux pour ce prix ? On réfléchit au financement différé du foncier, à des aides comme un prêt à taux 0 % majoré pour des maisons très performantes, à des coefficients d’occupation des sols (COS) différenciés pour les bâtiments économes et ceux qui ne le sont pas… L’industrialisation est aussi une partie de la réponse. Mais la solution ne peut pas venir tout de suite. Il faut du temps pour mettre au point un process de progrès si l’on ne veut pas reprendre des recettes toutes faites et reproduire certaines erreurs du passé. Jean-Louis Borloo, ministre de la Cohésion sociale, a sifflé le début du match. Derrière lui, organisons la longue marche vers une nouvelle production optimisée avec des gains de productivité à la clé.

PRIX DU PETROLE «Les exigences réglementaires doivent être relevées en permanence»

Le prix du pétrole s’emballe à nouveau, c’est le début d’une hausse programmée sur le long terme. Inutile de relever plus que prévu les exigences de la future réglementation thermique 2005 qui s’appliquera dès le deuxième semestre 2006. Un relèvement des exigences de 15 %, c’est bien. C’est un peu comme lorsque vous faites une marche en montagne : avant de partir, vous décidez jusqu’où vous irez. C’est important, car vous n’adopterez pas le même rythme selon l’effort à fournir. Celui qui veut aller au sommet de la montagne, c’est-à-dire vers les bâtiments à énergie positive qui produisent plus qu’ils ne consomment sans rejeter de gaz à effet de serre, prendra un rythme de montagnard pour éviter de s’essouffler et de ne pas aller jusqu’au bout. C’est la même chose en matière d’exigences réglementaires : il faut annoncer les étapes – les exigences attendues pour 2005, 2010, 2015 – sans les brûler. Sinon, à vouloir aller trop vite nous risquons d’aller vers des technologies qui ne sont pas totalement au point et qui s’intègrent mal au bâtiment. Nous risquons également d’encourager involontairement les tricheurs parce que les étapes sont trop difficiles à franchir. C’est pour cela que les réglementations doivent évoluer en permanence. C’est d’ailleurs en annonçant à l’avance ces étapes que l’on pourra ajuster le marché du foncier.

CSTB ET INNOVATION «Consacrons le meilleurde nous-mêmes au progrès»

Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) se met à fond sur le Prebat. Ce programme de recherche sur l’énergie dans le bâtiment a été annoncé dans le Plan Climat. Tout le monde doit « monter sur le pont » pour trouver des solutions. Le positionnement du CSTB est celui d’assembleur de ces solutions techniques. Pour réussir le bâtiment à énergie positive, nous avons besoin que les innovations à mettre en œuvre soient totalement maîtrisées. Le CSTB doit, avec les technologies qui sont au point, veiller à l’intégration des technologies nouvelles. A titre d’exemple, nous savons qu’un constructeur automobile, qui est aussi un assembleur, ne fait pas la meilleure voiture en assemblant le meilleur moteur avec la meilleure suspension, puis le meilleur phare, et ainsi de suite. De même pour le bâtiment, nous devons prendre tout ce qui est au point pour faire une maison en y ajoutant les nouvelles technologies indispensables. Certes, le rôle du CSTB n’est pas d’élaborer de nouveaux produits de construction, mais de veiller à ce qu’une fois créés par les industriels, les produits soient intégrables à la chaîne de production du bâtiment tout en respectant nos réglementations nationales sur les ouvrages. Nous avons également vocation à travailler sur le bâtiment fini pour orienter l’innovation chez les industriels.

INGENIERIES «L’interopérabilité est à construire»

Avec les nouvelles attentes en matière de qualité environnementale, de confort, de sécurité, de santé… la société fait appel à l’ingénierie, à l’innovation. Parallèlement, les réglementations techniques visent de plus en plus des performances. Elles aussi impliquent de recourir davantage à l’ingénierie. C’est déjà le cas en réglementation thermique et cela se prépare aussi en sécurité incendie. Cette entrée dans un monde de calculs présente deux écueils : d’une part, le rapport entre l’architecte et ceux qui calculent et, d’autre part, la faiblesse des calculs aux interfaces. Sur ce point, les ingénieries de structures spécialisées par matériaux – acier, bois, métal – ne se raccordent pas bien. L’interopérabilité des ingénieries est à construire. Le CSTB va maintenant s’y consacrer ainsi qu’à l’ingénierie intégrée. Nous voulons innover dans ce domaine pour faire progresser les logiciels de calcul et essayer de trouver les moyens de les mettre en interconnexion. Comme les performances énergétiques vont être périodiquement relevées, les équilibres actuels (thermique, acoustique, aération, stabilité sismique) dans les bâtiments vont changer. L’ignorer pourrait avoir des conséquences néfastes sur la qualité des constructions. Au CSTB, nous avons commencé par créer la salle immersive qui associe plusieurs systèmes intelligents pour simuler les projets de construction en 3D et leur insertion dans leur environnement. Nous avons insisté sur l’impression réelle produite. Plus nous la faisons visiter, plus les professionnels nous disent que ce qui les intéresse n’est pas tant le rendu réaliste mais le mariage de plusieurs logiciels techniques de calcul en un même lieu pour un même projet. Aujourd’hui, il faut faire évoluer cet outil pour le muscler en ingénierie. Notre rôle est d’apporter de l’innovation à l’ingénierie et non de faire de l’ingénierie à la place des bureaux d’étude.

