Négoce – Vous dirigez Point.P depuis quatre ans. Comment vivez-vous les enjeux environnementaux actuels au regard de cette expérience ?
Nicolas Godet – Par-delà les ralentissements du marché auxquels nous devons nous adapter, je suis de plus en plus absorbé par les enjeux environnementaux que nous devons affronter. Je parle en tant que citoyen, en tant que distributeur et en tant que dirigeant de Point.P.
J’essaie de décomposer en trois temps ce qu’à mes yeux, nous devons faire tous ensemble. D’abord, réduire les impacts négatifs ; ensuite, créer des effets « nets positifs » ; enfin, dans un troisième temps, susciter des effets d’entraînement sur notre écosystème.
Chez Point.P, à ce jour, le premier temps concerne la baisse des impacts sur le transport, la circularité des déchets et la décarbonation de notre offre. Le deuxième temps a trait à la rénovation énergétique. Le troisième temps, ce sont déjà – et ce le sera encore plus à l’avenir – les effets d’entraînement dans l’écosystème, comme l’usage de bétons verts par nos clients et, plus généralement, de solutions peu carbonées comme la terre, ou l’usage généralisé de camions propres, etc.
Comment ces trois temps peuvent-ils se traduire dans votre entreprise ?
Chez Point.P, nous travaillons nos effets, négatifs comme positifs, pour passer de la pollution à la solution. Côté « premier temps » – la réduction des impacts –, nous allons, par exemple, de façon très concrète, diviser par deux les émissions de CO2 liées au transport sur vente d’ici à 2025. Cela passe par une série de solutions, dont le camion hydrogène est la plus visible, mais cela passe aussi par le développement de camions à double pont dans nos bases logistiques, le développement du carburant colza, le fait que nous n’achetons plus de camions diesel, etc. Sur l’hydrogène vert par thermolyse, nous avons passé commande de deux véhicules, un porteur et un chargeur, auprès de Hyliko, dont le procédé piège du carbone. Nous avons sans doute payé cher ces deux premiers véhicules, mais ils ont ouvert la voie à la commande de 230 camions par notre partenaire Berto pour d’autres acteurs. Nous sommes fiers d’être dans notre rôle de leader, en créant cet effet d’entraînement, ce fameux troisième temps !
Mais je suis conscient que l’effort essentiel de Point.P doit porter sur la rénovation énergétique et la décarbonation de son offre, le scope 3 représentant plus de 95 % du sujet CO2 dans un négoce.
Commençons par la rénovation énergétique. Comment voyez-vous le rôle de Point.P ?
Si on veut s’extraire un instant du bruit ambiant, nous sommes à un point de bascule. Il y a une urgence climatique, géopolitique, sociale, sur ce sujet – mais l’urgence n’a jamais fait la bascule. En revanche, une série de faits me permet de penser que nous y sommes est malgré tout, dans un contexte où la loi conduit les particuliers effectuant des travaux à exiger de plus en plus un engagement sur un DPE-cible, après travaux, et le plus faible reste-à-charge possible.
Dans nos roadshows autour de la rénovation énergétique, nous rencontrons de nombreux chefs d’entreprise du bâtiment, là où les agences côtoient habituellement les salariés. Nous avons rencontré déjà 1 000 pros et enregistré près de 200 demandes d’entrée dans le RGE dans le cadre de ces roadshows. Les artisans sont déstabilisés, et voient des marchés leur échapper au profit de nouvelles concurrences, plus digitales, plus communicantes, qui proposent des devis aides déduites et accompagnent les clients de A à Z. Les artisans qui se passaient du RGE jusqu’à présent, viennent désormais se renseigner. Tout cela dans un contexte où la crise du neuf libère de la main-d’œuvre pour le gigantesque chantier de la rénovation énergétique. Tout cela fait bascule.
Entre un neuf très standardisé et une rénovation sur mesure, ce ne sont pourtant pas les mêmes compétences…
Les produits sont souvent les mêmes, et si les compétences peuvent varier, cela n’empêchera pas les entreprises du neuf de venir vers l’ancien. Dans le chiffre d’affaires du numéro un de la construction de maison individuelle, cette fameuse maison individuelle ne génère plus que 60 % de l’activité. Tout cela va nécessairement s’accélérer, notamment si les pouvoirs publics passent de la carotte des aides au bâton des sanctions. On voit déjà les prix des logements classés F et G sérieusement dévisser, ce qui, au passage, finance la rénovation énergétique… et à nouveau fait bascule.