ARCHITECTURE ET INGENIERIE «Tout architecte doit être un peu ingénieur»

L’architecture s’impose comme une évidence. Elle doit répondre le plus possible aux enjeux de société. Sinon elle devient baroque. Elle se regarde le nombril. Aujourd’hui, le développement durable est une chance pour l’architecture. Il faut prouver que l’on peut bâtir et que bâtir n’est pas « honteux » du point de vue de la question environnementale. L’architecte restera le maître du jeu parce qu’un bâtiment doit avoir un parti architectural. Il n’est pas une somme de thermique, d’acoustique et d’autres techniques toutes indispensables. Son architecture le rend évident et procure du bien-être. Et pour que l’architecte ne se laisse pas imposer les solutions par l’ingénieur, il doit être lui-même un peu ingénieur. Quant à l’ingénieur, il ne doit pas non plus être l’esclave technique de l’architecte. Remettre l’ingénierie au premier plan, c’est garantir à tout moment à l’architecte son rôle de pilote architectural des ingénieries. Ce n’est pas la victoire de l’un sur l’autre, c’est la nécessité d’avoir une ingénierie innovante au service d’un projet architectural créatif répondant aux nouvelles attentes de la société. L’architecte qui dessine un projet tout seul et demande à l’ingénieur structure que ça tienne en mettant suffisamment de ferraillage, c’est une piètre solution. Elle éloigne l’architecte des contraintes naturelles de la construction qu’il finit par oublier…

RECHERCHE EUROPEENNE «La plate-forme technologique européenne de la construction est lancée»

La plate-forme technologique européenne de la construction donne à la construction un espace de recherche plus vaste, des opérations plus nombreuses. 450 millions d’Européens présentent un potentiel d’innovations plus grand que 62 millions de Français, d’autant qu’il existe une civilisation européenne de la construction et de la ville. L’Europe doit organiser son marché intérieur de l’innovation. Dans le domaine des produits, mettons la priorité sur les produits innovants plutôt que sur les produits traditionnels. Réfléchissons également à l’Europe des bâtiments en harmonisant les réglementations de mise en œuvre et de caractéristiques des bâtiments. C’est pour combler ce manque que l’on a inventé en France le Document technique d’application. Ce document décrit les règles de mise en œuvre des produits sous agrément technique européen. Si l’on ne veut pas que le composant l’emporte sur le bâtiment, il faut rééquilibrer les choses avec une directive Bâtiment. Nous n’avons fait que l’Europe des produits de construction. C’est une Europe de la libre circulation des produits. Mais c’est mettre la charrue avant les bœufs que de penser que l’on va pouvoir tout unifier en unifiant seulement la circulation des produits. Il faut d’abord faire l’Europe des bâtiments. Les limites nationales ne correspondent pas aux limites climatiques, ni toujours aux limites culturelles… je ne dis pas uniformisation mais convergence. Re-brassons les cartes.

EUROPE ET CONSTRUCTION «L’Europe a naïvement livré son marché intérieur aux importations »

Pour faire un marché unifié des produits traditionnels, il me semble que l’Europe est d’une naïveté totale. Pour les industriels des pays hors de l’Union, nous offrons des règles harmonisées qui facilitent l’entrée dans tous les pays de l’Union. Avant, il fallait pour ces industriels conquérir chaque pays indépendamment. Le marquage CE, c’est un passeport pour toute l’Europe, mais c’est d’abord intéressant pour les non-Européens. Cela facilite l’entrée des produits venant de l’extérieur. Le marché des Etats-Unis par exemple est beaucoup plus difficile à conquérir malgré la présence d’un pouvoir fédéral plus puissant que celui de la Commission Européenne. Les Américains se sont bien gardés d’unifier leurs normes de produits au sein de leur régime fédéral. Ils ont soigneusement évité d’avoir un marquage US pour toute l’Amérique.

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