Comment le réseau de Point.P peut-il accompagner les artisans, notamment ceux qui passeraient du neuf à la rénovation ?
Nous disposons de 1 000 référents d’aide à la rénovation (RAR), soit plus d’un par agence. Ils utilisent nos solutions Solu+ et CapRénov pour simuler les projets et les aides. Point.P équipe les professionnels en les accompagnant vers le RGE, en les aidant à aller chercher des particuliers. D’ailleurs, nos centres techniques régionaux (CTR) sont là pour aider les agences à monter en compétence.
En ce qui concerne la décarbonation, comment vivez-vous le rôle d’un distributeur ?
Je vous le disais tout à l’heure, la décarbonation de notre offre est essentielle, pour notre propre bilan carbone, bien sûr, mais surtout pour l’effet d’entraînement sur notre écosystème. Nous sommes le premier réseau de centrales à béton qui n’appartienne pas à un cimentier. Cela nous donne une grande liberté pour agir. Carbicrete, Ecocem, Hoffmann Green Cement… Toutes nos commandes accélèrent le développement de ces acteurs clés, alors que le ciment représente 6 % des émissions de CO2 au niveau mondial ! On agit rapidement sur le poids carbone quand on parvient à diminuer significativement le bilan de solutions très chargées en CO2. Nous fournissons d’ailleurs à nos clients l’information précise concernant le CO2 contenu dans chaque produit, dans chaque chantier, ce qui a un rôle très vertueux, pour le béton prêt à l’emploi dès aujourd’hui, et pour toute notre offre de produits dès la fin de l’année.
Vous croyez donc encore au béton, à l’heure où tout le monde ne parle que du bois ?
Nous nous engageons sur le bois, avec 67 agences expertes, dont des rachats récents d’acteurs locaux. Mais nous aurons toujours besoin de ciment, notamment face aux épisodes climatiques extrêmes. Il faut donc soutenir fortement sa décarbonation, qui n’en est qu’à ses débuts. En décarbonant le béton, Point.P décarbone la construction.
Les grands comptes, notamment les majors, sont très regardants sur les bilans carbone. Quel dialogue avez-vous avec eux ?
Début novembre, nous avons présenté, au niveau de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France, un outil construit avec Kompozite pour calculer le poids carbone de chaque produit. Ce travail a été établi à partir des FDES de la base Inies, selon une méthode de calcul rigoureuse. Cette transparence est effectivement attendue par nos grands comptes ! Nos échanges sont riches.
Vous avez lancé il y a trois ans une démarche autour de la terre. Où en est-elle ?
Saint-Gobain croit beaucoup en cette solution. Nous venons de recevoir l’Atex du CSTB pour la solution projetée. Nous nous intéressons aussi au béton de terre et à la préfabrication. Une première usine Point.P à Ancenis produit des carreaux de terre, à visser sur ossature. Je crois beaucoup à la combinaison de la terre et de la construction en bois, car la terre vient apporter au bois le confort d’été qui lui manque cruellement.
Les solutions en terre ciblent surtout le neuf, à un moment où le marché ne regarde plus que la rénovation…
Elles sont aussi très intéressantes pour les surélévations-extensions, amenées à croître en période de tensions sur le marché immobilier. Nous finalisons également une solution pour les cloisons intérieures.
En neuf comme en rénovation, la terre apporte une réponse à un point majeur, le confort d’été. C’est la fameuse atténuation des températures que la terre permet, phénomène connu de toujours, notamment dans les pays chauds. D’ailleur,s ce n’est pas un hasard si Euroméditerranée à Marseille s’y intéresse de très près. Les normes européennes sont calculées selon les températures de Fribourg. Marseille pourrait devenir le Fribourg de l’arc méditerranéen, et développer des réponses techniques qui vaudront pour toute la zone climatique. Nous apportons une solution globale, mêlant un produit issu de l’économie circulaire et la formation des professionnels qui le mettront en œuvre. Nous sommes en plein dans ce troisième temps, les effets d’entraînement !